Le Séisme de Lisbonne en 1755 : Retour sur une gestion de crise marquante

Mis en ligne le 23 Oct 2017

Le séisme de Lisbonne en 1755 et ses dizaines de millier de victimes a profondément marqué les penseurs européens de l’époque et eu un impact suffisamment bouleversant pour transformer la culture et la philosophie européennes. Néanmoins, il est une leçon moins culturelle ou philosophique qui peut être tirée de cet épisode dramatique. La façon dont cette crise majeure fut gérée par les autorités portugaises a en effet été édifiante à maints égards et porteuse de concepts pionniers en matière de sécurité. Ainsi, au travers du bilan de la catastrophe et des réponses apportées, cet article dégage les lignes de forces d’une approche moderne de la gestion de crise comme de la prévention des risques.

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Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: G. Delatour, P.H. Richard, P. Laclemence et A. Hugerot, “Le Séisme de Lisbonne en 1755 : Retour sur une gestion de crise marquante”, Université de Technologie de Troyes, 16 Octobre 2017.

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site de l’UTT.

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Le Séisme de Lisbonne en 1755

Retour sur une gestion de crise marquante

 

 

 

Introduction

Au cœur du XVIIIe siècle, l’Europe des Lumières a connu une série de tremblements de terre dévastateurs. Parmi ces évènements majeurs (Sicile en 1693, Bordeaux en 1759, ou encore Calabre en 1783), celui de Lisbonne en 1755 est resté l’un des plus emblématiques, autant par la gravité des conséquences, que par la gestion de l’événement par les autorités de l’époque. Le samedi 1er novembre 1755, la capitale portugaise, alors peuplée d’environ 235.000 habitants, est violemment frappée par un tremblement de terre de magnitude 8,5 sur l’échelle actuelle de Richter. Lisbonne est alors presque entièrement détruite, balayée par le raz de marée et dévastée par les incendies qui lui font suite. Cette destruction entraîne une immense émotion partout en Europe, alors plongée en plein bouillonnement intellectuel des Lumières. Le gouvernement de l’époque, par sa promptitude à répondre et par le panel de mesure prises pour venir en aide à la population et reconstruire la ville, a fait état d’une maîtrise exceptionnelle, où tous les thèmes actuels de sécurité globale ont été simultanément déclinés. La gestion de cet évènement, presque 250 ans avant l’émergence des concepts de sécurité globale et de gestion de crise, nous éclaire la manière dont il s’agit de penser l’organisation de la réponse humaine, individuelle et collective, face à des situations de crise par nature exceptionnelles et imprévisibles.

 

Un tremblement de terre d’une gravité exceptionnelle

En 1755, Lisbonne, capital de l’empire colonial Portugais et résidence du roi, est rayonnante et peut déjà être considéré comme une “ville monde”. Quatrième ville d’Europe avec plus de 300000 habitants, elle est au cœur du réseau portuaire et commercial du Nouveau Monde. Lisbonne est également une ville très pieuse avec 200 000 membres du clergé. Palais et palaces rivalisent de beauté pour abriter religieux, marchands et diplomates.

Fort de ces richesses, le royaume portugais fait en outre face à des vulnérabilités socioéconomiques latentes. En basant uniquement sa richesse, et par corollaire son pouvoir, sur l’extraction d’or de ses colonies, le Portugal néglige la production manufacturière. Cette fragilité peut s’expliquer en partie par le contexte géopolitique dans lequel se trouve le Portugal qui serait sous domination Anglaise, que cela soit sur le plan économique ou politique (GOUDAR, 1756). Cette “tutelle” s’inscrit dans l’évolution de l’alliance diplomatique, militaire et économique anglo-portugaise débuté au 13ème siècle. Au début du 18ème siècle, les deux pays signent un traité commercial où le Portugal à l’assurance de vendre son vin en exclusivité en Angleterre, en échange le Portugal s’ouvre largement aux biens manufacturés anglais.

