Accord militaire Inde-France dans l’océan Indien : vers un partenariat stratégique renforcé ?

Mis en ligne le 15 Oct 2018

Ce bulletin de veille revient sur l’accord de coopération militaire franco-indien signé le 10 mars 2018. L’auteur en brosse le contexte général et en souligne les enjeux, alors que l’équilibre général de sécurité maritime dans la zone indopacifique est modifié par la montée en puissance de la Chine.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: Fabien Delheure, “Accord militaire Inde-France dans l’océan Indien : vers un partenariat stratégique renforcé ?”, Info Veille n°49, Centre de Documentation de l’Ecole Militaire, 5 octobre 2018

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site du CDEM.


Le 10 mars 2018, l’Inde et la France signaient un accord de coopération militaire prévoyant un accès réciproque à certaines de leurs bases navales autour de l’océan Indien [1]. Il traduit une évolution de leur approche de la sécurité maritime régionale face à la montée en puissance de la Chine. Cette volonté commune d’approfondir le partenariat global franco-indien questionne les autres acteurs internationaux, dont les Etats-Unis et la Russie, sur sa portée réelle dans l’architecture géostratégique de la zone « Indo-Pacifique ».

FAITS 

Coïncidant avec le 20e anniversaire du partenariat stratégique franco-indien paraphé en 1998, le président Macron a signé le 10 mars 2018 à New Delhi cet accord [2] de coopération militaire. Il concerne principalement les escales autorisées et les exercices ou entraînements conjoints. La marine indienne pourra bénéficier d’un soutien logistique et d’avitaillement au sein des implantations militaires françaises de La Réunion, Mayotte et Djibouti [3], potentiellement élargi à celles des Emirats et de l’océan Pacifique. Toutefois, il ne s’agit pas pour l’heure de droits d’amarrage de longue durée. Les deux Etats ont par ailleurs signé une « Vision stratégique commune » concernant leur coopération dans l’océan Indien et une « Vision commune » spatiale incluant le renseignement maritime. L’accord de confidentialité relatif à « l’échange et à la protection réciproque des informations classifiées ou protégées », succédant à celui de 2008 et limitant les risques de divulgation des clauses d’achats militaires, a aussi été finalisé. Le premier ministre indien Narendra Modi a célébré une « golden step » franchie avec la France, en particulier dans la sécurité maritime et la liberté de navigation dans le respect du droit international.

Le président Macron s’est félicité d’un renforcement des liens avec ce pays dont il veut faire un partenaire-clé dans une  région qui ne peut être selon lui un « lieu d’hégémonie », les Indiens redoutant celle de la Chine [4]. La coopération industrielle civilo-militaire a aussi été mise en exergue au travers du programme « Make in India ». Il a été annoncé un contrat civil de 12 milliards d’euros avec Safran [5] et confirmé la première livraison du chasseur français Rafale à l’Indian Air Force (IAF) en septembre 2019.

Au niveau des réactions internationales, Pékin considère les allusions à son sujet injustifiées, soulignant qu’elle défendait aussi la liberté de navigation [6]. Elle a rappellé à dessein qu’elle n’était pas en concurrence géopolitique avec une France élevée en 2004 au rang de « partenaire stratégique global » et avec laquelle elle a d’importants liens économiques. A l’inverse, Washington et Tokyo [7] ont salué ce nouveau jalon posé en faveur de la sécurité maritime régionale et voient s’ébaucher un rôle indien central en ce domaine. Moscou s’interroge de son côté sur les conséquences de cet évènement sur ses ventes d’armements à Delhi. Enfin, des experts regrettent qu’une fois de plus les pays de l’Union européenne (UE) agissent en ordre dispersé en Asie [8].

