Le défi démographique : mythes et réalités

Mis en ligne le 30 Juil 2018

Avec cet article, l’auteur livre les indispensables clefs de lecture de la démographie mondiale et des défis présents et futurs qui y sont associés. L’analyse bat en brèche idées reçues, préconçues, et propose une lecture objective de cette question, au cœur de l’ensemble des grandes problématiques sociétales, donc stratégiques.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont : Bruno Tertrais, « Le défi démographique : mythes et réalités », FRS.

Vous pourrez retrouver l’étude complète à l’adresse suivante : http://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/le-defi-demographique-mythes-et-realites-note_0.pdf 

Ce texte, ainsi que d’autres publications peuvent être visionnés sur le site de la FRS :


Nous vivons un tournant dans l’histoire de l’humanité.

Serons-nous plus de 11 milliards en 2100 ? C’est la dernière prévision de l’ONU, fondée sur une croissance de la population mondiale de 1,1 % par an. Certes, ce chiffre est hypothétique : néanmoins, il est révélateur des bouleversements démographiques que nous vivons.

Ressources, climat, conflits, migration, urbanisation, vieillissement, géopolitique… La question démographique est aujourd’hui au cœur de toutes les grandes problématiques sociétales contemporaines. Chaque zone du globe est affectée différemment par les évolutions de population. A titre d’exemple, l’Afrique n’a pas achevé sa transition démographique, tandis que l’Europe devrait voir sa population stagner, puis se réduire, d’ici 2050. L’Asie est un territoire très divers, entre un Japon en déclin et une Inde en plein boom.

Devant cette multitude de changements, un grand nombre de questions voient le jour. Pourrons-nous tous vivre sur la planète Terre en 2100 ? Comment gérer au mieux les flux migratoires ? Quel sera l’impact des évolutions démographiques sur la géopolitique mondiale, les conflits, le climat ?

Sous-estimer les effets sociétaux, environnementaux, politiques et géopolitiques des évolutions démographiques et migratoires serait une erreur.

Néanmoins, il est indispensable d’analyser ces évolutions en s’appuyant sur des faits. La question démographique fait trop souvent l’objet de débats passionnés et irrationnels, notamment concernant la question migratoire ; on associe trop facilement croissance démographique et croissance économique, sans que soient pris en compte la pyramide des âges, la situation du marché de l’emploi, l’environnement institutionnel, politique, légal, culturel… L’objectif de cette note est ainsi de rappeler, de façon objective, les prévisions d’évolutions de la population et les défis que celles-ci soulèveront pour notre société. 

QUELS DEFIS…

… pour l’Europe ?

Sous l’angle démographique, l’Europe est une zone en déclin.

  • En 2015, l’Europe est entrée en dépopulation (nombre de décès supérieur au nombre des naissances). Elle ne doit sa croissance actuelle qu’à l’immigration. Le vieillissement global de sa population va s’accentuer : en 2030, elle pourrait avoir décliné par rapport à aujourd’hui – ce serait le seul grand espace régional du monde dans ce cas.
  • Toute la partie orientale du continent européen est affectée. C’est en effet en Europe centrale et orientale que se trouvent dix des onze pays du monde appelés à perdre (sauf immigration massive et durable) plus de 15 % de leur population d’ici 2050 : Bulgarie, Lettonie, Moldavie, Ukraine, Croatie, Lituanie, Roumanie, Serbie, Pologne, Hongrie.

Des disparités démographiques importantes au sein de l’Europe

(Cliquer sur l’image pour une meilleure résolution)
  • Au-delà de ses évolutions “organiques”, l’Europe doit composer avec des migrations importantes. Les demandes d’asile ont atteint le nombre de 1,3 million en 2015, au pic de la crise des réfugiés (le taux de réponses positives en Europe a varié selon les années, mais il est de l’ordre de 40 à 60 %). Rappelons néanmoins que le taux de migration intercontinentale net annuel – part de la population imputable aux mouvements migratoires entre continents -, après avoir augmenté entre 1980 et 2010, a diminué dans les années 2010-2015. Une étude réalisée par l’Institut Gallup va dans ce sens. Elle souligne que le pourcentage de personnes se disant désireuses d’émigrer a diminué entre les années 2007-2009 (16 %) et 2013-2016 (14 %). Le phénomène migratoire, au coeur de l’actualité, doit ainsi être nuancé une fois inscrit dans une perspective historique.

