La pérennisation de la composante océanique : enjeux et perspectives

Mis en ligne le 08 Juin 2017

Puissance militaire nucléaire depuis le premier essai nucléaire « Gerboise bleue » dans le Sahara en 1960, la France s’est rapidement dotée d’une force de frappe nucléaire à plusieurs composantes : aérienne, maritime et terrestre. Si la composante terrestre a été abandonnée à l’issue de la Guerre Froide, les deux composantes « air » et « mer » demeurent et offrent à notre pays une panoplie dissuasive cohérente, pertinente et crédible. Cet article explore les enjeux et les perspectives attachés à la pérennisation de la composante océanique nationale.

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Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: Bruno Tertrais, “La pérennisation de la composante océanique : enjeux et perspectives”, Note 06/17, FRS, 28 février 2017.

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site de la FRS.

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 La pérennisation de la composante océanique: enjeux et perspectives

 

L’intérêt de la pérennisation de la dissuasion

  • Les armes nucléaires n’ont pas perdu en pertinence

Tous les États disposant de capacités nucléaires développent, pérennisent et/ou modernisent celles-ci. La Russie est actuellement engagée dans un effort massif de renouvellement de sa force de dissuasion et met en oeuvre de nouveaux systèmes d’armes. Elle est soupçonnée par certains analystes de violer le traité sur les Forces nucléaires intermédiaires. Les arsenaux montent en puissance en Asie : les États disposant de capacités nucléaires sur ce continent accroissent la portée et la diversité de leurs arsenaux, ainsi que la quantité de leurs armes ou de leurs matières fissiles. La Corée du Nord a confirmé, par les essais nucléaires qu’elle conduit, qu’elle a pour ambition de se doter d’un arsenal pleinement opérationnel. Les efforts de maîtrise des armements nucléaires se sont essoufflés. Moscou ne semble pas intéressée aujourd’hui par la négociation d’un nouvel accord de réduction des arsenaux russe et américain, sauf à des conditions inacceptables pour Washington (prise en compte des défenses antimissiles, des moyens balistiques conventionnels à longue portée…). La convocation, en 2017, sous l’égide de l’ONU, d’une convention visant à l’interdiction des armes nucléaires n’aura probablement guère d’impact sur le « monde réel » : en effet, tous les pays disposant de ces armes (ainsi que la très grande majorité des pays couverts par la « dissuasion élargie » américaine) s’opposent à un tel traité et n’entendent nullement souscrire à un tel instrument d’interdiction[1].

Or il n’existe pas aujourd’hui d’alternative crédible à la dissuasion nucléaire pour la protection des intérêts les plus essentiels d’un État. La défense antimissile est un complément utile à la dissuasion mais, outre qu’elle ne couvre pas tout le spectre des menaces possibles contre les intérêts vitaux, son coût/efficacité est discutable. Les moyens stratégiques de frappe dans la profondeur sont très coûteux – ce qui les rend peu accessibles aux puissances moyennes – et ne peuvent infliger des dommages inacceptables à un adversaire de manière immédiate (outre le fait qu’ils ne suscitent pas la même « peur » que les armes nucléaires).

Par ailleurs, l’arme nucléaire s’affirme, de plus en plus, comme un instrument au service de la résurgence du nationalisme et des politiques de puissance (Russie, Chine, Inde, Pakistan, Corée du Nord…). Ces États valorisent leurs capacités nucléaires pour impressionner leurs adversaires, y compris par des essais, des manœuvres ou des démonstrations de force. Nous vivrons donc encore dans un « monde nucléaire » pendant très longtemps.

  • Pour la France, l’intérêt stratégique d’une dissuasion indépendante reste intact …

La menace terroriste domine aujourd’hui le débat sur la sécurité de la France. Pour autant, celle-ci n’a pas effacé le risque d’une atteinte à nos intérêts vitaux. La Russie et la Chine affirment en effet de plus en plus nettement leurs ambitions dans leurs voisinages respectifs, y compris en utilisant la force, ouvrant ainsi la possibilité d’une crise très grave entre grandes puissances.

La prolifération nucléaire a certes été freinée, notamment à travers l’accord sur le nucléaire iranien. Toutefois, du fait de l’arrivée de l’administration Trump, l’avenir de celui-ci est devenu plus incertain, de même que celui de la garantie américaine au Japon et en Corée du Sud, alors que la Corée du Nord est en passe de détenir une capacité nucléaire opérationnelle. Avec, in fine, le risque de la « tentation nucléaire » à Tokyo et à Séoul, voire d’un effondrement du régime de non prolifération nucléaire.