CONTEXTE

La prise de conscience de l’importance du fait maritime s’est accentuée en Inde depuis l’arrivée au pouvoir du nationaliste hindou Narendra Modi en 2014. Dotée d’un littoral de 7 500 km et d’une Zone Economique Exclusive (ZEE) de 2,4 millions de km2, ce pays considère l’océan l’entourant comme sa zone d’influence naturelle. Le dirigeant indien a dès 2015 énoncé son projet global Security and Growth for All in the Region (SAGAR) [9] pour cet océan qu’il a nommé en 2016 « notre maison ». Narendra Modi développe des objectifs préexistants induisant notamment le renforcement capacitaire de la flotte indienne, la Bhāratīya Nau Senā, 7e mondiale en tonnage. Elle fut longtemps le parent pauvre des armées indiennes en raison d’une stratégie à dominante continentale due aux litiges frontaliers avec la Chine et le Pakistan, toujours d’actualité lors de la crise du Doklam [10] à l’été 2017.  Aujourd’hui encore, bien qu’en progrès, elle représente 15 % du budget de défense indien contre 55 % pour l’armée de terre, les marines américaine et chinoise se situant aux alentours de 30 %. Bien qu’en forte croissance, + 7 % du PIB/an et devenant en 2018 la 5e puissance économique mondiale devant la France, Delhi ne devrait consacrer qu’1,6 % de son PIB à la défense en 2018-2019, soit 46 milliards de dollars. Ce qui ne suffit pas pour des avancées rapides en ce domaine.

L’Indian Maritime Security Strategy [11] publiée en octobre 2015, une des pierres angulaires de sa politique étrangère basée sur l’«Act East Policy » et l’amorce d’un « regard vers l’Ouest », élargit pourtant sa vision globale à la région Indo-Pacifique [12]. Elle amplifie sa mission d’assurer la sécurité des voies maritimes, en particulier dans l’océan Indien, zone d’intérêt prioritaire étendue au sud-ouest de ce dernier et à la mer Rouge où elle prétend au rôle de « net security provider [13]». Certes, l’Indian Navy dispose depuis 2014 d’un porte-avions opérationnel, l’INS Vikramaditya, ex-Gorshkov russe équipé de chasseurs MiG-29K, et un deuxième est en cours de construction [14]. Mais cela n’empêche pas l’aéronavale indienne d’être désormais dépassée par celle de la Chine. Delhi tente par ailleurs de renforcer ses capacités anti sous-marines et celles militaro-industrielles de ses ports, tel Karwar sur sa côte ouest. Si ses sous-marins nucléaires de types SNA et SNLE progressent [15], ce n’est pas le cas dans le domaine conventionnel. De plus, l’entraînement et la sécurité des équipages restent perfectibles même si des opérations d’évacuation comme Raahat au Yémen en 2015 ont pu être accomplies. Quant à l’industrie de défense indienne, malgré le « Make in India », elle n’évite pas au pays de demeurer le 1er importateur mondial d’armements [16] en 2013-2017, achetés à 62 % à la Russie. La stratégie maritime indienne intègre aussi un volet coopératif de défense passant par un renforcement capacitaire des voisins insulaires, tels le Sri Lanka et les Maldives. Ce « capacity building » s’accompagne de l’installation de stations radars de surveillance comme au nord de Madagascar, à Maurice, aux Seychelles ou au nord-est d’Oman (Signals Intelligence près de Ras al Hadd).

Ces actions s’inscrivent dans la « course aux bases [17] » dans l’océan Indien à laquelle se livre Delhi avec Pékin. L’Inde a ainsi dépensé 2 milliards de dollars afin d’installer une force interarmes dans ses îles Andaman et Nicobar, à 1 200 km à l’est de ses côtes. Elle a signé pour la construction de bases aux îles Agalega à Maurice et Assomption aux Seychelles (non-ratifiée à ce jour).  Elle a aussi passé des accords de défense à géométrie variable, obtenant des droits d’amarrage militaires à Maputo au Mozambique ou en février 2018 au port omanais de Duqm. Delhi a de plus conforté son accès naval singapourien de Changi depuis novembre 2017 et a conclu avec les USA en 2016 ou l’Indonésie en mai 2018 des accords proches de celui avec la France. Narendra Modi cherche par ailleurs à améliorer ses relations avec ses voisins (« Neighborhood first [18] ») et contribue aux forums multilatéraux tel l’Indian Ocean Naval Symposium (IONS). Il participe aux exercices militaires navals régionaux incluant entre autres l’Indonésie, Oman et le Kenya (MILAN), la Russie (Indra) et surtout les Etats-Unis (RIMPAC, Malabar).

