Le wargaming, outil pédagogique pour une réflexion innovante

Mis en ligne le 29 Juil 2019

Cet article s’interroge sur le renouveau de notoriété des « Wargames », dont la pratique professionnelle a connu un regain d’intérêt spectaculaire, notamment dans la sphère institutionnelle liée à la défense. Apparue au XIXe siècle en Europe, cette pratique des « Wargames » s’était en effet progressivement asséchée en France au cours du XXe siècle. Aujourd’hui, le « wargaming » se révèle à nouveau comme un outil pédagogique à même de répondre à une ère de profonde incertitude stratégique.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont : « Le wargaming, outil pédagogique pour une réflexion innovante ? » de Pierre RAZOUX, Union-IHEDN/Revue Défense, n°197, mai-juin 2019

Ce texte, ainsi que d’autres publications sont disponibles pour les abonnés de la Revue Défense de l’Union-IHEDN.


Alors même que la pratique professionnelle du wargaming a longtemps souffert d’un manque de notoriété en France, elle connaît depuis 2014-2015 un regain d’intérêt spectaculaire, tout particulièrement dans la sphère institutionnelle liée à la Défense.

Qu’est-ce qu’un wargame ?

Il s’agit d’une forme élaborée de simulation stra­tégique, opérative ou tactique – en fonction du niveau de réflexion que l’on souhaite stimuler – qui recrée une situation de confrontation armée passée, présente ou potentiellement future. Quels que soient le thème, la méthode et le support – jeu de plateau ou programme informatique –, l’enjeu consiste à placer les participants dans un environnement suffisamment réaliste et immersif pour améliorer la qualité de leur prise de décision dans l’incertitude en les contraignant à des choix difficiles, compte tenu de moyens limités – uni­tés combattantes par exemple – et de contraintes opérationnelles qui reproduisent au plus près celles de la réalité. Contrairement au jeu d’échecs, chaque participant dispose de forces et d’appuis différents de ceux de ses adversaires ; il doit donc optimiser leur emploi en fonction du scénario re­tenu et des conditions de victoire associées. Cet outil pédagogique présente également l’avan­tage de mettre les participants « dans la tête de l’autre » – adversaire, partenaire ou allié – pour comprendre ses objectifs réels et non pas ceux espérés pour satisfaire une vision politiquement correcte du monde.

Prenons un exemple très concret : lors d’une séance de mon wargame FITNA [1] , centrée sur la situation prospective post-Daech en Syrie, les participants vont s’imprégner des objectifs réelle­ment recherchés par le régime syrien, par l’Iran, la Russie, la Turquie, Israël et les États-Unis et vont tout faire pour les atteindre, n’hésitant pas à nouer les ententes les plus improbables, comme dans la réalité. A l’issue d’un atelier IRSEM [2], les par­ticipants ressortent tous avec le même constat : « nous décrypterons désormais différemment les informations en provenance du Moyen-Orient et nous comprenons l’enjeu des interactions entre acteurs régionaux ! ». Ce procédé est bien évi­demment transposable à d’autres théâtres de crises avérés (Bande saharo-sahélienne, Corne de l’Afrique) ou potentiels (Europe orientale, Co­rées, Asie du Sud-Est). Il suffit pour cela de réunir des experts de la zone, aguerris à la pratique du wargame, pour qu’ils adaptent à la zone souhaitée un système qui a fait ses preuves.

 Le wargaming a-t-il été utile dans le pas­sé ?

C’est le grand-état-major prussien qui a le premier esquissé les bases modernes du wargaming au XIXe siècle. Après la Première Guerre mondiale, ce sont les États-Unis qui reprennent le flambeau au sein du Naval War College de Newport, qui reste aujourd’hui encore le centre névralgique du wargaming professionnel. Les stratèges de l’US Navy vont simuler pendant vingt ans les moda­lités d’un conflit majeur avec le Japon, testant systématiquement toutes les options, ce qui leur permettra de mettre au point la stratégie qu’ils ap­pliqueront avec succès de 1942 à 1945. Même si le déroulement des opérations divergera quelque peu de la stratégie préétablie, ces innombrables séances de wargaming se révéleront cruciales en ce qu’elles permettront à une génération d’ami­raux et de capitaines de vaisseau de se connaître, de réfléchir et d’interagir ensemble. Les Britan­niques leur emboîteront le pas pour concevoir les débarquements de 1943 et 1944 en Europe. Les Soviétiques seront plus réticents, comprenant que la pratique du wargaming pouvait révéler les failles d’une stratégie très idéologisée.

En France, le syndrome de la Ligne Maginot, puis la sacralisation de la dissuasion nucléaire ont as­séché la pratique d’un wargaming, perçu comme une bizarrerie anglo-saxonne, a fortiori après la diffusion de wargames commerciaux au tournant des années 1960-1970. Pour ceux qui pensent alors la guerre, le wargame devient une aimable ac­tivité ludique. En revanche, les stratèges de l’OTAN pratiquent assidûment le wargaming pour simuler un conflit conventionnel avec le Pacte de Varsovie, mais sans les militaires français, la France ayant quitté le commandement intégré de l’Alliance.

Une fois encore, c’est l’armée américaine qui prouve l’intérêt du wargaming en 1990. Dès l’in­vasion du Koweït par Saddam Hussein, le Penta­gone achète plusieurs dizaines d’exemplaires du wargame commercial Gulf Strike conçu par Mark Herman, un analyste visionnaire, testant l’opéra­tion Tempête du désert sous toutes ses coutures. Aujourd’hui, FITNA ambitionne de faire de même pour les conflits en cours et futurs du Moyen- Orient.

Pourquoi le wargaming connaît-il un re­gain d’intérêt aujourd’hui ?

Tout d’abord, parce que nous sommes entrés dans une ère de profonde incertitude stratégique ou tout semble de nouveau possible. Dès lors, l’étude de scénarios, jugés hier improbables,

redevient d’actualité ; le wargaming se révèle un outil pédagogique parfaitement adapté pour répondre à la question : « que se passerait-il si… ? » Ce facteur d’incertitude réhabilite l’ac­ceptation de l’usage de dés propre au wargame, ces dés reproduisant l’incertitude et les frictions du combat. Ensuite, parce qu’on assiste depuis trois ans à la multiplication d’initiatives visant à promouvoir la pratique professionnelle du war­game.

Citons en quatre : la mise en place d’ateliers war­gaming au sein de l’IRSEM à l’École militaire, à Paris ; la création de l’association Serious Games Network-France (SGN-F) [3] à l’initiative de Patrick Rueschtmann [4], qui fédère des professionnels de tous horizons ; la sensibilisation des plus hauts échelons hiérarchiques par l’organisation d’ate­liers déconcentrés dans les états-majors, à l’ini­tiative de l’IRSEM et de l’association SGN-F ; la mise en place d’une convention annuelle consa­crée au wargaming et autres serious games [5]. En­fin, parce que la pratique du wargaming permet de stimuler l’agilité intellectuelle qui concourt indubitablement au renforcement du leadership.

References[+]


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