D’autres scénarios gagnent en crédibilité. Le « tabou » sur l’emploi des armes chimiques par un État a sauté (Syrie, alors même que son gouvernement est désormais un État partie à la Convention d’interdiction des armes chimiques, CIAC). Et les progrès techniques (biologie synthétique, attaques cybernétiques) font craindre l’apparition de nouveaux risques majeurs pour le territoire et la population.

  • … de même que son intérêt politique

A l’heure où nos principaux alliés, avec les autres membres permanents du Conseil de sécurité, engagent des programmes de pérennisation et/ou de modernisation de leurs arsenaux, il serait pour le moins paradoxal que la France prenne une direction inverse. La dissuasion nucléaire n’est certes pas un facteur de prestige, mais elle reste attachée à notre rang et à notre stature, à notre image de puissance indépendante. Elle est ainsi l’un des soubassements de notre diplomatie.

Sur le plan politique, la possession d’une force de dissuasion permet de garantir la liberté d’action stratégique d’un des trois seuls pays au monde dont l’influence, les responsabilités et les capacités, politiques et militaires, se situent à l’échelle mondiale (États-Unis, France, Royaume-Uni).

Cette garantie doit d’abord, bien sûr, jouer vis-à-vis d’un adversaire. Mais elle joue aussi, différemment, vis-à-vis de nos alliés. Par exemple, il aurait sans doute été plus difficile de s’opposer activement et frontalement aux États-Unis à propos de l’Irak si nous avions été dans une situation de dépendance stratégique vis-à-vis d’eux. Or l’évolution récente des États-Unis rend plus incertaine la protection conférée par Washington à l’Europe : sous la présidence de Barack Obama, la confiance dans la protection apportée par Washington à ses alliés s’est émoussée ; avec l’élection de Donald Trump, une période d’incertitudes, faisant craindre selon certains un « nouvel isolationnisme » américain, s’est ouverte. Cette évolution tend à valider le « récit stratégique » traditionnel français, selon lequel la dissuasion élargie n’est pas une alternative à une dissuasion indépendante.

Enfin, notre force de dissuasion pourrait être, à l’avenir, considérée comme un atout par nos partenaires de l’Union européenne si cette protection américaine devait s’émousser. D’autant plus que le retrait annoncé du Royaume-Uni de l’Union fera de la France la seule puissance nucléaire de cet ensemble – et peut-être la seule puissance nucléaire européenne tout court, si, d’aventure, Londres devait, par un enchaînement de circonstances liées aux conséquences du Brexit (dégradation économique, perspective d’un nouveau referendum d’autodétermination en Ecosse), voir sa dissuasion être affaiblie, voire perdre en crédibilité opérationnelle et politique.

La place de la composante océanique dans la dissuasion française

La Force océanique stratégique (Fost) est basée dans la rade de Brest, au bout de la pointe occidentale de l’Europe continentale. 2 400 personnes y travaillent, soit les deux tiers des forces sous-marines, dont plus de 150 atomiciens experts. Elle dispose de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), chacun doté de seize tubes de lancement : Le Triomphant, Le Téméraire, Le
Vigilant et Le Terrible.

Ces quatre SNLE sont basés à l’île Longue, une presqu’île d’environ trois kilomètres de long située en face de Brest. Une localisation idéale, bien protégée. Tout y est dédié à une seule mission : garantir que la France puisse disposer en toutes circonstances d’une capacité de frappe massive, même en second, afin de dissuader tout adversaire de s’en prendre à nos intérêts vitaux.

C’est ici que l’ampleur de l’investissement français sur le nucléaire est le plus manifeste. La base, qui date des années 1970, a d’ailleurs été entièrement modernisée il y a quelques années. Outre les travaux naturels de rénovation de toute installation ancienne (et de mise en conformité avec les normes de sécurité les plus récentes), il s’agissait de permettre l’arrivée du missile M‑51 et de se préparer à celle de la prochaine génération de SNLE. Le Centre opérationnel de la Fost (Cofost) est, lui, situé à Brest. Un PC alternatif existe à Lyon-Mont-Verdun, colocalisé avec celui des Forces aériennes stratégiques.

Quatre est le nombre minimal de bâtiments dont une force océanique stratégique a besoin pour pouvoir être sûre de disposer à tout instant d’au moins un sous-marin à la mer, quelles que soient les circonstances. Avec trois, cette garantie donnée au Président ne serait pas assurée. Car les risques d’aléas techniques ou de « fortune de mer » existent. On l’a vu en 2009, lorsque deux SNLE, l’un français l’autre britannique, se sont heurtés, par une coïncidence extraordinaire. Par ailleurs, les autorités politiques ont constamment exigé, depuis 1996, que deux bâtiments soient aptes au tir dans des délais réduits. Cette « posture nucléaire » impose le format de 4 SNLE.

