La lutte contre la contestation à tendance subversive

Mis en ligne le 20 Mai 2019

Avec cet article, l’auteur présente une définition et un panorama de la contestation à tendance subversive. « Processus de déstabilisation d’un État ou d’un système politique dans un contexte dynamique », la subversion recouvre des réalités assez distinctes pouvant aller de l'infiltration au terrorisme ou à la guérilla, sinon à la guerre. L’article propose donc une typologie des mouvements contestataires à tendance subversive, aborde leurs racines et s’intéresse ensuite aux réponses judiciaires proposées par l’État à des modalités de contestations semblant se généraliser, voire se banaliser.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont : « La lutte contre la contestation à tendance subversive » par Alexis DEPRAU, Sécurité Globale, printemps 2019.

Ce texte, ainsi que d’autres publications et informations, sont disponible sur le site de Sécurité Globale, où vous pouvez vous abonner à la revue.

La subversion est un « processus de déstabilisation d’un État ou d’un système politique dans un contexte dynamique » 1. Ce processus s’observe à travers différents moyens pour arriver à la finalité de déstabilisation : infiltration, désinformation, propagande, puis le sabotage et les émeutes, pour finir vers le terrorisme, la guérilla ou la guerre 2.

S’il est difficile de constater aujourd’hui l’existence de réels mouvements politiques subversifs, il n’est pas interdit de relever l’existence de formes de contestation à tendance ou à volonté subversive, bien qu’on ne puisse aucunement les voir comme opérant une quelconque déstabilisation de l’État.

Nota Bene : Dans un souci de communication politique, les députés votent la loi « anti-casseurs » en procédure accélérée. Des différences législatives pourraient donc apparaître ici, par rapport à la date d’écriture de la contribution.

Typologie des mouvements contestataires

L’histoire française est riche en événements contestataires voire insurrectionnels, que ce soit avec la Révolution de 1789, les insurrections de 1830, 1844, 1870, mai 1968 ou encore aujourd’hui avec des éléments pré-insurrectionnels : de nombreux indices montrent que non seulement des Français aspirent à un coup d’État 3, que les conditions d’une révolte sont réunies 4, mais surtout que les rapports mensuels secrets des préfets sont alarmistes quant au niveau de colère grandissant de la population française 5. Cependant, entre les aspirations et la pratique, il y a une différence de taille.

Les mouvements contestataires sont de prime abord des mouvements sociaux, c’est-à-dire un « ensemble de mobilisations et d’actions collectives concertées en faveur d’une cause, combinant l’utilisation de techniques de protestation, un travail de revendication sociale à l’égard des autorités en place et la défense d’une conception de la juste répartition des biens désirables au sein d’une société » 6. Ces mouvements ayant une revendication sociale ou politique peuvent évoluer avec l’utilisation de méthodes violentes en des mouvements revendiquant l’indépendance ou l’autonomie de leur région (A), en des mouvements politiques dits « radicaux » (B) ou des mouvements subversifs (C).

Nota Bene : Il est nécessaire de noter l’émergence du mouvement des Gilets jaunes, tout en estimant périlleux d’y apporter une analyse approfondie difficile, à rendre pertinente en cours de route. Quoi qu’il en soit, ce mouvement comprend de facto une revendication sociale, et désormais politique, avec l’utilisation de méthodes dites violentes (en ce qu’elle comprend les pillages d’éléments extérieurs venus des banlieues, et la présence de mouvements radicaux), dont la finalité est devenue tant sociale que subversive, puisque ce mouvement appelle non seulement à la dissolution de l’Assemblée nationale, mais aussi à la démission du chef de l’État avec, in fine la reconnaissance d’une souveraineté populaire, c’est-à-dire l’usage récurrent des référendums.

Les mouvements revendiquant l’indépendance ou autonomie de leur région

La France est une République unitaire dont l’organisation est décentralisée, ce qui confère une certaine autonomie aux collectivités territoriales, à savoir que « dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences » 7. Cependant, la revendication autonomiste reste prégnante notamment en Bretagne, en Corse, dans le pays basque ou encore dans les DROM-COM 8, dans la mesure où leur revendication se fonde sur l’idée que la décentralisation n’est pas suffisante, puisque la réponse devrait être soit l’autonomie, soit l’indépendance.