C’est dans ce contexte que la catastrophe survient. Nous sommes le 1er novembre 1755, jour des morts, peu après neuf heures du matin, une secousse terrible d’une durée dit-on de huit minutes et estimée à posteriori entre 8.5 et 8.7 sur l’échelle de Richter se produit. Le séisme, dont l’épicentre sera identifié au large des côtes, juste en face de la ville de Lisbonne. Ce séisme fut ressenti à travers toute l’Europe des Açores jusqu’à Hambourg avec des débordements du Rhône et du Pô. A Paris, une réplique tardive est même signalée le 18 février 1756. Les registres paroissiaux de plusieurs villes en garde le souvenir. Peu après la secousse, les survivants se précipitent et se regroupent sur les quais où ils assistent au reflux de l’océan, mettant à nu les fonds sableux « jonchés d’épaves » puis voient avec effroi arriver la première vague d’un formidable tsunami dont la hauteur fut de 10 à 15 m et balaya jusqu’aux villes du golfe de Cadix. Les dégâts sont immenses et sont recensés tout au long de la côte atlantique de la péninsule ibérique. En plus du double événement que constitue le séisme et le tsunami s’ajoute, des incendies qui ravagent Lisbonne pendant cinq jours (PEREIRA, 2006).

Le bilan humain et économique est immense et difficilement mesurable tant les destructions sont multiples et étendues. Le nombre de victime est toujours en débat pour plusieurs raisons : la destruction des registres paroissiaux de catholicité lors des effondrements et incendies multiples, le dénombrement des feux imprécis[1], la non comptabilité des « gens de peu » ou « gens de misère » et des enfants avant l’âge de 7 ans.

Des approximations réalistes ont été affinées depuis cette époque et les estimations les plus probantes avancent une fourchette de 15 à 40 000 morts sur une population de Lisbonne globale entre 180 et 220 000 habitants. Soit une mortalité directe (ensevelis, écrasés, traumatisés, brûlés, noyés…) d’environ 15%, à laquelle s’ajoutent des blessés et sans abris par dizaine de milliers. Egalement, il convient d’ajouter environ 20 000 morts sur l’ensemble des côtes du Portugal, soit un total général admis de 40 à 45 000 morts. L’impact économique de la catastrophe est estimé entre 32 et 48 % du produit intérieur brut du Portugal de l’époque soit environ 3.7 milliards d’euros (ROHRBASSER, 2010).

Cette catastrophe entraîne une triple rupture chez les protagonistes de ce chaos. Il s’agit premièrement d’une rupture spatiale avec la destruction des espaces de vie. Dans Lisbonne plus des deux tiers des bâtiments sont méconnaissables et inhabitables. A cette perte de repères visuels se cumule le trouble des repères olfactifs. Fumées d’incendies, odeurs nauséabondes liées aux déchets et cadavres rendent l’air de la ville irrespirable, et favorisent le développement d’épidémies (BAUDRY, 2009). Deuxièmement, les habitants sont soumis à une rupture sociale avec la difficulté voire l’impossibilité de pouvoir consacrer des rites funéraires aux victimes, la disparition du patrimoine identitaire collectif (les registres paroissiaux ayant brûlés) et par l’exode rural des citadins fuyant la ville. Enfin, la troisième rupture est temporelle, dans la mesure où la catastrophe, puis sa gestion, interrompent le quotidien et laisse place à un temps suspendu proche d’un “État d’urgence”. Les mesures de gestion de crise et de reconstruction prisent unilatéralement par le directeur des opérations de l’époque, s’imposent dans l’exceptionnalité. Les conséquences du désastre suscitent l’inquiétude bien au-delà du pays. Les secousses ressenties, les mauvaises nouvelles épistolaires (Information du décès de l’ambassadeur d’Espagne, du chef de séminaire anglais ou encore du frère de Racine) et les différents écrits autours de la catastrophe donnent suscitent un écho européen à l’événement.

 

Une réponse globale, dans la proximité

Dès les premières heures après le séisme, devant l’ampleur des destructions et pour faire face au chaos, la population et le gouvernement se mobilisent. Deux phases se succèdent alors : la réponse à l’urgence, puis la reconstruction.

