Cadre institutionnel et enjeux actuels de la PSDC

Mis en ligne le 06 Mar 2018

Alors que la question de l’Europe Puissance est toujours posée, et qu’une fenêtre d’opportunité est vraisemblablement ouverte, sur fond d’incertitudes à l’Ouest, de risques et de menaces au Sud et à l’Est, cette synthèse documentaire propose un panorama d’ensemble bienvenu. Elle offre en effet un « état de l’art » en termes de cadre institutionnel et d’enjeux de la PSDC, avec une description structurée et étayée des acteurs, des missions, des modalités de fonctionnement et d’évolution, assortie d’un point sur la relation avec l’OTAN.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

   Les références originales de ce texte sont : Cadre institutionnel et enjeux actuels de la PSDC, Elise Laville, Synthèse Documentaire n°28 | Janvier 2018, Centre de Documentation de l’Ecole Militaire.

Ce texte ainsi, que d’autres publications peuvent être visionnés sur le site du CDEM.


 

 

Cadre institutionnel et enjeux actuels de la PSDC

 

 

Instaurée en 1993 par le traité de Maastricht, dans le contexte de l’éclatement du conflit en ex-Yougoslavie, la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) permet dans un premier temps aux États membres de faire de l’Union européenne (UE) un acteur autonome de la sécurité internationale. Une nouvelle étape est franchie en 1998 lors du sommet franco-britannique de SaintMalo, avec la mise en place, au sein de la PESC, d’une Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) visant à doter l’UE de moyens militaires qui lui soient propres, en complément de ses instances politiques et diplomatiques. Ce renforcement progressif de la politique de défense de l’UE est confirmé par l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009. Ce traité introduit de nouvelles dispositions[1] donnant davantage de moyens à la PESD, qui devient dès lors Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Au sein de la PESC, la PSDC constitue le cadre institutionnel et juridique notamment utilisé par les États membres pour mettre en place des actions communes de prévention et de gestion des crises extérieures. La PSDC participe ainsi de la mise en œuvre de l’approche intégrée de l’action extérieure de l’UE, consacrée dans la Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité adoptée en juin 2016, aux côtés d’autres dispositifs européens tels que les instruments diplomatiques, d’aide humanitaire, d’aide au développement et les instruments financiers de stabilisation.

 

Les acteurs politiques en lien avec la PSDC

Le Conseil européen se réunit quatre fois par an afin d’identifier les intérêts stratégiques et fixer les objectifs et les orientations générales de l’Union, y compris en matière de défense. Il est composé des chefs d’État et de gouvernement des 28 États membres. Afin de faciliter la cohésion et le consensus, les membres du Conseil européen nomment un président pour un mandat de deux ans et demi, renouvelable une fois. Depuis décembre 2014, le poste de président du Conseil européen est occupé par le Polonais Donald Tusk.

Le Conseil de l’Union européenne (ou Conseil des ministres) est le lieu de représentation des intérêts des États membres au niveau ministériel. Les actes législatifs et budgétaires y sont négociés en amont au sein de différents groupes de travail composés d’experts envoyés par les États membres. La présidence de ces groupes est assurée, selon les thématiques, par l’État membre exerçant pour six mois la présidence tournante du Conseil ou par le Haut représentant. Lorsqu’il réunit les ministres des Affaires étrangères des États membres pour traiter de la PESC, il est dit en formation ou Conseil Affaires étrangères (CAE). Les ministres de la Défense y sont également invités quatre fois par an. En matière de PSDC, les décisions sont prises à l’unanimité.

Le Haut représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité est chargé d’exécuter la PESC. Elu à la majorité qualifiée par le Conseil européen, il préside le Conseil de l’Union européenne en formation Affaires étrangères et est également le Vice-président de la Commission européenne. Sa position au carrefour des instances de l’UE en fait un acteur central de la PESC, capable d’assurer une meilleure coordination des différentes institutions et de favoriser l’émergence d’une vision commune entre les États membres. Ces fonctions sont occupées depuis novembre 2014 par l’Italienne Federica Mogherini. La Haute représentante est assistée par le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), dont la Secrétaire générale est depuis septembre 2016 l’Allemande Helga Schmid.