Pour la Corse, après l’assassinat du préfet Claude Erignac le 6février 1998, l’affaire des paillotes corses du 19 avril 1999 et la progression des nationalistes corses aux élections territoriales du 7 mars 1999, le Gouvernement Jospin proposa un nouveau statut de l’île qui aboutit à la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, dont le but est d’étendre les pouvoirs de l’assemblée de Corse ; ces négociations prirent le nom d’accords de Matignon (1998-2002) 9 et permirent d’accorder une marge de manœuvre plus importante aux Corses dans le cadre de la décentralisation, ce qui n’exempte cependant pas la violence exercée par les mouvements autonomistes. La violence exercée par les mouvements nationalistes corses (Front de libération nationale corse (FLNC), Resistenza, Fronte Ribellu, Armata Corsa, Collectif Unita, Indipendenza, Unione di U populu Corsu (UPC), etc.) s’explique par le fait que ceux-ci estiment se battre en tant que mouvement de libération nationale. Dans l’optique nationaliste et autonomiste, la violence politique corse s’inscrit dans une logique d’opposition claire et établie à la conception républicaine et unitaire de la France. En effet, « la violence y est intégrée soit comme un élément de la culture corse et en ce sens partie à la prétention communautariste, soit plus simplement comme une réponse naturelle à l’autisme de l’État incapable de reconnaître en son sein une forme de pluralité culturelle » 10.

Par ailleurs, l’action des nationalistes basques (Euskadi Ta Askatasuna (ETA), le parti Batasuna, Iparretarrak ou le Parti nationaliste basque (PNB)) a une forte ressemblance avec celle des corses concernant l’idée de revendiquer un territoire à libérer, et sur la méthode employée de l’explosif.

Enfin, et toujours de manière assez proche, les mouvements bretons (Front de libération de la Bretagne (FLB), Union démocratique bretonne (UDB)) exercèrent elles aussi une violence – moins forte que celle de la Corse ou du pays basque – mais installée quoi qu’il en soit dans la durée. Ces mouvements nationalistes optent majoritairement quant à eux pour un système fédéral, et non pour l’autonomie à l’instar des mouvements corses ou basques. Les différents mouvements autonomistes exprimant des revendications identitaires différentes n’en conservent pas moins de très bonnes relations, à tel point que la Bretagne fut un point de refuge et une base arrière pour les militants Basques poussés à la clandestinité, en raison des opérations policières menées en France et en Espagne, mais aussi aux exactions commises par les Groupes anti-terroristes de libération (GAL).

Il en ressort que, localisées, ces revendications n’en restent pas moins prégnantes.

Les mouvements radicaux

Sous la Ve République, le tournant des mouvements contestataires a été mai 1968, qui a présenté une rupture avec les expressions de la rébellion. Si les différents mouvements radicaux ont existé avant 1968, il y eut à ce moment-là une structuration de l’extrême gauche qui investit ensuite le terrain politique.

Les mouvements radicaux sont de deux types : d’une part, ce sont des mouvements intellectuels voués à porter une critique à la racine du problème, c’est-à-dire dont « la critique doit aussi envisager une remise en cause approfondie qui entraîne une véritable rupture avec ce système » 11 et, d’autre part, pour ce qui intéresse les services de police, ce sont aussi des mouvements classés à l’extrême de l’échiquier politique usant de méthodes « radicales » ou violentes à des fins politiques essentiellement, dont le point commun est la contestation d’un régime qui ne leur apparaît plus représentatif car, « la sphère de la représentation politique se clôt. De gauche à droite, c’est le même néant qui prend des poses de cador ou des airs de vierge, les mêmes têtes de gondole qui échangent leurs discours d’après les dernières trouvailles du service communication » 12. Dans la lignée de mai 1968, les mouvements radicaux se cristallisent à l’extrême gauche (Ras l’Front, Section carrément anti-Le Pen (SCALP), réseau Action antifasciste (devenu les Rapaces) ou encore Fédération anarchiste (FA)) et, à l’extrême droite (Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR), Groupe union défense (GUD) devenu Bastion social, ou Identitaires, ces derniers s’étant fait connaître du grand public en organisant des tournées anti-racailles pour tenter de sécuriser le métro parisien) de l’échiquier politique, mais aussi au niveau religieux avec les groupes islamistes avec, par exemple, Forsane Alizza 13.