Nombre d’auteurs décrivent le succès de la gestion de cette évènement à travers le nombre et l’importance de décisions prises dès les premières heures qui ont suivies la catastrophe (JACK, 2005; DYNES, 2005; ARAUJO, 2006). De nombreuses décisions furent prise par le marquis de Pombal véritable leader de crise.

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Encadré (citations tirées de Septenville (1868))

L’homme : Don Sebastian Joseph de Carvalho e Mello est né au Portugal, à Lisbonne, le 13 janvier 1699, dans le palais de la rue Formosa, demeure de ses ancêtres. Il est le fils de Don Manuel de Carvalho, gentilhomme de la Cour du Roi et capitaine de cavalerie et de Teresa de Mendosa, fille d’une illustre famille portugaise. Avantagé par la nature, diront ses contemporains, beau grand et fort, d’une « taille excessivement élevée » des « traits fins et réguliers », un « air noble et imposant » une « mine fière », un « nature vive et le goût des armes qu’il tenait de son père », une « bravoure à toutes épreuves et une force peu commune ». Le jeune homme suit des études de droit comme il sied à son rang, mais rapidement, sa nature le fait remarquer et il intègre le corps des gardes du Roi. Il est remarqué grâce à sa vivacité d’esprit et sa propension constante à aller de l’avant. Sa naissance et sa famille lui feront naturellement des échos à la Cour du Roi et plus particulièrement à la Reine Marie-Anne d’Autriche, femme d’une grande ouverture d’esprit, d’une grande culture et écoute. Joseph de Carvalho va rapidement fréquenter régulièrement le Palais et devenir conseiller apprécié de la Reine. Il y est dépeint avantageusement par « la justesse de ses observations, la sagesse de ses appréciations et la finesse de ses aperçus » et également « sans ne se laisser jamais aller à blâmer ouvertement ce qui lui paraissait inhabile ou défectueux ». Celle-ci lui confia petit à petit, des missions de plus en plus importantes, complexes ou délicates dont il se sortira avec succès, voire brio. A tel point que, contre toutes attentes et avec déchainement de jalousie et rancœurs, la Reine mit tout en œuvre pour influencer le Roi Jean afin de désigner Joseph de Carvalho en 1739, en tant qu’ « envoyé extraordinaire à la Cour d’Angleterre » poste prestigieux et haut combien important à l’époque dans les rapports entre les grandes monarchies européennes. Il est doté, dit-on, d’un « grand fond d’idée pratique », d’un « sens droit » et d’une « facile perception des choses ». Il s’acquitte de cette mission diplomatique avec sérieux et efficacité. A son retour à Lisbonne, il devra faire front face une ligue contre lui des grands de la Cour qui l’avait dénigré et sali pendant son séjour à Londres. Mais le Roi Jean, qui avait pu reconnaître ses réels talents de diplomate, son habileté et ses facilités à la conciliation, l’envoya une nouvelle fois dans une représentation de la plus haute importance à la Cour d’Autriche, à Vienne, en 1745 ou son « attitude séduisante et son langage persuasif » amena « une conciliation complète en les contendant toutes deux ». L’objectif affiché était de sceller la réconciliation des deux Cours avec en filigrane, un mariage bien amené par les souveraines des deux pays, la Reine Marie-Anne du Portugal et la sœur de l’empereur d’Autriche. Le Marquis de Pombal épousa ainsi, le 18 décembre 1745, une jeune princesse allemande de haut rang, et s’en revint à Lisbonne, auréolé d’un prestige diplomatique renforcé. Voilà donc le portrait succinct de cet homme qui va jouer un rôle décisif dans la gestion du drame qui s’annonce quelques années après à Lisbonne, alors qu’il occupe le poste de secrétaire d’Etat aux affaires étrangères et à la guerre.