La Commission européenne, présidée par le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker depuis novembre 2014, est associée à la PESC par le poste de Vice-président de la Commission dévolu au Haut représentant. La Commission participe aux différents groupes de travail du Conseil de l’UE et peut ainsi émettre des avis. Son rôle est avant tout d’ordre budgétaire, puisqu’elle est chargée d’exécuter le budget de la PESC. Elle intervient également au niveau de l’encadrement des marchés de défense et de transfert d’équipements (pouvoir d’initiative législative et de contrôle du respect des règles du marché intérieur). La Commission est liée de manière plus générale à l’action extérieure de l’Union à travers la gestion de dispositifs d’aide humanitaire, de coordination de la protection civile ou encore de l’Instrument contribuant à la stabilité et à la paix.

Le Parlement européen doit être « consulté » sur les orientations de la PESC, mais ne dispose d’aucune prérogative décisionnelle en matière de PSDC. Le pouvoir réel du Parlement se limite à définir le budget de la PESC. Il existe une commission dédiée aux Affaires étrangères, actuellement présidée par l’Allemand David McAllister (groupe du Parti populaire européen), ainsi qu’une sous-commission Sécurité et défense, présidée par la Polonaise Anna Elżbieta Fotyga (groupe des Conservateurs et réformistes européens). Ces instances analysent les propositions législatives, soumettent des amendements et peuvent mener des négociations avec le Conseil de l’Union sur la législation. Le Parlement a également un pouvoir de codécision en ce qui concerne les directives et décisions encadrant les marchés de défense et les transferts d’équipement.

 

Les acteurs institutionnels de la PSDC

Le Comité des représentants permanents (COREPER) a pour mission de préparer les travaux du Conseil de l’UE, notamment lorsqu’il se réunit en formation Affaires étrangères pour traiter des questions liées à la PESC. Le COREPER est une instance de dialogue où les représentants des États membres s’efforcent de trouver un accord sur les dossiers à l’ordre du jour, en amont des réunions du Conseil de l’UE. Il est soutenu dans son action par le groupe de travail Relations extérieures (RELEX) qui se charge des aspects horizontaux (politique, commercial, économique ou institutionnel) de la PESC, de la supervision du mécanisme de financement ATHENA (cf. infra), ainsi que du suivi et de l’évaluation de la mise en œuvre des sanctions. La France est présente au COREPER via le Représentant permanent auprès de l’UE, l’ambassadeur Philippe Léglise-Costa.

Le Comité politique et sécurité (CoPS) est une structure permanente du Conseil de l’UE chargée d’exercer le contrôle politique et la direction stratégique de toutes les opérations et missions de PSDC. Placé sous l’autorité formelle du COREPER, le CoPS est assisté par le Groupe politicomilitaire (GPM) pour les questions militaires (documents de planification, suivi des opérations), et par le Comité chargé des aspects civils de la gestion de crise (CIVCOM) pour les questions civiles (police, État de droit, administration). Ces deux instances préparent les dossiers devant être examinés et effectuent le suivi des missions. Le CoPS est composé d’ambassadeurs des États membres, la France étant représentée par Nicolas Suran. Les décisions prises au niveau du CoPS transitent toujours par le COREPER avant leur transmission au Conseil.

Le Comité militaire de l’UE (CMUE) incarne l’organe militaire suprême de l’Union européenne. Composé des chefs d’État-major des armées des États membres, son rôle est d’assister et de conseiller le CoPS sur les questions militaires et stratégiques. Son expertise est également requise pour la préparation du Concept de gestion de crise, si celui-ci comporte des aspects militaires. Au quotidien, il suit le bon déroulement des opérations militaires en cours et assure la direction de l’État-major de l’Union européenne. Le président du Comité, qui est aussi conseiller militaire auprès du Haut représentant, est le général Grec Michail Kostarakos.