Peuvent être classés dans les mouvements radicaux les groupes de supporters des équipes de football dont les membres sont appelés hooligans, au regard de l’usage de méthodes radicales et d’une défiance du système et essentiellement de l’institution policière. En effet, « les groupes de hooligans créent et profitent du chaos pour s’en prendre violemment aux supporters adverses, aux forces de l’ordre et au mobilier urbain » 14. Le hooligan est le dernier type de supporter: il y a le supporter lambda, le supporter membre d’une association sportive traditionnelle, les ultras qui sont le type suivant de supporter d’association avec un engagement plus poussé pour le club sans user de violence, et enfin, les hooligans « animés par la seule volonté d’en découdre dans et en dehors du stade, (qui) prennent prétexte du match afin d’organiser des « fights » avec d’autres supporters », à savoir des combats de groupes organisés et codifiés 15.

Les mouvements subversifs

Les mouvements subversifs peuvent être décomposés entre ceux qui ont des intentions politiques (1) et ceux qui, liés aux violences urbaines et n’ont aucune revendication politique (2).

Les mouvements subversifs politisés

Si les mouvements subversifs sont radicaux, tous les mouvements radicaux ne sont pas subversifs. En effet, les mouvements subversifs ont une volonté clairement exprimée de déstabilisation de l’État. Ces mouvements sont animés par des causes idéologiques « telles que la religion, la défense d’une catégorie sociale ou d’un type de société » 16.Aujourd’hui, les mouvements subversifs se retrouvent essentiellement au sein de la cause altermondialiste et anticapitaliste, dans la nébuleuse d’extrême gauche et surtout avec l’action de groupes anarchistes agissant en tant que Black Blocs, en sachant que « le Black Bloc n’est ni une structure, ni une organisation, ni un réseau, ni une idéologie, mais une fonctionnalité au sein d’une manifestation » 17. Pour exemple, en 2009, deux événements mirent en avant les actions commises par ces groupes éphémères et anonymes, à savoir « la Fête de la Musique, à Paris (21 juin) et la manifestation festive d’un « collectif anti-carcéral » à Poitiers, provoquant à chaque fois de sérieuses déprédations. Concentration soudaine de 150 à 200 « Black Blocks » tout de noir vêtus, 40 minutes de casse puis dispersion toute aussi subite. Les assaillants se changent en tenue de ville et se dispersent en couples garçons/filles d’apparence fort sages. Une organisation minutée et qui, on s’en doute, doit peu à la spontanéité» 18.

Hormis les Black Blocs, les autres groupes anarchistes ou anarcho-autonomes les plus violents sont Black Army Faction, Anarchist Action Collective ou Third Position. Ces mouvements agissent lors des sommets internationaux comme la contestation contre le sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à Seattle, en 1999, ou encore les sommets du G8 à Gênes, en 2001, et Évian, en 2003 19. En France, ces mouvements peuvent se retrouver lors de questions sociales, comme les nombreuses manifestations contre la loi travail 20 où les émeutiers utilisèrent notamment des cocktails Molotov 21

De telle sorte qu’au final, il n’y a « rien là qui pèse bien lourd conceptuellement ; plutôt, un prétexte pour des drogués à l’adrénaline. (La) « pensée-Tarnac » est bien plus riche que tout cela – et fort différente » 22.