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La première des actions remarquables est sans doute la présence du marquis de Pompal, alors en charge de la gestion de la catastrophe, parcourant les ruines de Lisbonne, partout et immédiatement, à cheval, avec escorte de soldats et un mot d’ordre : « donner une sépulture rapide aux morts et soulager les besoins des vivants » (BAUDRY, 2009). Même si les autorités religieuses très influentes à l’époque le lui reprocheront plus tard, Carvalho fit relever rapidement les cadavres et les fit brûler ou jeter dans le Tage à son embouchure, ou inhumer avec de la chaux vive tant il prit conscience de la dimension épidémique potentielle de la situation. Cette action préventive vient en écho des épidémies ayant frappé cette même région en 1720 et 1723 notamment. Devant la « terreur chimique » des émanations (BAUDRY, 2009) et l’angoisse de la peste, les pleins pouvoirs sont accordés par le Roi à Pombal pour la gestion de la catastrophe et la reconstruction. A la mort du 1er ministre quelques mois plus tard, Pombal assuma cette position et dirigea ensuite le pays jusqu’en 1777 à la mort du Roi. En quelques mois, ce sont plus de 200 ordonnances que Carvalho va prendre afin de permettre :

● Une organisation spécifique dédiée, avec la mise en place de douze chefs de district avec des pouvoirs étendus ;

● Le soutien aux populations, avec la mise en place d’une logistique alimentaire continue protégée par l’armée et la mise en place de logement provisoire principalement des tentes ;

● Une logistique sanitaire, ceci dans la mesure où tous les hôpitaux de Lisbonne furent détruits (évacuation des corps, hygiène publique et santé des âmes par l’organisation rapide de processions et d’offices) ;

● Une protection économique en mettant en place un contrôle des prix, en encourageant la pêche et en gelant les taxes sur la pêche si le poisson est vendu dans la zone impactée par le séisme ;

● Le maintien de l’ordre avec l’exécution de 34 pillards et le contrôle des accès à la ville ;

● Le blocus des bateaux au port, au cas où leur marchandise pourrait être utile ;

● L’évacuation des débris.

A la suite de la réponse d’urgence, la reconstruction s’inscrit dans le temps long et s’établit efficacement grâce à la concentration des pouvoirs par le marquis de Pompal. En 1756, Lisbonne est déblayée de ces ruines et en partie reconstruite. Les ordonnances prises accélèrent cette renaissance: repli sur l’économie restante du pays, financement de l’effort de reconstruction par un impôt-taxe de 4% sur les produits d’importation pour l’ensemble des marchandises venant de l’étranger et création d’une compagnie unifiée d’exportation des vins du Portugal. Il est à noter également que l’Armée bloque les hommes valides qui souhaitent quitter la ville pour qu’ils participent au déblaiement et à la reconstruction.

Le marquis est également pragmatique quant au risque de nouvelle catastrophe. Dans un souci d’anticipation de futurs évènements, il lance une enquête systématique dans toutes les paroisses du pays sur les indices avant-coureurs et les effets du séisme (durée, répliques, dommages, puits et sources, comportements des animaux…). Cette étude (une première à l’époque où primait le fatalisme) préfigure les enquêtes macrosismiques modernes.

Enfin, il intègre la possibilité d’un nouveau séisme dans les plans de reconstruction de Lisbonne.

 

A la suite de la catastrophe, il fait appel à des architectes et des ingénieurs militaires pour évaluer les dommages sur le bâti et définir les règles de construction et d’urbanisme appropriées pour assurer la reconstruction d’une ville résiliente aux séismes. Cette initiative marque l’avènement du génie parasismique. Rapidement, Lisbonne est dégagée de ses ruines, une ville nouvelle avec des grandes places, des avenues larges se coupant à angle droit (idéals pour se réfugier en cas de séisme) voit ainsi le jour. La catastrophe entraîne le développement de textes normatifs permettant de sécuriser la société. Ces textes précisent par exemple les matériaux à utiliser pour les constructions neuves. L’innovation va plus loin, avec la construction de petits modèles de maisons en bois pour procéder à des tests de solidité. Les tremblements de terre furent simulés en faisant défiler les troupes à proximité.

Le marquis de Pombal identifie rapidement l’opportunité offerte par le désastre de Lisbonne : pouvoir mettre en place une stratégie d’indépendance nationale face à l’Angleterre et réduire les vulnérabilités socio-économiques. Des actions sont alors prises pour réduire la dépendance économique du Portugal envers l’Angleterre. Plusieurs secteurs sont nationalisés et relocalisés, le commerce avec l’Angleterre diminue de 40% dans les années 1760 (ROHRBASSER, 2009). Enfin, il profite de la concentration des pouvoirs pour améliorer la réforme de l’Etat avec notamment la mise en place d’un système scolaire et la diminution des pouvoirs de l’inquisition.