En outre, la France ne dispose que d’une seule base, qui même protégée reste exposée à ciel ouvert : la permanence à la mer est donc un impératif.

Le cycle opérationnel

Sur quatre sous-marins, trois sont placés dans le « cycle opérationnel », qui dure environ dix mois pour chaque bâtiment (cinq mois pour l’équipage « Rouge », puis cinq mois pour l’équipage « Bleu »).

Le premier SNLE est à la mer. Le second vient de rentrer ou s’apprête à le remplacer, mais reste apte au tir à la mer dans un délai qui va de quelques heures à quelques jours. Il peut assurer avec le premier une double permanence à la mer si nécessaire, sur décision présidentielle. Jusqu’à la fin de la Guerre froide, la posture réelle était de 2,2 SNLE à la mer en moyenne (plus de 3 après 1982). Dans les années 2000, elle était comprise entre 1 et 2, un chiffre en accord avec les directives présidentielles.

Le troisième bâtiment est à quai en indisponibilité pour entretien (IE ou « arrêt technique ») pendant sept semaines et ne serait mobilisé, avec un certain délai, qu’en cas de nécessité absolue. Le quatrième, enfin, est à Brest, en indisponibilité périodique pour entretiens et réparations (Iper, ou « arrêt technique majeur », ou encore « grand carénage »). L’Iper a lieu tous les dix ans et dure environ deux ans.

À l’intérieur de la coque, une centrale nucléaire, une base de lancement spatial, et un espace de vie pour 110 personnes (et cinquante métiers différents), avec espaces pour le sport et pour le cinéma – et une boulangerie. Bientôt, peut-être, des femmes en feront partie ; une expérimentation à cet effet doit débuter en 2017.

Les SNLE en patrouille

Lorsque le sous-marin sort du goulet de Brest, il faut s’assurer de l’absence de toute présence hostile (ou même alliée) dans le voisinage. Y compris parce qu’il est difficile de garder le secret absolu sur le départ en patrouille. Les opérations de la Fost peuvent mobiliser à cet effet jusqu’à deux sous-marins nucléaires d’attaque, quatre frégates anti-sous-marines, des moyens de guerre des mines et des avions de patrouille maritime. L’amiral commandant la Fost a autorité sur les deux escadrilles, celle des quatre SNLE et celle des six sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) basés à Toulon.

Où patrouillent-ils ? Seul le commandant du bâtiment connaît précisément sa position. L’invulnérabilité des SNLE français repose à la fois sur leur discrétion intrinsèque et sur le concept opérationnel de « dilution » (qui bénéficie du renseignement transmis à la mer). Contrairement à d’autres pays, qui se reposent plutôt sur la protection de leurs bâtiments par des SNA ou encore sur la création de « bastions » protégés par des moyens classiques et des réseaux fixes de détection. Il faut dire que le renseignement sur la menace sous-marine provient en partie d’échange avec des pays alliés.

Ainsi, « trois jours après être sorti du goulet de Brest, le SNLE se dilue déjà dans un espace dont la superficie dépasse celle de la France (…). Au bout de sept jours, cette superficie est celle de l’Europe »[2]. Avec le M‑51, le commandant dispose d’une marge de
manœuvre accrue. Auparavant, pour tirer au-delà de l’Oural, il fallait aller… ailleurs qu’en Atlantique.

Le stade d’alerte de la Fost va de quelques jours à quelques heures. Les patrouilles durent environ soixante-dix jours. Elles pourraient être prolongées, dans les limites de ce qu’autorisent la disponibilité en vivres et l’équilibre de l’équipage. Soit environ quatre-vingt-dix jours. Le bâtiment patrouille à plusieurs centaines de mètres de profondeur. Il est plus discret que le bruit de fond de la mer (fonds marins, activités humaines, faune sous-marine…).

La permanence de la dissuasion est une question de crédibilité, et une garantie de bon fonctionnement du système, de maintien des compétences opérationnelles et de motivation des personnels. Dans le cas particulier de la Fost, il s’agit aussi d’éviter, si le SNLE devait n’appareiller qu’en temps de crise, qu’il se trouve vulnérable face à un adversaire qui aurait mobilisé des moyens importants pour le neutraliser ; ou que le départ du bâtiment soit perçu comme un signal d’escalade ; ou que les personnels soient soumis à des influences extérieures.