Aujourd’hui, la menace subversive (en-dehors des altermondialistes qui sont TOUT SAUF antimondialistes), se retrouve en premier lieu au sein de la mouvance de l’ultra-gauche anarcho-autonome, apparue dans le rapport des Renseignements généraux de 2000, et cette mouvance «figure en tant que telle sur deux pages dans le chapitre en comportant 10 pages consacrées aux ‘Électrons libres’ dans lequel figurent en sus les ‘nostalgiques de l’ex-Action Directe’, les ‘Dissidences trotskistes’, les ‘Survivances marxistes-léninistes’ et les ‘Squats politiques et communautés libertaires’» 23. Cette menace se retrouve aussi au sein des autonomes qui « sont apparus en France à partir de 1976 et se sont retrouvés dans la revue Tiqqun. D’influence situationniste marquée, ils reprennent à leurs homologues italiens la valorisation de l’action directe: auto-réductions, squattages, investissement émeutier des manifestations, braquages de banque à l’occasion » 24. Parmi les autonomes figure le groupe de Tarnac (dont l’un des meneurs serait Julien Coupat) 25, présumé avoir saboté le caténaire SNCF en 2008. Le groupe de Tarnac est aussi présumé être le Comité invisible, qui a écrit plusieurs ouvrages (comme L’insurrection qui vient) 26, dont le premier ouvrage a créé la polémique, puisque « fait sans précédent dans les annales judiciaires, un livre dans son intégralité avait été versé dans un dossier d’instruction pour terrorisme » 27. Il faut d’ailleurs noter que le succès de cet ouvrage a dépassé la France pour devenir un best-seller aux États-Unis ainsi qu’en Allemagne.

Mais là encore, ces tentatives de déstabilisation ne sont pas comparables avec des groupes comme Action directe, ou la Fraction Armée Rouge

Les mouvements subversifs liés aux violences urbaines

Les premiers éléments de violences urbaines apparurent en France, en 1979, à Vaulx-en-Velin, quand des groupes de jeunes incendièrent des voitures et s’affrontèrent avec la police 28. Si ces violences urbaines ne bénéficièrent pas encore de définition juridique, les Renseignements généraux (actuel SCRT) les définirent « comme des actes juvéniles collectifs commis de manière ouverte et provocatrice et créant dans la population un fort sentiment d’insécurité » 29. Ces différents affrontements augmentèrent régulièrement ensuite, à partir des années 1990, jusqu’aux émeutes de novembre 2005 (liées à la mort de deux adolescents fuyant la police et cachés dans un transformateur électrique à Clichy-sous-Bois, le 27 octobre 2005). Ils continuent encore aujourd’hui, notamment avec : les incendies de voitures lors de la Saint Sylvestre, ou phénomène plus récent, la « purge » d’Halloween contre les policiers. Si les violences urbaines se concentrent au niveau de l’appartenance territoriale des membres des bandes ou groupes de jeunes (un parallèle doit être dressé avec la revendication du territoire dans le cadre de la criminalité organisée), une évolution s’est faite dans le cadre des différentes manifestations, où l’événement de revendication sociale sert de prétexte pour les attaques et pillages de magasins : « on assiste donc à un cumul […] d’opérations surfant sur les manifestations : contre les forces de l’ordre et les bâtiments publics, contre les magasins et contre les manifestants, ce qui fut particulièrement visible lors des manifestations contre le contrat première embauche (CPE) » 30.

Les violences commises par les bandes dans les manifestations montrent aussi des attaques à caractère raciste. En effet, ces bandes profiteraient de la foule dans les manifestations pour agresser et voler des individus ciblés, comme pour la manifestation du 8 mars 2003, qui a causé plusieurs dizaines de blessés : « des témoins ont entendu à plusieurs reprises des propos tels que : ‘On va casser des petits Blancs.’ Certains lycéens sont les victimes de passage à tabac à dix contre un ; ils reçoivent des coups de poing, des coups de pieds et des coups de bâton, les filles sont traînées par les cheveux. Les insultes racistes fusent : ‘sale Blanc’ est le maître mot de ces lynchages organisés. […] Des dizaines d’adolescents sont conduits dans les hôpitaux. Après enquête, on apprend que la plupart des agresseurs venaient de la Seine-Saint-Denis et des arrondissements du nord de Paris » 31.