Au sein du SEAE, le secrétaire général adjoint pour la PSDC et la réponse aux crises est chargé, depuis 2015, de coordonner l’action des différents services impliqués dans le processus de gestion de crise (CMDP, CPCC, IntCen et Direction de la sécurité et des conflits). Le poste est actuellement occupé par l’Espagnol Pedro Serrano. L’État-major de l’UE (EMUE) est une direction du SEAE constituée de militaires détachés par les États membres. Chargé de l’évaluation de situation et de la planification stratégique pour les engagements opérationnels menés dans le cadre de la PSDC, l’EMUE reçoit ses missions du CMUE et fournit une expertise militaire au Haut représentant. Il est commandé par le général finlandais Esa Pulkkinen. Depuis juin 2017, la planification et la conduite des missions militaires[2] (comme les missions EUTM de formation) sont confiées à la Capacité militaire de planification et de conduite (CMPC), intégrée à l’EMUE. La conduite des opérations militaires continuera à être déléguée à des quartiers généraux nationaux mis à disposition par les États membres (France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni).

La Direction de la planification et de la gestion de crise (CMPD[3]) est une structure placée sous l’autorité du Haut représentant qui a pour but de faire le lien entre les différentes structures de planification militaires et civiles de niveau politique et stratégique. Elle est notamment chargée de rédiger le « Concept de gestion de crise », document définissant les objectifs stratégiques de l’UE pour une crise donnée, et permettant de définir le cadre civil et/ou militaire d’une éventuelle action de PSDC. Le Hongrois Gabor Iklody en est l’actuel directeur.

La Capacité civile de planification et de conduite (CPCC) est l’entité chargée de la planification, du déploiement et de la conduite des missions civiles de gestion de crise. Créée en 2007, elle est le pendant civil de l’EMUE. Le CPCC exerce, sous l’autorité du Comité politique et sécurité (CoPS) et du Haut représentant, la conduite et le contrôle de l’ensemble des missions civiles de la PSDC. Son directeur actuel est le Britannique Kenneth Deane.

L’IntCen (ou Intelligence Center) est un service d’analyse du renseignement intégré au SEAE, sans vocation opérationnelle. À partir de sources ouvertes et de renseignements fournis par les États membres, l’IntCen produit des rapports thématiques et géographiques à l’intention du Haut représentant et du SEAE. Depuis 2016, ce service est dirigé par l’Allemand Gerhard Conrad.

 

Les agences liées à la PSDC

L’Agence européenne de défense (AED) est une structure intergouvernementale placée sous l’autorité du Haut représentant. L’AED a pour mandat de développer les capacités de la défense européenne, promouvoir la recherche et soutenir les coopérations d’armement et les projets d’acquisition entre les États membres. Depuis février 2015, l’Agence est dirigée par le diplomate espagnol Jorge Domecq.

Le Centre satellitaire de l’UE (SATCENT) a pour mission de fournir et d’exploiter les images satellitaires afin de soutenir la prise de décision des institutions de l’UE. Il est commandé par le général français Pascal Legai depuis janvier 2015.

Sous la direction de l’Italien Antonio Missiroli depuis octobre 2012, l’Institut d’études de sécurité de l’UE (EUISS) fournit une analyse sur les questions de politique étrangère, de sécurité et de défense, participant ainsi à la formulation de la politique de l’UE.

Actuellement dirigé par le Belge Dirk Dubois, le Collège européen de sécurité et de défense (CESD) a pour but d’offrir aux personnels militaires et civils de l’UE une formation dans le domaine de la PSDC et de les acculturer aux enjeux de la défense européenne.

