La Chine, Puissance incontournable au Moyen-Orient

Mis en ligne le 06 Mai 2019

Avec cet article, l’auteur met en lumière l’intérêt croissant de la Chine pour le Moyen-Orient. Pékin y développe une stratégie économique et commerciale pour y accroitre son influence diplomatique, conscient de l’importance de la région dans sa quête plus globale de puissance sur la scène internationale. Il souligne comment cette stratégie entend faire pièce à la présence occidentale et met en exergue les atouts comme les limites de l’action déployée par la Chine auprès des divers pays d’une région aux rivalités entrelacées.

 


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: « La Chine, puissance incontournable au Moyen-Orient » par Victorien Bourgeois

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site des Jeunes IHEDN


 

Depuis l’annonce du projet de nouvelles routes de la soie par Xi Jinping en 2013, la politique étrangère de la Chine est l’objet de nombreux fantasmes, souvent teintés d’impérialisme ou de néocolonialisme sous la focale occidentale. Si l’Afrique est généralement présentée comme la pièce-maîtresse du puzzle chinois en termes de matières premières et de débouchés commerciaux, le Moyen-Orient représente également une région importante dans la stratégie du pays. Après plus de deux décennies de relations bilatérales accrues avec la plupart des pays de la zone, la Chine semble désormais nourrir l’espoir d’y supplanter l’hégémonie de son rival étatsunien.

En 2017, en important plus de 8,4 millions de barils par jour, la Chine est officiellement devenue le premier importateur de pétrole au monde, devant les États-Unis [1]. Ces chiffres témoignent des besoins effrénés du pays en hydrocarbures, afin de faire tourner son économie et de pérenniser sa production industrielle. Évidemment, en raison des réserves colossales qu’il abrite sous son sol, le Moyen-Orient représente un intérêt majeur pour la Chine en termes d’approvisionnement énergétique. Sans surprise, c’est dans cette région du monde que les importations chinoises de pétrole et de gaz ont le plus augmenté. En 2017, 70 millions de tonnes de gaz étaient importées en Chine, principalement en provenance du Qatar. Sur la même période, 420 millions de tonnes d’or noir transitaient depuis le Moyen-Orient vers l’Empire du milieu, essentiellement depuis les monarchies du Golfe [2] et en premier lieu l’Arabie saoudite, mais aussi l’Irak et l’Iran, pays avec lequel Pékin entretient d’étroites relations. L’État central chinois avait notamment signé avec Téhéran un contrat de 70 milliards de dollars pour l’importation de pétrole brut, en 2005 [3].

Mais les liens économiques que tisse Pékin avec l’ensemble des pays du Moyen-Orient sont loin de se limiter au seul secteur énergétique. Portée par les ambitions immenses de Xi Jinping, arrivé au pouvoir en 2013 et potentiel président à vie [4], la Chine étend sa toile économique et financière partout dans le monde, afin de s’imposer à l’horizon 2050 comme la première puissance mondiale, en termes de rayonnement international [5]. Ce désir, expressément mentionné par le chef d’État lors du dix-neuvième Congrès du Parti communiste chinois (PCC), se traduit concrètement par un projet d’ampleur planétaire : les nouvelles routes de la soie, que l’on appelle également Belt and Road Initiative (BRI). Dévoilé pour la première fois par le président Xi en 2013, le projet de base prévoyait de couvrir 65 pays, 62% de la population mondiale et 31% du PIB qui y est associé, notamment à travers deux couloirs terrestre et maritime, mais aussi sept corridors de développement économique, parmi lesquels celui menant à l’Extrême-Orient russe via la Mongolie, ceux conduisant à l’Inde, à l’Iran et à Moscou, en Russie [6]. Au niveau maritime, le pouvoir chinois développe ses axes de circulation en déployant sa stratégie du « collier de perles », c’est à dire d’acquisitions de bases portuaires partout dans le monde, à Gwadar au Pakistan, à Marsa al-Bashair au Soudan ou à Djibouti [7] .Ainsi, aussi bien en termes de besoins énergétiques que d’emplacement géographique, le Moyen-Orient s’avère incontournable pour la réalisation des nouvelles routes de la soie. La zone constitue un point de transit et d’ancrage stratégique dont le pouvoir central chinois ne peut se passer. Dès lors, ce dernier met tout en œuvre pour assurer ce que l’économiste JeanJoseph Boillot appelle une politique du « win-win », c’est-à-dire servant également les intérêts propres des pays avec lesquels il noue des partenariats. Concrètement, cela se traduit par une forte croissance des investissements et des échanges chinois avec les États de la région, couplé à une diversification accrue des secteurs visés. Les échanges chinois avec les monarchies du Golfe avoisinaient ainsi les 70 milliards de dollars en 2014. Le commerce bilatéral avec l’Iran progressait de 22%, passant la barre des 30 milliards de dollars en 2015. Celui avec l’Égypte atteignait les 12 milliards la même année.

