Les Nouvelles Routes de la soie peuvent-elles renforcer l’Agenda multilatéral du développement durable ?

Mis en ligne le 12 Juin 2019

Cet article propose une synthèse du 2ème Forum pour la coopération mondiale de la Belt and Road Initiative (BRI), le projet dit des Nouvelles routes de la soie, lancé par la Chine en 2013, tenu du 25 au 26 avril 2019 à Pékin. La Chine se présente-t-elle en champion du multilatéralisme environnemental pour renforcer les institutions existantes ou pour y substituer des institutions qu'elle contrôlerait? C'est une des questions clef qui structure cette analyse de la réalité du "verdissement" des réalisations menées dans le cadre du projet BRI.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: « Retour à l’esprit de Deng Xiaoping » de Thomas Spencer.

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de l’IDDRI.


Le 2e Forum de coopération internationale pour l’Initiative Belt and Road (BRI) s’est tenu les 25 et 26 avril à Beijing (Chine). Rassemblant de nombreux chefs d’État et représentants des gouvernements de la planète, mais aussi des experts et des acteurs économiques, ce forum avait notamment pour objectif de faire le point sur les réalisations depuis l’annonce de l’initiative en 2013, et de lancer un certain nombre de coalitions d’acteurs permettant d’orienter son développement, plus particulièrement vers la réalisation de l’Agenda 2030 pour le développement durable. Cette initiative est cependant la cible de nombreuses critiques, notamment en Europe et aux États Unis, relatives d’une part aux impacts environnementaux de ses premières réalisations et d’autre part aux incertitudes sur la volonté de la Chine de renforcer par cette initiative les institutions de gouvernance internationale existantes ou de leur en substituer de nouvelles dont elle maîtrise davantage l’agenda. Le premier forum tenu en 2017 avait mis à jour ces questions. L’édition 2019 a-t-elle permis d’avancer ?

Lancée dès 2013 pour orienter la politique extérieure de la Chine et affirmer son rôle mondial, l’Initiative Belt and Road vise à améliorer la connectivité à l’échelle mondiale (infrastructures terrestres et maritimes, numériques, mais aussi coordination des politiques, des flux financiers, et de l’innovation, et échanges culturels et académiques), dans le but d’ouvrir une nouvelle étape de mondialisation et donc d’intensification des échanges marchands, au service de la paix et, explicitement, de l’Agenda 2030 pour le développement durable [1]. Alors que les besoins en infrastructures et services essentiels d’une grande partie du monde sont une réalité et un enjeu pressant, effectivement au cœur de l’Agenda 2030, à quelles conditions ce projet dont les impacts seront structurants au niveau mondial sera-t-il vraiment compatible avec l’ensemble des Objectifs de développement durable (ODD) ? Sans chercher à répondre directement à cette question, ce 2e forum a mis l’accent sur trois engagements politiques : non-discrimination sur les marchés, lutte contre la corruption, et verdissement et contribution à la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat.

Un nécessaire réalignement sur les objectifs climatiques

Lors de ce 2e forum, la plupart des analyses présentées ont surtout insisté sur le potentiel de croissance économique future lié à la fluidification du commerce. Un certain nombre de réalisations ont été revendiquées : synergie des politiques de développement, accroissement des investissements dans les infrastructures, mise en place de corridors économiques et de coopération en matière commerciale, maritime, financière ou d’innovation, etc. En revanche, seul un nombre réduit d’études semble s’être penché sur les impacts environnementaux et sociaux des projets de l’initiative. Une étude du China Council for International Cooperation on Environment and Development (CCICED – Special Policy Study on Green Belt and Road and 2030 Agenda for Sustainable Development, 2018 [2] souligne les opportunités, mais surtout les grands défis en matière d’alignement avec le développement durable : risque d’une faible demande d’environnement par les gouvernements des pays récipiendaires des investissements, difficulté d’accéder aux données et d’évaluer l’impact de projets complexes et transnationaux, biais des cadres d’évaluation du risque défavorables aux investissements verts.

Une autre étude du World Resources Institute (WRI) et du Global Development Policy Centre (Université de Boston) [3] apporte des éléments chiffrés, à partir des données sur les investissements des grandes banques chinoises à l’étranger. Ce portefeuille présentait, dans le domaine de l’énergie, entre 2007 et 2014, soit avant le lancement de l’initiative Belt and Road, 66 % d’investissements dans le charbon contre 24 % dans les énergies renouvelables. Lors de la première vague d’investissements ayant eu lieu sous l’égide de la BRI (2014-2017), l’accroissement très important des montants de ce portefeuille, dans le secteur de l’énergie, a financé dans une large majorité (de 60 à 90 % selon les instruments de financement considéré) des investissements dans les énergies fossiles, alors que les contributions déterminées à l’échelle nationale (cf. NDCs) des pays considérés dans le cadre de l’Accord de Paris indiquent un besoin d’investissement très fort dans les énergies renouvelables.