 

Missions et opérations de la PSDC

Les missions de Petersberg

Les missions définies lors du sommet de Petersberg en 1992 sont celles que l’UE doit être en mesure de mener dans le cadre de la PSDC. Elles comprennent : les missions humanitaires et d’évacuation ; de maintien de la paix ; de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les opérations de rétablissement de la paix. Le Traité de Lisbonne a élargi le périmètre de ces missions en y ajoutant les actions conjointes en matière de désarmement et les missions de conseil et d’assistance en matière militaire et de prévention des conflits. Il est précisé qu’elles peuvent toutes contribuer à la lutte contre le terrorisme.

L’UE a lancé ses premiers engagements opérationnels en 2003, avec une mission civile de soutien à la police bosnienne en Bosnie-Herzégovine (MPUE BiH), puis une opération militaire de stabilisation en Macédoine (CONCORDIA). Depuis, près d’une quarantaine de missions civiles et de missions et d’opérations militaires de PSDC ont été menées.

 

Missions et opérations en cours

Six opérations et missions militaires sont actuellement en cours :

— EUFOR Althea en Bosnie-Herzégovine depuis 2004 (opération de stabilisation) ;
— EUNAVFOR Atalanta au large des côtes somaliennes depuis 2008 (opération aéronavale de contre-piraterie) ;
— EUTM Somalia depuis 2010 (mission de formation de l’armée somalienne) ;
— EUTM Mali depuis 2013 (mission de formation de l’armée malienne) ;
— EUNAVFOR MED/Sophia au large des côtes libyennes depuis 2015 (opération aéronavale de lutte contre les réseaux de passeurs, et, depuis 2016, de formation des garde-côtes libyens et de contrôle de l’embargo sur les armes) ;
— EUTM RCA depuis 2016 (mission de formation de l’armée centrafricaine).

Ces opérations et missions militaires sont complétées par des missions civiles de renforcement des capacités sécuritaires (EUCAP Sahel Niger, EUCAP Nestor/SOMALIA, EUCAP Sahel Mali), de soutien aux forces de police et de sécurité (EUPOL Copps dans les Territoires palestiniens, EUAM Ukraine, EUAM Irak), d’assistance aux frontières (EUBAM Rafah, EUBAM Libye, EUBAM Moldavie et Ukraine), de renforcement de l’État de droit (EULEX Kosovo), ou encore d’observation (EUMM Géorgie).

 

Processus de décision et de financement

Processus décisionnel de gestion de crise

L’UE dispose de moyens propres au sein du SEAE ainsi que de l’appui potentiel des services des États membres pour établir un système d’alerte avancée permettant d’anticiper une crise et de planifier la réponse à y apporter.

En cas de développement d’une crise, et dès lors qu’une intervention de l’UE paraît appropriée, le CoPS élabore un Concept de gestion de crise (CMC, Crisis Management Concept), qui décrit les intérêts politiques de l’UE, l’objectif final recherché, ainsi que les principales options stratégiques disponibles.

Après approbation du CMC par le Conseil de l’UE, le CoPS charge le CMUE d’élaborer des options stratégiques militaires (Military Strategic Options, MSO) et/ou le CPCC d’établir des options stratégiques civiles (Civilian Strategic Options, CSO). Ces documents reflètent la nature de la mission et la tactique privilégiée pour résoudre la crise. Une fois les options stratégiques choisies, le groupe RELEX rédige une décision cadre soumise au vote du Conseil de l’UE. Ce document acte la création d’une mission ou d’une opération de PSDC, désigne son commandant et précise le mode de financement retenu.

Plusieurs documents de planification sont élaborés une fois la décision cadre adoptée. Le concept d’opération (CONOPS) décrit les objectifs de la mission/opération et les règles d’engagement (circonstances et limitations de l’usage de la force). Le CONOPS est ensuite détaillé en plan d’opération (OPLAN) ou de mission (MISPLAN). Une fois ces documents approuvés, le Conseil de l’UE valide le lancement de la mission ou de l’opération par une décision de lancement.