Les atouts de la composante océanique

Les atouts de la composante océanique sont principalement au nombre de trois :
⇒ La capacité de frapper en second en toute circonstance, même si un adversaire avait procédé à des destructions massives sur le territoire national, y compris sur les infrastructures de la dissuasion.
⇒ La capacité d’exercer des « dommages inacceptables » à tout État, même une puissance majeure.
⇒ La capacité de frapper, de manière immédiate et assurée, tout adversaire ayant porté atteinte à nos intérêts vitaux, même géographiquement distant.

Cette combinaison est unique. La composante aéroportée dispose d’autres atouts, parfaitement complémentaires.

La Fost dispose aujourd’hui de trois lots (un par sous-marin opérationnel) de missiles M‑51. En 2016, le Triomphant a reçu le nouveau missile M‑51.2. Le Téméraire qui emportait des missiles M‑45 est en cours d’adaptation au M‑51.2. Le Terrible et Le Vigilant sont dotés du missile M‑51.1 et recevront progressivement son successeur.

Les armes sont assemblées à l’île Longue, et les missiles à la pyrotechnie annexe de Guenvenez, à quelques kilomètres de là, sous la responsabilité de la DGA. On place les armes et les aides à la pénétration sur le « plateau porte-objets » avant de refermer le troisième étage. Chaque missile M‑51.1 emporte jusqu’à six armes TN‑75. Le M‑51.2 emporte un nombre non spécifié de Têtes nucléaires océaniques (TNO), variable d’un missile à l’autre.

La portée « utile » du M‑45 était de l’ordre de 5 000 kilomètres. Le M‑51 a, lui, une portée bien supérieure : c’est le premier missile intercontinental français. Le général de Gaulle avait proposé la formule « tous azimuts » pour évoquer ce spectre large de la dissuasion française. Cinquante ans plus tard, avec le M‑51, la France dispose de cette capacité. En outre, sa version M‑51.2 a une allonge plus grande que celle du M‑51.1, car les corps de rentrée des TNO sont conçus pour affronter des vitesses supérieures à celle qui est permise par les TN-75. Quelle est la portée exacte du M‑51.2 ? Le nombre d’armes emportées étant variable, le chef du projet à la DGA se borne à dire qu’« aucun point de la planète n’est hors de portée d’un M‑51 lancé depuis un SNLE »[3]. Selon le Délégué général pour l’armement, sa portée maximale serait « un petit 10 000 kilomètres »[4]. Avec une vitesse atteignant Mach 20 (sept kilomètres par seconde), il pourrait atteindre les confins de l’Asie en quelques trente minutes. Le M‑51 est doté de capacités de recalage autonome en vol (visée stellaire), lui donnant une précision in fine meilleure que celle du M‑45. Il est optimisé pour l’emport de la TNO, qui est réputée plus volumineuse et plus lourde que la TN‑75 à laquelle elle succède.

Les missiles ne sont pas ciblés en permanence, et des coordonnées de tir peuvent être transmises à tout moment, même lorsque le bâtiment est en patrouille. Si les « stations de communication à longue distance » situées sur le territoire métropolitain et émettant dans les très basses fréquences sont partie intégrante de la Fost, les communications peuvent emprunter d’autres chemins.

Les « retombées » de l’existence d’une composante océanique

Comme on le sait, dans le domaine de la dissuasion, nombre de capacités sont duales : elles bénéficient tout autant aux missions classiques qu’aux missions nucléaires. Ce que l’on sait moins, c’est que le format de certaines d’entre elles n’a été sanctuarisé au cours des révisions programmatiques des vingt-cinq dernières années qu’en raison de leur rôle dans la dissuasion : sous-marins nucléaires d’attaque, bâtiments anti-mines, frégates anti-sous-marines, avions de patrouille maritime… On peut dire que, pour la marine, la mission de dissuasion « tire vers le haut » la mission classique.

La force de dissuasion est aussi un puissant moteur de l’industrie de défense. Elle a permis le développement de technologies dites de souveraineté qui demeurent au cœur des compétences nationales les plus en pointe. Si la France sait mettre au point – et exporter – des sous-marins modernes, c’est grâce à la dissuasion. Et c’est un savoir-faire qui peut se perdre, comme s’en rendent compte aujourd’hui les Britanniques, faute d’avoir étalé dans le temps leurs propres programmes… Métallurgie des coques, discrétion acoustique, sonars, réacteurs, systèmes de combat : tout
ceci provient de la dissuasion.