Les migrations : des variables démographiques majeures en Europe

(Cliquer sur l’image pour une meilleure résolution)
… pour l’Afrique ?

L’Afrique est le seul continent pour lequel l’ONU a révisé à la hausse, à plusieurs reprises, ses prévisions de population depuis les années 1980 en raison des facteurs suivants :

  • L’ISF moyen toujours élevé (l’indice synthétique de fécondité soit le nombre d’enfants par femme). Celui-ci était de 6,6 dans les années 1975-1980. Il est aujourd’hui en baisse, mais de manière assez lente : estimé à 4,7 pour 2010-2015. Le “record” est détenu par le Niger avec 7,4 en 2010-2015, suivi par la Somalie (6,6), la RDC (6,4), l’Angola et le Burundi (6,0), l’Ouganda (5,9) et le Nigéria (5,7).
  • Une population jeune. Le continent africain est, de loin, le continent le plus jeune. On y trouve les valeurs les plus basses pour l’âge médian et les plus fortes proportions de jeunes de moins de 15 ans dans la population (l’Ouganda et le Niger en sont deux exemples).
  • Des gains d’espérance de vie très importants. En termes d’espérance de vie à la naissance, ce gain est estimé à + 6,6 ans entre 2000-2005 et 2010-2015.

Alors que l’Afrique ne représente que 17 % de la population mondiale aujourd’hui, sa croissance démographique ralentit moins rapidement que celle des autres continents :  elle pourrait être, à la fin du siècle – échéance à laquelle les projections sont certes peu sûres – la quasi-égale de l’Asie, soit 40 % de la planète.

L’Afrique, seul continent voyant sa population croître significativement

(Cliquer sur l’image pour une meilleure résolution)

 

Contrairement aux idées préconçues, les Africains émigrent peu :

  • L’Afrique est ainsi le continent qui comprend les flux migratoires les moins élevés au monde en proportion de la population totale. L’émigration s’effectue d’abord au sein de pays voisins : près de la moitié des migrants africains vivent ainsi en Afrique.
  • De plus, la grande pauvreté se révèle être un obstacle à l’émigration plutôt qu’un déterminant (du fait du manque de capital de départ) : la République centrafricaine, la République démocratique du Congo et le Niger, qui sont au nombre des pays les plus pauvres et les moins développés du monde, voient peu de leurs citoyens quitter leur pays (moins de 3 % de leur population vit à l’étranger). L’aide au développement n’est ainsi pas l’outil de frein à l’émigration que beaucoup imaginent.

Les flux migratoires africains sont majoritairement intracontinentaux

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… pour le monde ?

Pour la population mondiale ?

La population mondiale est en croissance (+1,1 % par an), et cette dynamique devrait continuer, d’après l’ONU. Cette tendance, globale, est néanmoins en ralentissement. La transition démographique – passage d’une natalité et une mortalité forte à une natalité et une mortalité faible – est à l’oeuvre dans le monde entier à des échelons divers. Ainsi,

  • entre 1965 et 1970, le taux de croissance de la population atteignait ainsi plus de 2,05 % par an vs. 1,1 % par an aujourd’hui ;
  • L’ISF moyen dans le monde était de 3,9 dans les années 1975-1980 ; il est estimé à 2,4 pour les années 2015-2020 et pourrait atteindre 1,9 dans les années 2095-2100.