 

Sécurité globale, gestion de crise et proximité

La gestion du séisme de Lisbonne interroge sur la manière de gérer les crises actuelles et notamment à l’heure ou la question de la professionnalisation de la gestion de crise se pose en France. Il constitue l’une des premières catastrophes où un retour d’expérience prolifique a pu être établit. Que les écrits soient sous la forme de poèmes, d’échanges épistolaires, ou de rapports sur la reconstruction, des traces sont restées dans l’Histoire. Ainsi, cet évènement met en lumière plusieurs déterminants qu’il convient de mettre en avant.

Coordination, décision et proximité

Dès les premières heures de l’événement, le marquis de Pompal, alors sur place et évaluant la situation au cœur même des ruines de la ville, met en place des responsables de secteur, appelés “chef de district”. Ces coordonnateurs locaux, situés au plus près de la population, ont en charge la coordination des actions de secours et la remontée des besoins. La mise en place de cette organisation particulière a favorisé une réponse quasi-immédiate des secours : extinction des incendies, gestion des morts et blessés, logistique alimentaires. Et ce dans un ordre de priorité basé sur l’urgence du résultat. Ainsi, même si lors d’une catastrophe, l’urgence impose son rythme et astreint à prioriser les actions à mettre en œuvre, la conceptualisation et l’application d’une “marge général des opérations MGO”[2] facilite la réponse de sécurité globale. Le marquis de Pombal, en effectuant une reconnaissance à cheval et en nommant des “coordinateurs de crise” puis en priorisant ces ordres sur la sécurité des personnes à mis en place implicitement une forme de MGO.

Le second déterminant soulevé par la gestion de l’événement est celui de l’inscription de la réponse dans la proximité, c’est à dire à ce qui est proche, à faible distance. En effet, la compression temporelle due à l’urgence rend nécessaire une réponse quasi-immédiate. Dans la minute d’après la rupture, les populations s’auto-organisent pour faire face et relever les blessés, lutter contre les incendies. Une chaîne de solidarité et d’entraide se met en place. L’échelon local (ici les chefs de district) par la connaissance qu’il peut avoir du terrain, des jeux d’acteurs et des besoins à remplir, se révèle indispensable pour assurer la coordination des opérations.

Enfin, l’organisation d’une modalité de coordination spécifique, mis en place de manière quasi-immédiate et dans la proximité de la population a été rendu possible par un positionnement hiérarchique particulier du marquis de Pompal. Concentration des moyens et des capacités de décision, ensemble des fonctions législative, politique et judiciaire réunies en un seul Homme sont autant de leviers d’autorité et donc de catalyseur de la mise en œuvre de la décision. Ainsi, cette structuration particulière du pouvoir s’est trouvé particulièrement bénéfique pour faire face à l’exceptionnalité de la crise.

Vers une prévention du risque

Le tremblement de terre de Lisbonne voit également la mise en œuvre d’un ensemble d’actions faisant référence à l’émergence d’une stratégie de prévention des risques sismiques. Des actions de connaissance du risque, à travers l’inventaire de signaux précurseurs, des actions de prévention et de protection, avec des essais de structure du bâti ou des règles de construction d’inspiration antisismique démontrent une volonté de se préparer aux évènements futurs.

En outre, cette stratégie de gestion du risque s’appuie sur le prérequis de la reconnaissance scientifique de la potentialité de l’événement dont l’origine est autre chose que la promesse d’un cataclysme religieux ou d’invocation superstitieuse. Cette (re)connaissance du risque s’appuie sur les débats des intellectuels de l’époque et ouvre la « laïcisation du danger » par le débat entre Voltaire (Poème sur le désastre de Lisbonne) et Rousseau (Lettre sur la Providence) sous fond de la querelle de l’optimisme et de la question du mal sur la terre (POIRIER, 2005). Les calamités, fléaux, désastres considérés jusque-là comme des punitions divines[3] sortent des considérations métaphysiques, théologiques ou magiques pour aller vers des explications rationnelles soumises à un traitement méthodologique.