La composante océanique a également permis aux industriels de la défense de se compter parmi les meilleurs « ensembliers » du monde : leur capacité à concevoir de grands systèmes complexes tels que les SNLE n’est plus à démontrer. Le SNLE est, avec la navette spatiale, l’engin le plus complexe fabriqué par l’homme, aiment à dire les ingénieurs qui le conçoivent et les industriels qui le fabriquent. Il compte plus d’un million de pièces et de composants et demande quinze millions d’heures de production.

C’est ainsi que les autorités françaises ont pu affirmer qu’il y a, « entre la dissuasion et les forces conventionnelles, un cercle vertueux au plan industriel, qui correspond aussi à une crédibilité croisée sur le plan opérationnel »[5].

Le renouvellement de la composante et son avenir

À la fin de la décennie, avec l’entrée en service de l’ensemble des missiles M‑51.2, la France aura terminé le grand cycle de renouvellement complet de ses forces engagé en 1995.

La prochaine version du M‑51 – qui entrera en service vers 2025, dans le but notamment de continuer à garantir la pénétration des missiles face à l’évolution des défenses antimissiles – est déjà sur les rails ; la commande du M‑51.3 a été notifiée en 2014.

La durée de vie maximale des sous-marins de la génération actuelle a été étendue à trente-huit ans. Il faudra que le premier bâtiment de la nouvelle série soit prêt à entrer en service lors de la fin de vie du Triomphant, au début de la décennie 2030. La conception du SNLE de troisième génération a donc commencé ; son tonnage sera très proche de celui des sous-marins actuels, car il emportera un missile dérivé du M‑51. Cette décision rendue publique par le Président de la République en février 2015, dans son discours prononcé à Istres, confirme que les capacités de la dissuasion française devront être pérennisées dans une logique de stricte suffisance en fonction du contexte prévisible des prochaines décennies (menaces, défenses…), et d’optimisation des coûts (infrastructures…). Le lancement du programme de prochain SNLE doit intervenir en 2017.

Faudra-t-il absolument en construire quatre ? Pour les raisons décrites plus haut, la réduction du nombre de SNLE est impossible dès lors que l’on souhaite garantir le maintien en toute circonstance d’un bâtiment au moins à la mer – principe à juste titre considéré en France, comme dans la plupart des puissances nucléaires, comme consubstantiel à la notion même de dissuasion.

Précisons aussi qu’une dissuasion « à trois SNLE » ne réduirait pas le coût de la composante de manière homothétique : non seulement les infrastructures resteraient les mêmes, mais le coût du quatrième bâtiment construit est toujours largement inférieur à celui du premier en raison des économies d’échelle. L’expérience récente de la Russie montre par ailleurs qu’il serait très difficile de « revenir à la permanence », une fois celle-ci abandonnée. La Marine russe a mis plus de quinze ans pour retrouver cette capacité, sans totalement l’assurer à ce jour…

La seule possibilité de réduire le nombre de SNLE sans mettre en cause la permanence à la mer serait de mettre en commun, ou en pool les forces océaniques britanniques et françaises. Mais ce choix impliquerait la reconnaissance simultanée par Londres et Paris d’une coïncidence absolue des intérêts vitaux des deux pays, ce qui aujourd’hui n’irait absolument pas de soi, ni d’un côté de la Manche ni de l’autre. On imagine d’ailleurs assez mal comment les Français pourraient faire reposer leur sécurité ultime sur une dissuasion britannique très liée à celle des États-Unis et intégrée dans l’OTAN. Et cela suppose la pérennisation sur le long terme d’une dissuasion britannique opérationnelle pleinement crédible, ce qui ne semblait pas aller totalement de soi en 2016 en dépit du vote de la Chambre des Communes sur le programme de renouvellement des SNLE du pays, du fait des incertitudes financières et politiques (avenir de l’Ecosse) ouvertes par la perspective du « Brexit ».

La composante océanique est donc l’essence même d’une dissuasion fiable et stable. Au temps de la Guerre froide, certains analystes voyaient une corrélation entre la culture militaire (plutôt « maritime » ou plutôt « terrestre ») des grands États et leurs priorités dans le domaine des porteurs d’armes nucléaires. Cette observation n’est plus d’actualité : ce n’est pas un hasard si tous les pays disposant d’armes nucléaires qui ne disposent pas d’une composante océanique s’en sont dotés, ou cherchent à en disposer. Le Royaume-Uni et les États-Unis ont décidé le renouvellement de leurs SNLE. La Russie et la Chine sont en passe de mettre en oeuvre une nouvelle génération de bâtiments. L’Inde travaille activement à se doter d’une telle composante, le Pakistan affirme vouloir faire de même, et la Corée du Nord teste des missiles destinés à être tirés depuis un sous-marin.

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