 

Si la Chine parvient à pénétrer autant les marchés des pays arabes, c’est notamment en raison d’une pratique commerciale couramment appelée « business Ali Baba » [8]. Pour les entreprises chinoises, cette dernière consiste à utiliser l’identité musulmane de pays asiatiques pour réaliser plus d’échanges commerciaux avec le Moyen-Orient. En Malaisie par exemple, la Chine profite de la politique commerciale du gouvernement malaisien, désireux de faire du pays un véritable hub halal international [9]. Dans les faits, des entrepreneurs chinois ou sino-malaisiens détiennent des entreprises dirigées officiellement par des Malais, avec des noms musulmans. En payant une rente à ces derniers, les businessmen de l’Empire du milieu font transiter leurs produits via la Malaisie. Ils y sont alors légèrement transformés, reconditionnés et réexpédiés au Moyen-Orient certifiés halal [10] Si la pratique peut sembler condamnable sur le plan moral, elle joue un rôle non-négligeable dans la forte croissance des échanges commerciaux entre la Chine et l’Arabie saoudite, l’Iran ou l’Égypte susmentionnées.

Le cas des relations sino-égyptiennes illustre d’ailleurs à merveille la stratégie d’intérêts réciproques menée par la Chine à l’égard des pays arabes. Si Pékin resserre ses liens économiques et commerciaux avec Le Caire depuis les années 1990, le partenariat sino-égyptien est véritablement devenu un modèle de relations Chine-Monde arabe à partir des années 2010. Après la révolution de 2011 et la période Morsi, c’est avec l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi en 2014 que les relations bilatérales Chine-Égypte ont atteint le statut de partenariat stratégique global, plus haut niveau établi par la diplomatie chinoise [11]. Cela signifie qu’il est complet, c’est-à-dire qu’il englobe les domaines politique, économique, culturel, militaire, etc. À titre d’exemple, le pouvoir chinois a annoncé en 2016 de nouvelles subventions d’une valeur de 200 millions de dollars pour la construction d’infrastructures de santé, d’assainissement de l’eau, mais aussi pour l’extension de la zone industrielle du canal de Suez, axe majeur des nouvelles routes de la soie [12]. Un an auparavant, Pékin avait déjà décidé le financement à hauteur de 10 milliards de dollars de quinze projets d’infrastructures industriels, énergétiques et de transports [13]. Parallèlement, la Chine et l’Égypte se sont réaffirmées un soutien mutuel dans leurs intérêts fondamentaux respectifs : le régime d’al Sissi appuie le principe d’une seule Chine du PCC [14], tandis que ce dernier défend le respect des droits du peuple égyptien à choisir son régime et sa politique de développement, condamnant de fait la « responsabilité de protéger », norme de droit international public adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies lors du sommet de 2005 [15].

En somme, au-delà des investissements réels, la stratégie de la Chine lui permet d’accroître son influence et son capital politique en Égypte de manière exponentielle, alors que cette dernière voit dans Pékin l’opportunité d’étirer sa marge de manœuvre diplomatique, et de dépendre moins étroitement de Washington. La Chine applique alors cette logique d’intérêts réciproques à l’ensemble des pays du Moyen-Orient sans exception. Partout, elle prend le contrepied des politiques occidentales en réaffirmant le principe de non-ingérence dans les affaires internes, et en prônant le respect et les avantages mutuels. Cette politique étrangère, basée sur « l’intelligence relationnelle », l’autorise à faire fi des tensions politico-religieuses secouant la région depuis des décennies. Ainsi, elle peut aussi bien commercer avec l’Arabie saoudite et l’Iran, Israël ou la Palestine, en dépit des conflits opposant certaines de ces entités. Au demeurant, elle met tout en œuvre pour assurer la stabilité de la région, essentielle à la mise en œuvre du projet de nouvelles routes de la soie. Surtout, grâce à cette stratégie, la Chine tend à renforcer considérablement son influence internationale, jusqu’à devenir incontournable dans la résolution de nombreuses crises et de multiples conflits éclatant au Moyen-Orient. La crise iranienne, le conflit israélo-palestinien, les tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite ou encore la lutte contre le terrorisme sont autant de sujets pour lesquels la Chine peut se targuer d’avoir un rôle décisif à jouer. « Plus rien ne se fait dans le monde sans que la Chine n’influence ou ne pèse sur les dossiers », affirme alors Jean-Joseph Boillot [16].

En définitive, le déploiement de la puissance économique et commerciale de la Chine à l’international apparait comme un outil stratégique au service d’ambitions bien plus grandes. Xi Jinping semble percevoir le Moyen-Orient comme un territoire essentiel pour atteindre son objectif ultime de faire de la Chine la première puissance mondiale au milieu du XXIème siècle. Comme sur le continent africain, le gouvernement chinois tire son épingle du jeu en surfant sur le business, le respect mutuel et les intérêts réciproques pour supplanter les puissances occidentales, et en premier lieu les États-Unis, en tant qu’incontournable sur les plans politique et diplomatique. Pékin doit toutefois rester sur ses gardes. En jouant sur tous les tableaux, elle réalise un numéro d’équilibriste qui n’est pas sans risques. L’Arabie saoudite voit par exemple d’un mauvais œil le soutien diplomatique chinois à la Russie et l’Iran dans le conflit syrien. En soutenant aussi fermement Téhéran vis-à-vis des sanctions internationales, Pékin a tendance à agacer les dirigeants israéliens souhaitant réduire l’influence iranienne dans la région. Malgré tout, les puissances du Moyen-Orient restent extrêmement bienveillantes envers la Chine. Le silence des dirigeants de pays arabo-musulmans vis-à-vis du sort réservé par le pouvoir chinois à la minorité ouïghour est à cet égard très significatif  [17]. Pour l’heure, devant les importants bénéfices économiques et commerciaux qu’offre une relation de bonne entente avec la Chine, la majorité des pays de la région s’engagent dans la voie de la coopération stratégique.

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