Des initiatives lancées pour verdir la BRI

Face à ce constat, il est urgent de mettre en pratique les engagements politiques visant à verdir la BRI, qui sont déjà nombreux. Le plan de coopération écologique et environnemental pour la BRI du ministère chinois de l’Écologie et de l’Environnement comprend le respect des standards en matière d’infrastructures durables, la promotion de produits et de services éco-conçus pour verdir le commerce international et la promotion des instruments de la finance verte.

Plusieurs annonces supplémentaires ont été faites lors de ce 2e forum :

• la BRI International Green Development Coalition (25 pays, plusieurs organisations onusiennes dont le Programme des Nations unies pour l’environnement, institutions académiques et entreprises) ;

• trois initiatives à caractère plus opérationnel : la BRI Green Cooling Initiative sur les performances environnementales des climatiseurs, la BRI Green Lighting Initiative concernant les dispositifs d’éclairage, et la BRI Green Going-Out Initiative concernant les investissements des entreprises chinoises à l’étranger ;

• les BRI Green Investment Principles, annoncés fin 2018 par la City of London Corporation’s Green Finance Initiative (GFI), en partenariat avec le Green Finance Committee (GFC) chinois ;

• la BRI Environmental Big Data Platform, dont l’objectif est de centraliser et de partager les données sur les performances environnementales des projets BRI, et de favoriser le partage de bonnes pratiques.

Ce faisant, la Chine donne un coup d’accélérateur à certaines initiatives clés, sur la finance ou les équipements de climatisation notamment. Mais ces initiatives sont lancées sans mettre suffisamment l’accent sur l’état actuel des performances environnementales, et donc l’ampleur du défi à relever, ni sur les facteurs de blocage, et donc sans identifier comment faire mieux que lors de la première vague d’investissements. Cela ne pourra se faire sans évaluations critiques, même si l’on cherche à maintenir avant tout l’esprit de coopération promu par la BRI.

Un indispensable processus d’évaluation, d’apprentissage et d’émulation pour renforcer l’ambition en matière de durabilité

Pour progresser rapidement vers un alignement sur l’Agenda 2030 et l’Accord de Paris, il faut avant tout pouvoir suivre et comprendre les impacts de la BRI sur le développement durable. Celle-ci devrait ainsi se doter d’un véritable programme d’évaluation des impacts des projets en matière de durabilité, rassemblant autant que possible des experts académiques et think tanks d’une diversité de continents et de Chine, pour éviter que les critiques, tout objectives qu’elles soient, ne soient rejetées comme ne provenant que des pays occidentaux. Un fonds de financement d’études, lancé dans le cadre d’un Belt and Road Studies Network, pourrait servir à financer de tels travaux. Ce programme devrait viser des évaluations ex post mais également ex ante, à l’échelle du projet mais aussi de programmes, de politiques ou de corridors entiers, en ciblant les procédures de diligences environnementales et sociales, l’alignement avec des trajectoires à long terme de transformation structurelle de l’économie des pays compatibles avec l’atteinte des ODD et des objectifs de l’Accord de Paris, et l’analyse de la soutenabilité de la dette. Il devrait en outre, à terme, interroger la compatibilité d’une intensification massive des échanges marchands avec l’objectif de neutralité carbone.

Les normes de finance verte et de responsabilité sociale et environnementale constitue un autre levier d’action ; un nombre croissant d’opérateurs et d’investisseurs chinois à l’étranger semblent prêts à les mettre en œuvre, sous la pression du gouvernement central, qui affirme son engagement en faveur du multilatéralisme environnemental tant sur le climat que sur la biodiversité, et qui pourrait avoir intérêt à exporter non seulement ses technologies mais aussi les normes qu’il applique en interne. L’exemple de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB) montre que les nouvelles institutions lancées par la Chine peuvent se positionner dans une dynamique d’accroissement de l’ambition en matière de durabilité et de mise à niveau rapide des normes internationales en la matière. Les travaux du G20 sur les infrastructures durables (Sustainable Infrastructure) ou de qualité (Quality Infrastructure) constituent d’autres points de référence intéressants. L’argument majeur qui devrait pouvoir porter tant pour les institutions financières que pour les opérateurs chinois à l’étranger est celui du risque financier et réputationnel : au cas où ils ne respecteraient pas les diligences environnementales et sociales, le risque lié au projet en serait fortement accru, notamment face à la montée des critiques de la société civile des pays d’intervention. La logique d’émulation entre opérateurs financiers mondiaux représente un autre ressort majeur d’accroissement de l’ambition en matière de durabilité, et toute possibilité de co-financement avec les banques multilatérales ou bilatérales de développement constitue une opportunité de convergence de ces normes et standards.

Cette perspective opérationnelle d’alignement progressif des projets et des normes sur l’Agenda 2030 ne doit cependant pas cacher qu’en matière d’institutions de gouvernance mondiale, des forums de coordination des politiques sont en train de s’institutionnaliser autour de l’Initiative Belt and Road. Le positionnement international actuel de la Chine comme champion du multilatéralisme environnemental, par contraste avec les renoncements des États-Unis, doit être utilisé stratégiquement pour l’inciter à ce que ces organisations naissantes viennent renforcer les institutions multilatérales et l’Agenda 2030, et non s’y substituer.

References[+]


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