Ces bandes profitent aussi des manifestations pour attaquer directement les manifestants, ainsi « à partir de 2005 [manifestations contre la loi Fillon], les mêmes délinquants s’attaquent aussi aux manifestants eux-mêmes. De nombreux manifestants sont agressés, avec comme nouveauté, des agressions visant spécifiquement de jeunes lycéens ‘blancs’ » 32. A la différence des autres mouvements contestataires qui peuvent avoir des revendications politiques ou religieuses, les violences urbaines sont liées à une forme d’irrationalité, puisque ce sont des actes de réaction liés à un mépris des institutions et non à des revendications politiques ou sociales, comme l’ont prouvé les émeutes de novembre 2005, et de l’aveu même des anarcho-autonomes: « toute cette série de frappes nocturnes, d’attaques anonymes, de destructions sans phrases a eu le mérite d’ouvrir à son maximum la béance entre la politique et le politique. Nul ne peut honnêtement nier la charge d’évidence de cet assaut qui ne formulait aucune revendication, aucun message autre que de menace ; qui n’avait que faire de la politique » 33. C’est en sens une différence fondamentale entre la guérilla urbaine et les violences urbaines, car il n’y a pas d’objectif politique visé dans les violences urbaines, tandis que la guérilla urbaine a pour but de s’effectuer dans une optique révolutionnaire, qui « cherche à renverser le régime en place pour imposer un régime révolutionnaire marxiste alors que dans les banlieues, on peut s’interroger sur les objectifs réellement poursuivis » 34.

Que peut-on dire finalement sur ces violences urbaines? Sont-elles une forme de contestation à tendance subversive. Il est clair que ces violences relèvent de la contestation, mais il serait peut-être réducteur d’y voir une tendance à la subversion. Ces violences urbaines ne marquent pas une tentative de déstabiliser l’État, mais au contraire de revendiquer un territoire TOUT EN SE DÉFIANT DE L’ÉTAT, et in fine, d’appliquer dans leur territoire un contre-État, ce que l’on pourrait voir comme un des prismes des nouvelles féodalités (en lien total avec le crime organisé, et l’économie dite souterraine qui s’avère être une économie réelle du département). Des phénomènes de violences, qu’ils soient à tendance politique ou de type violence urbaine, sont présents et bien visibles sur le territoire national. Pour autant, ce sont des épiphénomènes qui ne peuvent réussir à déstabiliser l’État, avec la réserve faite pour le mouvement des Gilets jaunes, qui ne peut subir pour le moment aucune analyse sérieuse, tant ce mouvement est dû à la spontanéité et à l’absence de structuration, faisant la force et la faiblesse de ce mouvement contestataire.

Depuis cinquante ans, les forces de sécurité publique se sont améliorées dans la gestion des manifestations et des émeutes. Plus encore, des services de renseignement sont totalement affectés à la collecte de l’information qui, quoi qu’on en pense, est assez considérable. Enfin, outre les forces de sécurité publique et les services de renseignement, l’État a aussi adapté sa réponse grâce à des outils de rétorsion judiciaire.

La réponse judiciaire aux tentatives de déstabilisation de l’État

Outre les réponses administratives telles que les interdictions de sortie sur la voie publique ou la dissolution des associations 35, le législateur a prévu dans le code pénal des réponses adaptées en fonction de l’échelle de violence avec en premier lieu les violences collectives dans le cadre de manifestations (A) et ensuite les violences collectives dès lors qu’elles portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation (B).

La sanction des violences collectives commises lors de manifestations

Parmi les différents outils judiciaires réprimant les mouvements collectifs violents, il y a l’attroupement défini à l’article431-3 du Code pénal comme «tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public ». L’article 431-3 alinéa 2 du code pénal se réfère à l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure pour dissiper tout attroupement « par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet », ces deux articles ont été introduits par l’ordonnance du 12 mars 2012 36. Dans la pratique, les policiers ou les gendarmes mobiles effectuent ces dispersions si les manifestations viennent à troubler l’ordre public. Cependant, dans le cadre des manifestations violentes contre la loi travail, ces mesures n’ont pas été exécutées tout de suite 37 ou même pas du tout sur consigne de la préfecture de police 38, alors même que les biens alentours étaient saccagés, quitte à ce que la dispersion soit faite en partie par les organisateurs de la manifestation (en l’occurrence ici le service d’ordre de la CGT 39).