Enfin, 200 ans avant l’économiste Milton Friedman (1962) pour qui “seul une crise réelle ou supposée peut produire des changements”, le marquis de Pombal saisit l’opportunité fournie par la catastrophe pour libérer le Portugal du joug Britannique et réformer l’Etat en profondeur et éclairant la formule du poète Holderlin “Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve”.

 

Conclusion

La manière dont la capitale Portugaise s’est relevée de cette journée noire de 1755 place Lisbonne comme l’une des premières villes résilience connue. Derrière cette évènement et avec le Marquis de Pompal, c’est un portrait-robot d’un manager de sécurité globale qui émerge au final. Ce profil allie plusieurs compétences complémentaires ; connaissance du terrain, diplomatie, charisme. Efficace gestion de crise, entre connaissances et décisions, en temps réel. Innovation, diligence, célérité, agilité, présence, prestance, pro-action et réaction, communication, anticipation, improvisation, vision, et leçons tirées pour l’avenir. Gestion des flux humains, présence et empathie, fermeté des décisions et applications immédiates, toutes les composantes de gestion de crise optimale et de philosophie de sécurité globale sont réunies dans cette catastrophe, il y a plus de 250 ans.

Supports bibliographiques :

● Araújo, A. C. (2006). The Lisbon Earthquake of 1755: public distress and political propaganda. Dans E-journal of Portuguese History (No. 2). Universidade do Porto/Brown University.

● Baudry, H. (2009), Médecine et médecins face au tremblement de terre de Lisbonne en 1755. Six-huitième siècle N°41. p. 537-552.

● Dynes, Russell R. (2005), “The Lisbon Earthquake of 1755: the First Modern Disaster”, 3449, dans “The Lisbon Earthquake of 1755. Representations and Reactions”, Theodore E. D. Braun and John B. Radner (eds.), Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 02.

● Friedman, M. (1962), “Capitalisme et liberté”. Chicago. University of chicago press.

● Goudar, A. (1756). Relation historique du tremblement de terre survenu à Lisbonne le premier Novembre 1755. Avec un détail contenant la perte en hommes, églises, convens, palais, maisons, diamants, meubles, marchandises, &c. précédée d’un discours politique sur les avantages que le Portugal pourroit retirer de son malheur. Dans lequel l’Auteur développe les moyens que l’Angleterre avoit mis jusque-là en usage pour ruiner cette Monarchie. chez Philanthrope, a la Vérité.

● Jack, M. (2005), “Destruction and Regeneration: Lisbon 1755”, dans “The Lisbon Earthquake of 1755. Representations and Reactions”, Theodore E. D. Braun and John B. Radner (eds.), Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 02.p 7-20.  Pereira, Alvaro S. (2006), “The Opportunity of a Disaster: The Economic Impact of the 1755 Lisbon Earthquake”, the Cherry Discussion Paper Series (Cherry DP 03/06), Centre for Historical Economics and Related Research at York. http://ideas.repec.org/p/yor/ch  Poirier, Jean-Paul (2005), “Le tremblement de terre de Lisbonne 1755”, Paris, Odile Jacob.

● Rohrbasser, J.M. (2009), “Le Poème sur le désastre de Lisbonne : une philosophie de la catastrophe”, 127-143, in L’idée de théodicée de Leibniz à Kant : héritage, transformations, critiques. Studia Leibnitiana, P. Rateau (dir.), SH 36.

● Rohrbasser J.M. (2010). “Le tremblement de terre de Lisbonne : un mal pour un bien ?” Annales de démographie historique 2010/2 (n°120) p 199-216.

● Rousseau, J. J. (1756). Lettre à Voltaire sur la providence.

● Septenville, E. (1868). Etude historique sur le marquis de Pombal (1738-1777). Bruxelles, 304.

● de Voltaire, F. M. A. (1764). Poéme sur le désastre de Lisbonne.

References[+]


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