La volonté affichée par Paris de « tenir son rang » en Asie dans sa Revue stratégique [19] d’octobre 2017 et de préserver la liberté de navigation maritime s’accorde avec cette stratégie indienne. Après le Brexit prévu en 2019, la France sera le seul pays de l’UE présent militairement en permanence dans les océans Indien et Pacifique et membre de l’IONS. Elle compte une ZEE de 9 millions de km2 en Indo-Pacifique, dont 2,8 millions km2 en océan Indien, et 1,7 million de ressortissants. Appuyées sur des bases militaires de souveraineté (dont La Réunion et Mayotte) et de présence (Djibouti, Abu Dhabi) qui accueillent 7 000 militaires permanents, dont 4 100 en océan Indien, [20] elle dispose d’une réelle assise régionale bien qu’elle ne soit pas à surestimer [21]. Les marines indienne et française s’associent déjà dans l’océan Indien contre la piraterie et le terrorisme. Elles réalisent depuis 2001 des exercices conjoints Varuna [22] alternativement dans les deux pays. En outre, la coopération industrielle franco-indienne s’est surtout développée après 1998 et a connu une accélération avec la vente en 2005 de 6 sous-marins Scorpène et en septembre 2016 de 36 chasseurs Rafale, respectivement pour 3 et 8 milliards d’euros. Cependant, bien que Paris soit devenue le 3e exportateur mondial d’armes en 2013-2017, Delhi n’est sur cette période que son 3e client.

La progression chinoise dans l’océan Indien, débutée en 2008 afin de lutter contre la piraterie, est en partie dictée par la logique des nouvelles « Routes de la soie » commerciales promues par Xi Jinping à partir de 2013 (« Belt and Road Initiative », BRI). Le long de son volet maritime, Pékin a multiplié autour de l’océan Indien les installations portuaires souvent duales sécurisées par le Guoanbu [23], en particulier à Hambatota au Sri Lanka ou Gwadar au Pakistan, et les incursions de ses SNA. La Chine se rapproche également des Maldives ou de la Tanzanie au port de Bagamoyo. L’ouverture de la 1ère base militaire permanente outre-mer de la République Populaire de Chine (RPC) à Djibouti en août 2017, et d’une éventuelle 2e à Jiwani près de Gwadar, a accru la méfiance franco-indienne envers ce « collier de perles » civilo-militaire, nié par Pékin, bordant leurs territoires. Au travers du « rêve de grande renaissance de la nation chinoise », la Chine veut être un pays maritime « fort ». Si les « trois lignes d’îles » des mers de Chine restent prioritaires dans sa stratégie de « défense active », le 9e Livre Blanc de la Défense de mai 2015 encourage l’accroissement de ses capacités de projection océanique mondiale. Cette politique s’appuie sur le 2e PIB mondial et un budget militaire respectivement 5 et 4 fois supérieur à ceux de l’Inde. Elle se traduit par une flotte en pleine expansion, la 1ère d’Asie et la 2e mondiale en tonnage, même si l’aspect qualitatif doit continuer à s’améliorer [24]. Elle aura deux porte-avions en service en 2019 et en viserait quatre ou cinq d’ici 2030. L’amiral Prazuck indiquait au Sénat en avril 2018 que la Chine « construit en quatre ans l’équivalent de la Marine française [25] ».

Le Quadrilateral Security Dialogue (QUAD) entre les Etats-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde a été relancé par l’activisme chinois en mer de Chine et dans l’océan Indien. « Mort-né » en 2007, il renaît à partir de novembre 2017 en amont du sommet de l’ASEAN à Manille. La stratégie Indo-Pacifique du président Trump, inscrite dans l’« US National Security Strategy [26] » de décembre 2017, considère cette région comme prioritaire face au rival chinois. Le rapprochement de Delhi avec Washington depuis 2004 s’est accentué avec la « Vision stratégique conjointe pour l’Asie-Pacifique et l’océan Indien » en 2015 ainsi que la signature en 2016 du Logistics Exchange Memorandum of Agreement (LEMOA) [27] et l’obtention du statut de « major defense partner ». L’accord complémentaire COMCASA a été signé le 6 septembre 2018, le BECA [28] étant la prochaine étape. Il est prévu des accès indiens aux armements et renseignements sensibles des USA ainsi qu’à Diego Garcia [29], leur plus grande base navale dans l’océan Indien. De plus, l’Australie et l’Inde ont renforcé leur partenariat stratégique en 2015. Celui « spécial » avec le Japon bénéficie de la compatibilité de la Confluence of the Two Seas vision japonaise avec le « diamant de sécurité » indien. Des exercices militaires communs ont déjà eu lieu en mer de Chine orientale.