 

La génération de force (dans le cas d’une mission/opération militaire)

L’identification des besoins commence dès la préparation du CMC. Durant les réunions préparatoires, ,l’EMUE donne aux États membres une indication anticipée des moyens requis, qui doivent ensuite fournir une estimation de leur participation et de leurs éventuelles limites d’engagement. Après approbation du CONOPS, le commandant d’opération entame un cycle de « conférences de génération », qui consiste à confirmer les contributions nationales. Lorsque le commandant d’opération estime ses besoins remplis, il intègre la liste des forces à l’OPLAN, confirmant ainsi les engagements des États participants. Durant cette phase, l’activation des quartiers généraux d’opération (OHQ, niveau stratégique militaire) et de force (FHQ, niveau opérationnel) devient une priorité. Une fois déployées sur le théâtre d’opération, les forces engagées ne sont plus placées sous l’autorité des États membres, mais sous celle du commandant d’opération, sauf exceptions dûment fixées lors des phases préalables.

 

Les Groupements tactiques

L’UE ne disposant pas de ses propres forces armées, elle s’en remet aux États membres pour alimenter un système de réservoir de force. Selon les accords d’Helsinki signés en 1999, l’Union doit pouvoir compter sur le déploiement de 60 000 hommes en 60 jours pouvant aller jusqu’à un an. À partir de 2004, l’objectif est décliné en Groupements tactiques (GT) de la taille d’un bataillon chacun. Opérationnels depuis 2007, ces GT peuvent être formés par une nation-cadre ou par une coalition d’États membres, mais ils n’ont encore jamais été utilisés à ce jour. Le financement en commun du déploiement des GT a été adoubé en juin 2017. Parmi les unités susceptibles de composer les GT, l’Eurocorps (forces terrestres), l’Euromarfor (forces maritimes), le Groupe aérien européen et la Force de Gendarmerie européenne sont identifiés comme particulièrement adaptés, sans toutefois avoir de liens institutionnels avec la PSDC.

 

Financement

Les missions civiles de PSDC sont principalement financées par le budget communautaire dédié à la PESC. Les États prennent toutefois en charge certaines dépenses telles que celles liées à la rémunération du personnel qu’ils déploient dans le cadre de la mission. Les missions et opérations ayant des implications militaires sont principalement financées par les États membres y participant. Seule une partie des coûts de déploiement (transport, hébergement des QG… soit 10 à 15 % du total des coûts) est prise en charge par le mécanisme ATHENA, auquel les États membres contribuent à hauteur de leur PIB (à l’exception du Danemark qui dispose d’un optout en matière de PSDC). Ce mécanisme est géré par un comité spécial composé de représentants des États membres et indépendant du SEAE. ATHENA devait faire l’objet d’une réforme en 2017 afin que les coûts opérationnels soient mieux répartis entre les États contribuant à la mission/opération et les États non participants (la France souhaitant un élargissement des coûts communs pris en charge par cet instrument de solidarité), mais les négociations n’ont pas encore abouti.

 

Développement de la coopération en matière de PSDC

Initiatives visant à développer la coopération capacitaire

Plusieurs initiatives visant à remédier à la fragmentation des projets capacitaires en matière de défense et au découplage des dépenses de recherche et d’acquisition au sein de l’UE ont été lancées :

— En 2009, les directives dites du « paquet défense » entrent en vigueur. Ces textes de loi établissent des règles en matière de passation des marchés publics et de transfert d’équipements, visant à encadrer l’application de l’exemption des règles du marché intérieur pour le domaine spécifique des marchés de défense.

— Afin de mutualiser (pooling) et partager (sharing) les coûts d’une défense commune, les États membres souhaitant aller plus loin dans la coopération se sont accordés sur une stratégie dite de Pooling and Sharing (Initiative dite de Gand en 2010). Cela se traduit concrètement par une série de projets initiés par une nation-cadre et soutenus par l’AED, comme la Flotte de transport stratégique aérien, le système de surveillance maritime MARSUR ou encore le développement d’un drone MALE (moyenne altitude longue endurance).