Avec la loi dite « Perben II » du 9 mars 2004 40, le législateur a souhaité agir contre les bandes en introduisant la circonstance aggravante de bande organisée dans le code pénal à l’article 132-71, la bande organisée étant « au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions ». Par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance 41, le législateur a souhaité réprimer les nouvelles formes de violence collective. Est ainsi créé en premier lieu l’article222-14-1 du code pénal qui vient sanctionner les attaques, guet-apens commis ou toutes violences commises en groupe à l’encontre des dépositaires de l’autorité publique. En second lieu, le nouvel article 222-15-1 est créé afin de réprimer le délit d’embuscade, l’embuscade étant « le fait d’attendre un certain temps et dans un lieu déterminé un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la Gendarmerie, un membre du personnel de l’administration pénitentiaire ou toute autre dépositaire de l’autorité publique, ainsi qu’un sapeur-pompier civil ou militaire ou un agent exploitant de réseau de transport public de voyageurs, dans le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels, de commettre à son encontre, à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, des violences avec usage ou menace d’une arme » 42. Cette disposition est par ailleurs valable pour les personnes n’étant pas dépositaires de l’autorité publique pour le délit de guet-apens 43. Enfin, le législateur est intervenu pour compléter les dispositions du code pénal à l’égard des bandes violentes 44 en instaurant le délit de participation à une bande violente qui est  «le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000,00€ d’amende» 45.

En complément de ces dispositions sur les attroupements, le décret du 19 juin 2009 46 a introduit l’article R. 645-14 du code pénal prohibant « le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public » 47. Les syndicats des avocats de France mais encore des enseignants du second degré, ont attaqué le décret du 19 juin 2009 intégrant l’article R. 645-14, au motif que la sanction de la dissimulation du visage méconnaitrait les libertés d’expression et de réunion, respectivement inscrites au §2 de l’article 10 et au §2 de l’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Le juge se fonde sur la sûreté publique comme condition possible de restriction des libertés publiques et a rejeté la requête en estimant que « les dispositions du décret attaqué exigent que chaque contravention ne puisse résulter que de l’établissement des faits devant le juge, sans qu’à aucun moment, le constat de l’infraction par le procès-verbal ne puisse présumer de la qualification retenue par l’autorité judiciaire » 48.

De même, la dissimulation du visage peut devenir une circonstance aggravante lorsque les violences ont causé une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours 49, ou supérieure à huit jours< 50. Mais cette disposition est-elle réellement appliquée ? De la théorie à la pratique, il y a un fossé important. Même si Redouane Faïd a été arrêté, celui-ci a pu se déplacer en se couvrant totalement le visage sans que cela ne pose de problème. Là encore, il semblerait cependant que le visage couvert soit plus facilement puni en matière politique qu’en matière religieuse. C’est la raison pour laquelle, en Europe du Nord, des hooligans qui avaient interdiction de se déplacer à visage couvert, sont venus au stade le visage complètement caché par… une burqa.

La sanction des violences collectives pouvant porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation

Les incriminations prévues en temps de paix et portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation concernent des mouvements subversifs qui souhaitent faire évoluer leur contestation politique vers la violence armée, à tel point que la distinction entre terrorisme, guérilla et violence des mouvements subversifs est ici juridiquement ténue.

En premier lieu, le Code de justice militaire prévoit la sanction du complot à l’article L. 322-3 du code de justice militaire où celui-ci est le fait d’avoir « pour but de porter atteinte à l’autorité du commandant d’une formation militaire, d’un bâtiment ou d’un aéronef militaire, ou à la discipline ou à la sécurité de la formation, du bâtiment de l’aéronef » 51. Le complot fait encourir aux coupables de dix ans d’emprisonnement jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité. Alors que le complot est de nature militaire dans le cadre du code de justice militaire, le code pénal envisage plutôt le complot dans une optique d’attentat terroriste à savoir que «constitue un complot la résolution arrêtée entre plusieurs personnes de commettre un attentat lorsque cette résolution est concrétisée par un ou plusieurs actes matériels » 52.