ENJEUX

L’Inde veut réaffirmer sa prééminence dans l’océan Indien afin d’éviter un avenir « amoindri [30] » face au « cauchemar » des Routes de la soie perçues comme un encerclement stratégique, militaire et économique chinois graduel [31]. Le gouvernement Modi est déterminé à contrecarrer l’« intrusion » de Pékin dans sa sphère d’influence proche, gage de son autonomie stratégique, tout en bénéficiant de la croissance chinoise. Les accords passés ambitionnent un maillage sécuritaire favorable à Delhi dans l’océan Indien [32] assurant la surveillance de sa ZEE et d’artères où transitent 90 % de ses échanges en volume. L’insistance sur la liberté de navigation, le déploiement permanent in situ de 12 à 15 navires de l’Indian Navy et le renforcement de ses flottes de porte-avions ou de SNLE [33] en découlent. Les objectifs sont de prestige et surtout de conserver une supériorité crédible sur la marine chinoise dans l’océan Indien, à défaut de pouvoir la rattraper globalement. Néanmoins, l’Inde a besoin de partenariats afin de compenser ses contraintes stratégiques et combler le fossé capacitaire [34] avec Pékin. Delhi veut améliorer ses capacités de projection avec davantage de facilités navales et d’exercices conjoints qui favorisent aussi l’interopérabilité. L’intérêt des grandes puissances envers elle lui permet par ailleurs d’obtenir des technologies militaires de pointe censées l’aider à progresser vers un « Made by India ».

Si le terrorisme et la piraterie comptent, il s’agit d’abord pour l’Inde d’envoyer un signal de fermeté à la Chine sans la provoquer. Depuis la rencontre de Wuhan [35] en avril 2018, Narendra Modi espère ainsi qu’une stabilisation des relations avec Pékin, son 2e partenaire commercial, et l’accord avec la France seront portés à son crédit aux élections de 2019. L’arc de bases françaises à l’ouest de l’océan Indien présente en effet pour l’Inde des avantages potentiels conséquents. Djibouti est dans le détroit de Bab-el-Mandeb au carrefour des voies maritimes vers l’Europe et l’Afrique et peut être une escale pour les opérations anti-piraterie. Abu Dhabi est située au sein du Golfe Persique, d’où proviennent par Ormuz 70 % des importations de pétrole de l’Inde, et à proximité d’Oman, son 1er fournisseur de gaz. Tout cela explique le « regard vers l’ouest » indien, miroir de son « Act East ». Les bases d’Assomption ou d’Agalega étant loin d’être opérationnelles, celle de La Réunion complèterait ses stations à Maurice et aux Seychelles face aux installations chinoises. En outre, le port américain en eaux profondes de Diego Garcia est situé stratégiquement au centre de l’océan Indien. A l’est, le renforcement militaire des îles Andaman-Nicobar, l’accès à Singapour et d’ici 2020 aux ports indonésiens dont Sabang [36] consolident les positions indiennes autour du détroit de Malacca, interface vers l’océan Indien et pour des contre-déploiements en mer de Chine. De surcroît, ses activités de « capacity building » et de « net security provider » visent à maintenir son influence sur ses voisins [37]. La protection de la diaspora indienne, vecteur de soft power régional, est un autre objectif. Le SAGAR, l’IONS ou l’Asia-Africa Growth Corridor avec le Japon participent de cette tentative indienne d’apparaître en « puissance bienveillante » alternative à la BRI et contrant le « collier de perles », en dépit de moyens inégaux.

Les pays du QUAD ont des différences d’approches de leur dialogue quadrilatéral. Il s’agit surtout pour ces quatre démocraties de faire pression sur Pékin en faveur du respect de la CNUDM [38], qu’elle a ratifiée mais interprète à sa manière, afin de permettre un « free and open Indo-Pacific » face à une BRI sino-centrée. Bien que l’US Navy conserve sa supériorité et se renforce à Duqm, l’annonce par Washington début août 2018 d’un fonds consolidant la coopération sécuritaire en Indo-Pacifique confirme sa préoccupation devant l’ascension chinoise régionale. Les USA voient une opportunité stratégique [39] à faire de l’Inde un contrepoids sur le flanc ouest de la RPC, usant de sa crainte d’être la « grande perdante [40] » du rapprochement sino-russe. Lié à cela, les Etats-Unis s’efforcent d’accroître leurs exportations d’armes vers Delhi [41], dont ils sont le 2e fournisseur, en se servant aussi des LEMOA et COMCASA. Les garanties obtenues lors de ces négociations attestent toutefois de la volonté indienne de préserver sa souveraineté. Tout comme l’achat prévu en octobre 2018 de systèmes de défense anti-aériens russes S-400 (déjà vendus à la Chine) ou ses achats de pétrole iranien malgré le risque de sanctions américaines à partir du 4 novembre 2018 [42]. En refusant une alliance militaire stricto sensu avec les USA ou l’accès australien à l’exercice Malabar, Delhi signifie son non-engagement officiel dans un « front » anti-chinois.