— Depuis 2008, l’AED est chargée de concevoir un Plan de développement des capacités (PDC) aux côtés de l’EMUE et des États membres. En identifiant des priorités d’action, le PDC vise à stimuler les coopérations sur des programmes fédérateurs et faire converger les visions nationales en matière de besoins capacitaires.

— En 2016, les États membres ont approuvé la mise en place d’une revue annuelle coordonnée de défense (CARD). L’exercice, piloté par les États membres et l’AED, visera à identifier les lacunes capacitaires au niveau européen à travers un examen des dépenses et des investissements nationaux en matière de défense.

— En novembre 2016, dans le cadre du Plan d’action européen pour la défense (EDAP), la Commission européenne annonce la création du Fonds européen de la défense[4], instrument destiné à financer le développement industriel de la défense au niveau européen.

L’objectif est d’inciter les États membres à investir dans la recherche et le développement de capacités conjointes en ouvrant, pour la première fois, une possibilité de (co)financement communautaire dans le domaine purement militaire. Ce fonds sera constitué d’un volet « recherche » doté de 500 millions d’euros par an sur le cadre financier 2021-2027, et d’un volet « capacités » doté d’un milliard d’euros par an sur la même période. En préparation du lancement de ce fonds, l’AED a reçu le mandat de conduire des projets pilotes à partir de 2016 (pour un montant de 1,5 million d’euros), puis de mettre en œuvre l’Action préparatoire (dotée d’un budget total de 90 millions d’euros pour la recherche sur la période 2017-2019 et de 500 millions d’euros pour le volet capacitaire sur la période 2019-2020). Les projets éligibles à ces financements seront liés à des priorités « innovantes » fixées par les États membres (drones, cyber, radiofréquences…).

 

La coopération structurée permanente

La coopération structurée permanente (CSP), introduite par le Traité de Lisbonne (articles 42.6 et 46 du TUE), est un cadre ouvrant la possibilité pour un groupe d’États membres volontaires de renforcer leur collaboration dans le domaine de la défense et de la sécurité. Le 11 décembre 2017, la première décision établissant une CSP a été adoptée par le Conseil de l’UE. Une déclaration politique accompagnée d’une liste de projets de coopération[5] a été publiée pour concrétiser le lancement de la CSP, à laquelle participeront 25 des 28 États membres de l’UE (Malte, le Danemark et le Royaume-Uni n’y ayant pas souscrit)[6].

La gouvernance de la CSP sera assurée par les États membres (Conseil en format CSP réunissant les ministres de la Défense et des Affaires étrangères des États participants) et par les structures déjà existantes au niveau du SEAE et du Conseil de l’UE. L’EMUE sera amené à contribuer à la mise en œuvre de la CSP (pour les aspects opérationnels), de même que l’AED (pour les aspects capacitaires). Les États ayant souscrit à la CSP ne participeront pas nécessairement à l’ensemble des projets retenus dans le cadre de la CSP, mais s’engageront sur les projets auxquels ils souhaitent contribuer.

Le nombre élevé de signataires laisse cependant entrevoir une probabilité élevée de blocage et/ou de manque d’ambition[7], d’autant plus que les décisions prises dans ce cadre sont soumises au vote à l’unanimité des États participant à la CSP. Cela reflète les divergences qui ont ponctué les négociations : alors que la France défendait l’idée d’une coopération ambitieuse autour d’un « noyau dur » restreint, plusieurs pays, dont l’Allemagne, souhaitaient inclure le plus grand nombre possible d’États membres afin d’éviter l’émergence d’une nouvelle ligne de fracture au sein de l’UE.

 

Relations avec l’OTAN : entre complémentarité et compétition

L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) constitue le cadre originel dans lequel s’est développée la coopération entre armées européennes. À l’exception de cinq pays (Autriche, Chypre, Finlande, Irlande, Malte, Suède), tous les États membres de l’UE sont membres de l’OTAN. Les relations UE-OTAN constituent un élément important dans la structure institutionnelle de la PSDC : l’article 42.7 du TUE, qui introduit une clause d’assistance mutuelle dans le socle juridique de la PSDC, rappelle ainsi que l’OTAN reste le fondement de la défense collective des États qui en font partie.