S’il existe une tendance mondiale, Il est ainsi essentiel de souligner d’importantes disparités entre deux univers : d’un côté, celui des puissances vieillissantes (essentiellement l’Eurasie) et, de l’autre, celui des pays les plus jeunes (l’Afrique notamment, mais aussi une partie de l’Asie). Dans les décennies qui viennent, l’accroissement de la population mondiale proviendra pour moitié de la contribution d’une dizaine de pays : Inde, Nigéria, République démocratique du Congo, Pakistan, Ethiopie, Tanzanie, Etats-Unis, Ouganda ou Indonésie.

Pour la planète ?

Qu’adviendra-t-il de notre planète si la population augmente comme prévu par l’ONU, atteignant 11 milliards d’ici 2100 ? Pourrons-nous nourrir l’ensemble de ses habitants ?

Pour répondre à cette question, il est nécessaire de dépasser les discours pessimistes qui dominent les débats. Les problèmes nutritionnels qui existent, principalement en Afrique, sont avant tout d’ordre humain et non naturel (conflits, mauvaise gouvernance, insuffisance des transports). Même si elle demeure importante, la malnutrition est en diminution (14 % en 2000 contre 11 % en 2016). La production de céréales par an et par personne est supérieure (plus de 300 kilos) aux besoins (200 kilos). En optimisant l’usage et la répartition des ressources, en limitant le gaspillage, en mettant en culture de nouvelles terres, en développant des techniques d’irrigation plus économes, il est possible – pour ne pas dire certain – que notre planète pourra accueillir, et nourrir, 10 ou 12 milliards d’habitants, et même plus.

Par ailleurs, comme le souligne Groupe intergouvernemental d’experts du climat (GIEC), les déplacements liés à des causes environnementales sont généralement progressifs, et très dépendants des opportunités économiques qui se présentent ailleurs (les flux restent donc encore prévisibles et maîtrisables). L’augmentation de la population mondiale n’est pas sans impact sur les changements climatiques de la planète : néanmoins, celles-ci ne sont jamais l’unique raison  poussant les populations à migrer vers d’autres territoires.

Pour le nouvel ordre géopolitique mondial ?

La géopolitique est indissociable des évolutions démographiques, tant celles-ci peuvent affecter directement les grandes puissances mondiales et redistribuer drastiquement les cartes en matière de soft power :

  • Les Etats-Unis, première puissance mondiale, devraient consolider leur position de leader du fait d’un taux de natalité relativement élevé (représentant plus de la moitié de l’accroissement annuel de la population) et de la poursuite de l’immigration (moins de la moitié) ;
  • La Chine devrait continuer son décrochage démographique vis-à-vis de l’Inde (en 2100, l’Inde pourrait compter un milliard et demi d’habitants… contre un milliard pour la Chine). L’Empire du Milieu fait face à un vieillissement sans précédent de sa population, dû notamment à sa politique de l’enfant unique qui a multiplié les modèles familiaux 4-2-1 (quatre grand-parents, deux parents et un enfant).
  • L’Europe connaîtrait de son côté une phase démographique difficile, marquée par une réduction de sa population d’ici 2030. D’ici 2050, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France demeureraient les trois pays les plus peuplés du continent, mais les écarts de populations se ressereraient, l’Allemagne voyant sa population stagner entre 2015 et 2050 tandis que la France, comme le Royaume-Uni, verront leurs populations augmenter (entre 7 et 10 millions d’habitants supplémentaires).
  • Le vieillissement généralisé (en 2050, on comptera plus de seniors que de moins de 20 ans) pourrait entraîner ce que l’on appelle “une paix gériatrique” : les pays ayant une population plus âgée étant moins susceptibles de connaître des épisodes de violence.

D’ici la fin du siècle, la population terrestre pourrait se stabiliser – environ deux enfants par femme, tous continents confondus, et une espérance de vie à la naissance de plus de 80 ans. La manière dont l’Afrique évoluera déterminera la taille de la population mondiale à cette échéance : selon l’évolution de sa fécondité, la population mondiale pourrait alors être, selon les projections médianes, de 11 milliards d’habitants selon l’ONU… ou seulement de 9 milliards selon l’IIASA. Une incertitude à deux milliards d’hommes, en somme.


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