De manière connexe au complot et toujours dans le but de renverser l’autorité étatique en place, le mouvement insurrectionnel (littéralement très proche de la guérilla) est sanctionné aux articles 412-3 à 412-6 du code pénal. Si sa définition est large puisqu’un mouvement insurrectionnel a trait à « toute violence collective de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national » 53, l’article 412-4 du code pénal vient préciser quelles sont les incriminations de participation à un tel mouvement : « Est puni de quinze ans de détention criminelle et de 225000 euros d’amende le fait de participer à un mouvement insurrectionnel : 1° En édifiant des barricades, des retranchements ou en faisant tous travaux ayant pour objet d’empêcher ou d’entraver l’action de la force publique ; 2° En occupant à force ouverte ou par ruse ou en détruisant tout édifice ou installation ; 3° En assurant le transport, la subsistance ou les communications des insurgés ; 4° En provoquant à des rassemblements d’insurgés, par quelque moyen que ce soit ; 5° En étant, soi-même, porteur d’une arme ; 6° En se substituant à une autorité légale ».

Enfin, et dans l’idée d’un mouvement de violence politique armée, le code pénal prévoit la sanction pour quiconque tente-rait de provoquer à s’armer illégalement puisque « le fait de provoquer à s’armer contre l’autorité de l’État ou contre une partie de la population est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende» 54.

Il existe bel et bien des réponses judiciaires à toutes les formes de contestation à tendance subversive. Pour autant, il n’y a plus aujourd’hui d’incrimination pour des complots ou des tentatives de mouvements insurrectionnels. Ainsi, la réponse aujourd’hui apportée s’oriente essentiellement par le renseignement intérieur, et surtout par la gestion sur le terrain des débordements par les forces de sécurité publique.

Sans vouloir jurer sur l’avenir, il semble que, dans les années à venir, l’ampleur de la contestation soit encore plus visible dans le cadre des violences urbaines, mais aussi d’une contestation politico-sociale grandissante et permanente. Il n’est pas à en douter que, s’il n’y aura pas de tentative de déstabilisation de l’État stricto sensu, l’État sera cependant déstabilisé par la violence opérée par des mouvements criminogènes au sein de contre-États, mais aussi par une permanence de la contestation sociale, et que les instruments judiciaires ne soient pas adaptés aux enjeux à venir. Comme pour chaque sujet d’une telle envergure, la réponse politique est la mieux à même de résoudre la situation.

 