La relation OTAN-UE est souvent étudiée sous l’angle de la complémentarité, mais aussi de la compétition entre les deux organisations. Le risque d’une duplication avec les structures et activités de l’OTAN était souvent invoqué par le Royaume-Uni pour freiner les avancées en matière de défense au sein de l’UE. Avec le Brexit, l’UE perd l’un de ses plus fervents atlantistes[8] , mais d’autres États membres (au premier rang desquels la Pologne) devraient prendre le relais en s’affichant en défenseurs de la primauté de l’OTAN face à une PSDC trop ambitieuse à leur goût (qui risquerait selon eux de mettre en danger leur relation avec les États-Unis, seule garantie réelle de sécurité face aux potentiels agissements russes).

Bien qu’il n’existe pas de division explicite des tâches entre les deux organisations, les capacités respectives des deux institutions en matière de planification militaire pour l’OTAN et de gestion civile des crises pour l’UE créent de fait une forme de complémentarité. À plusieurs reprises, l’UE et l’OTAN ont ainsi été mobilisées en même temps pour gérer une crise (exemple en Afghanistan : opération OTAN FIAS, mission de PSDC civile EUPOL ; au Kosovo : opération OTAN KFOR/mission de PSDC civile EULEX).

En 2003, les accords dits de « Berlin plus » formalisent le partenariat en permettant à l’UE d’accéder aux moyens et aux capacités de commandement de l’OTAN pour les opérations de PSDC. Une cellule de l’UE a été créée au sein de l’État-major de l’OTAN (le SHAPE)[9] pour améliorer la préparation des opérations menées avec les moyens de l’Alliance atlantique. Ces accords n’ont cependant été mis en œuvre qu’à deux reprises, pour l’opération CONCORDIA en Macédoine (2003) et pour l’opération ALTHEA, lancée en 2004 en Bosnie-Herzégovine. L’adhésion de Chypre à l’UE en 2004 a ensuite ouvert la voie à un blocage récurrent de ce type de coopération du fait du différend turco-chypriote.

Pour ce qui est du développement des capacités, un groupe formel UE-OTAN a été créé à Bruxelles pour coordonner les différentes initiatives existantes au sein des deux structures. Il est chargé d’organiser un échange régulier d’informations concernant le développement des initiatives menées par l’UE (Pooling and Sharing, PDC, CARD) et celles menées par l’OTAN (Smart Defence, Processus de planification de défense).

Par-delà ces modalités de coopération institutionnalisée, la participation mutuelle à des réunions de tous niveaux, ainsi que les contacts entre fonctionnaires des deux entités jouent un rôle de premier plan dans les relations UE-OTAN. Le Conseil de l’Atlantique Nord (CAN) et le CoPS se réunissent régulièrement, tandis que le Secrétaire général de l’OTAN et la Haute Représentante participent de manière récurrente aux sommets respectifs de chaque organisation.

La déclaration commune OTAN-UE[10] adoptée lors du sommet de Varsovie, en juillet 2016, vise à relancer le partenariat stratégique entre les deux organisations. Sept secteurs y sont identifiés comme prioritaires pour un approfondissement de la coopération (menaces hybrides, coopération opérationnelle, cybersécurité, capacités, recherche, exercices, renforcement des capacités de défense des partenaires). Une feuille de route contenant une quarantaine de propositions d’action est adoptée en décembre 2016, à laquelle fait suite un second plan de mise en œuvre identifiant une trentaine de mesures supplémentaires en décembre 2017[11]. L’une de ces mesures consiste en l’amélioration de la coordination entre l’opération OTAN Sea Guardian et l’opération de PSDC EUNAVFOR MED Sophia, toutes deux menées en Méditerranée.

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