La projection « hybride [43]» de puissance de la Chine déstabilise un équilibre régional qu’elle perçoit « américain ». Cette vision obsidionale s’est trouvée confortée par son exclusion du RIMPAC 2018 et la résurgence du QUAD. Pékin souligne en outre que Washington n’a pas signé la CNUDM. Comme l’Inde, la RPC est dépendante d’un pétrole dont elle est le 1er importateur mondial et qui lui arrive à 80 % via l’océan Indien et le détroit de Malacca [44] contrôlé par la 7e flotte US. Pékin veut sécuriser ses Sea Lines of Communication, vitales pour son approvisionnement et ses exportations soutenant sa stabilité intérieure. Pour ce faire, elle pratique dans le cadre de la BRI la diplomatie asymétrique du « piège de la dette » [45] par des prêts conditionnés aux Etats riverains les endettant massivement. Elle peut en contrepartie développer de façon interdépendante autour de l’océan Indien son influence politico-économique, ses ventes d’armes [46] ou son réseau du « collier de perles », appui de facto de l’intensification de ses déploiements militaires. La RPC a ainsi pris le contrôle du port d’Hambatota fin 2017 pour 99 ans en effaçant 1 milliard de dollars de dettes du Sri-Lanka. Si elle n’exclut pas des coopérations, Pékin cherche à contourner et entraver l’émergence stratégique de son rival indien en l’entourant d’« Etats-clients ». Le China-Pakistan Economic Corridor vers Gwadar à l’ouest ou les accords à l’est avec le Myanmar l’illustrent. Tout comme ceux au sud dans l’« arrière-cour » de Delhi avec les Maldives dont Pékin détient 80 % de la dette et où une crise sino-indienne a eu lieu début 2018 [47]. Mais l’échec du candidat sortant pro-chinois à la présidentielle du 23 septembre 2018 pourrait ici rééquilibrer la situation. Cette politique suscite en Asie les critiques montantes d’un « néo-colonialisme » qui ternit l’image internationale de la Chine.

La France cherche à renforcer sa place en Inde et dans l’océan Indien où transitent 75 % des exportations européennes. Dépourvue d’implantations propres à l’est de celui-ci, un accès aux bases navales indiennes simplifierait la défense par Paris de sa souveraineté régionale et des ressources de sa ZEE [48], la 2e mondiale dont 85 % du canal du Mozambique au Pacifique, ainsi que ses déploiements jusqu’en mer de Chine [49]. Ces derniers participent aussi au respect de la CNUDM et sont un outil d’affirmation mondiale des capacités maritime et technologique françaises. La valeur de la coopération opérationnelle française s’est d’ailleurs accrue pour Delhi depuis 2015 avec la participation du porte-avions Charles de Gaulle au Varuna. Paris apparaît à l’Inde tel un partenaire stratégico-technologique fiable et autonome qui réduirait sa dépendance envers la Russie sans tomber dans celle des USA. Le président Macron utilise l’accord évolutif signé afin d’approfondir la relation de confiance franco-indienne, étape sine qua non pour l’obtention de contrats structurants qu’il définit comme les piliers de ce partenariat sur le modèle des 12 Shortfin Barracuda vendus à l’Australie en 2016. Si elle n’est pas encore une « nouvelle Russie [50] », la France se positionne notamment sur de nouvelles ventes d’artillerie, de Scorpène ou de 57 Rafale pour l’Indian Navy et 36 pour l’IAF. Cela participerait à diversifier ses acheteurs et pérenniser sa BITD en accord avec la LPM 2019-2025, à condition de maîtriser les transferts de technologies et les offsets. Au-delà, Paris vise à supplanter Londres comme passerelle d’accès indienne à l’UE ainsi qu’à créer un axe avec Delhi et Canberra, visitées par le dirigeant français en 2018, pour freiner les ambitions de Pékin mais sans la « défier ». En vue d’éviter un déclassement stratégique en Asie [51], la question se pose néanmoins de l’adéquation sur place entre les capacités et les aspirations françaises afin de réussir une telle politique.

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