1 BAUD (J.), Encyclopédie des terrorismes et violences politiques, Charles Lavauzelle, 2003, p.657.
2 Ibid., p.658.
3 Lien Libération.
4 Lien lesinrockuptibles.
5 Lien Le Nouvel Obs
6 NAY (O.) (dir.), Lexique de science politique. Vie et institutions politiques, Dalloz, Paris, 2008, p.332-333.
7 Const., art. 72 al. 3.
8 Départements et Régions d’outre-mer, et Collectivités d’outre-mer.
9 L. n°2002-92 du 22janvier 2002 relative à la Corse, JORF, 23janvier 2002, p.1503.
</10>2 CRETTIEZ (X.), «La violence politique en Corse: état des lieux», pp. 123-134, inCRETTIEZ (X.) et MUCCHIELLI (L.), Les violences politiques en Europe. Un état des lieux, La découverte, Paris, 2010, p.125.
11 BIAGNI (C.), CARNINO (G.) et MARCOLINI (P.), Radicalité. 20 penseurs vraiment critiques, L’échappée, Montreuil, 2013, p.15.
12 Comité invisible, L’insurrection qui vient, La fabrique éd., Paris, 2007, p.7.
13 Lien FranceInfo.
14 Les bandes criminelles, 1re éd., PUF, Paris, juin2001, p.
15 NICOUD (F.), «La sécurité au mépris des libertés: l’encadrement de l’action des suppor-ters», in GOHIN (O.) et PAUVERT (B.) (dir.), Le droit de la sécurité et de la défense en 2014, Presses universitaires d’Aix-Marseille, Marseile, 2015, p.274.
16 FRANCART (L.) et PIROTH (C.), Émeutes, terrorisme, guérilla… Violence et contre-violence en zone urbaine, Economica, Paris, 2010, p.142
17 BAUD (J.), op. cit., 2003, p.149.
18 RAUFER (X.), «De quoi Tarnac est-il le nom? Herméneutique 1 d’une sombre histoire»,Sécurité globale, Été 2010
19 BENOIT (B.) et SAUSSAC (R.) (dir.), La mondialisation, Bréal, Paris, 2012, p.344-345.
20 Lien Orange.
21 Lien Le Parisien
22 RAUFER (X.), «De quoi Tarnac est-il le nom? Herméneutique 1 d’une sombre histoire»,Sécurité globale, Été 2010, p.4
23 SOMMIER (I.), «Réflexions autour de la «menace» ultragauche en France», pp. 45-63, in CRETTIEZ (X.) et MUCCHIELLI (L.), Les violences politiques en Europe. Un état des lieux, La découverte, Paris, 2010, p.50.
24 Ibid., p.57.
25 lien le Figaro
26 Comité invisible, L’insurrection qui vient, La fabrique éd., Paris, 2007; Comité invisible, Ànos amis, La fabrique éd., Paris, 214; Comité invisible, Maintenant, La fabrique éd., Paris, 2017.
27 DUFRESNE (D.), Tarnac, magasin général, Librairie Arthème Fayard/Pluriel, Paris, 2013, p.89.
28 BAUER (A.) et SOULLEZ (C.), Violences et insécurité urbaines, 12e éd., PUF «Quesais-je?», 2010, p.12-13.
29 JANET (M.), Sécurité publique et violences urbaines, mémoire, Université Panthéon-Assas Paris II, 2012, p.11
30 BAUER (A.) et SOULLEZ (C.), op. cit., octobre2010, p.
31 PELLEGRINI (C.), Banlieues en flammes, Ed. Anne Carrière, Paris, 2005, p.74-75.
32 BAUER (A.) et SOULLEZ (C.), op. cit., octobre2010, p.70
33 Comité invisible, L’insurrection qui vient, La fabrique éd., Paris, 2007, p.9.
34 Chef d’escadron TALARICO, (télécharger le pdf).
35 Lien la Communauté du Droit
36 Ord. n°2012-351 du 12mars 2012 relative à la partie législative du Code de la sécurité intérieure, JORF, n°62, 13mars 2012, p. 4 533.
37 Lien BFM
38 Lien FranceInfo
39 Lien Marianne
40 L. n°2004-204 du 9mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, JORF, n° 59, 10 mars 2004, p. 4 567.
41 L. n°2007-297 du 5mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, JORF, n°56, 7 mars 2007, p. 4 297.
42 CP art. L. 222-15-1.
43 bid., art. L. 132-71-1. Le guet-apens réintroduit par la loi n°2007-297 redevient une circonstance aggravante.
44 L. n°2010-201 du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public, JORF, n°52, 3 mars 2010, p. 4 305.
45 CP art. L. 222-14-2.
46 D. n°2009-724 du 19juin 2009 relatif à l’incrimination de dissimulation illicite du visage à l’occasion de manifestations sur la voie publique, JORF, n°141, 20 juin 2009, p. 10 067
47 CP, art. R. 645-14 al. 1.
48 CE, 23 février 2011, SNES, FSU et SAF, n°329477, cons. 13.
49 CP art. L. 222-13 15°.
50 Ibid., art. L. 222-12 15°.
51 Code de justice militaire, art. L. 322-3 al. 1.
52 CP art. 412-2.
53 Ibid., art. 412-3.
54 Ibid., art. 412-8.


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