Les systèmes d’armes manœuvrant évoluant à haute vitesse : une nouvelle surprise stratégique ?

Mis en ligne le 11 Sep 2017

L’Amiral Labouérie considérait qu’Incertitude et Foudroyance constituaient la synthèse des principes de la guerre. La perspective de mise en œuvre opérationnelle de systèmes d’armes manouvrants évoluant à haute vitesse pourrait bouleverser l’équilibre militaire, à l’instar de l’apparition des missiles intercontinentaux au XXème siècle. Incertitude et foudroyance de la trajectoire finale, alliées à portée planétaire et précision extrême, pourraient donc rendre obsolète les systèmes de défense y compris la défense anti-missile et s’avérer essentiels au maintien de la supériorité opérationnelle. Cet article fait le point sur les défis, qu’ils soient technologiques ou liés à l’emploi, associés au développement de tels systèmes d’armes. Il nous offre également un rapide tour d’horizon des projets en cours.

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Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont: Patrice Lefort-Lavauzelle, “Les systèmes d’armes manoeuvrant évoluant à haute vitesse: une nouvelle surprise stratégique ?”, Opinion & Débats, Revue Défense n°186, Union-Ihedn, mai-juin 2017.

Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être visionnés sur le site de l’Union-Ihedn.

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Les systèmes d’armes manoeuvrant évoluant à haute vitesse: une nouvelle surprise stratégique ?

 

L’éternelle course à l’armement technologique est en train de prendre un nouveau tournant. Alors que les drones occupent le devant de la scène, le facteur de la vitesse est de nouveau d’actualité.

 

A l’heure où les systèmes de défense aérienne deviennent de plus en plus sophistiqués et performants, le Pentagone considère le vol hypersonique (c’est-à-dire supérieur à Mach 5, soit 6150 km/h) comme un élément essentiel du maintien de la supériorité aérienne, voire de la supériorité tour court dans l’avenir.

En effet, alors que la plupart des missiles de croisière actuels sont subsoniques, ce type de technologie pourrait s’avérer révolutionnaire s’il parvenait à être déployé dans un cadre opérationnel. Il permettrait alors de contrecarrer n’importe quel système de défense en volant simplement à une vitesse trop importante pour que celui-ci puisse l’intercepter, mais également de frapper des cibles n’importe où sur la planète sans dépendre de forces pré-positionnées.

Les systèmes d’armes manoeuvrants évoluant à haute vitesse, nommés plus simplement missiles hypersoniques, se répartissent en deux catégories distinctes :

  • les planeurs, de type sol-sol, mais à terme mer-mer ou mer-sol, dépendent d’un lanceur pour les amener à leur altitude de croisière. Ces systèmes pourraient évoluer en vol de croisière entre Mach 15 et Mach 20… La phase finale de leur vol voit leur vitesse réduite à environ Mach 3 ou Mach 4 pour à la fois faire des manœuvres d’évitement d’une éventuelle défense antimissiles, de recalage de leur positionnement et d’acquisition de leur cible ;
  • les missiles de croisière proprement dits évoluent à des vitesses comprises entre Mach 5 et Mach

La technologie hypersonique est une technologie difficile à maîtriser. La vitesse hypersonique commence plus ou moins à partir de Mach 5, environ 1,7 km à la seconde… La vitesse hypersonique maximum, elle, se situe aux alentours de Mach 25. Un objet qui voyage à une vitesse hypersonique se déplace si rapidement qu’il génère suffisamment de chaleur, d’onde de choc et de pression pour modifier la composition chimique (et donc les propriétés aérodynamiques) de l’air. Cette perturbation devient critique à partir de Mach 5. Mais il est difficile de déterminer à quel moment précis la transition a lieu. Bien évidemment, plus la vitesse est rapide, plus les difficultés techniques deviennent complexes.

 


La défense anti-missile face à de nouveaux défis

Une section de la loi de finances 2017 votée par le Congrès exige la mise en place sous l’égide de la Missile Defense Agency d’un programme dédiée à la menace posée par les systèmes d’armes manoeuvrants évoluant à haute vitesse. La défense antimissile américaine est actuellement limitée au développement et à l’installation du Ballistic Missile Defense System (BMDS) destiné à contrer les missiles balistiques à courte, moyenne et longue portée dont les trajectoires sont déterminées (« predictible »). Elle ne peut donc intercepter les missiles évoluant entre Mach-5 et Mach-10 et manoeuvrants. Ce qui représente à la fois une menace pour le continent américain et pour les forces armées américaines déployées à l’étranger. Le système BMDS est composé de deux volets : « homeland » pour la défense du territoire des Etats-Unis et « régional », développé pour l’Europe avec des approches complémentaires pour les autres régions (Asie-Pacifique, Proche Orient…).


 

Deux solutions pour déjouer la défense antimissile : la furtivité ou la technologie hypersonique

Les ingénieurs s’intéressent à ce problème depuis de nombreuses années. Avec comme objectif de faire accélérer les avions pour en faire des armes de combat encore plus performantes. La difficulté et le coût pour accroitre la vitesse ont entraîné l’abandon de ce domaine de recherche dans les années 1970, au profit de la capacité de camouflage. D’abord avec des avions capables de voler à basse altitude pour échapper aux radars ennemis, ensuite dans le cadre de la technologie furtive. Dans un sens, la furtivité et la technologie hypersonique représentent deux solutions diamétralement opposées au même problème : comment éviter de se faire abattre et passer les défenses adverses ? La furtivité consiste à paraître invisible aux yeux de l’ennemi. Les véhicules hypersoniques, eux, se déplacent tellement vite qu’ils génèrent une quantité énorme de chaleur, ce qui les rend, au contraire, extrêmement visibles. Mais ils sont tellement rapides qu’il est très difficile de les intercepter.

Outre la France, quatre pays mènent des travaux sur ce sujet : les Etats-Unis, la Chine, la Russie et l’Inde.

Les Etats-Unis disposent du programme le plus ambitieux, né du projet Conventional Prompt Global Strike (CPGS) qui avait pour objectif de frapper une cible à haute valeur ajoutée en quelques minutes à l’autre bout du globe… Dans le domaine des missiles de croisière hyper-véloces, l’Air Force conduit le programme High Speed Strike Weapon initié tout d’abord avec le démonstrateur X-51A Waverider puis avec le projet Hypersonic Air Breathing Weapon Concept (HAWC). Deux programmes de planeurs sont également en cours, l’un visant une portée de 6000 km, l’autre, le Tactical Boost Glide à vocation régionale, d’une portée de 1500 km.

La Russie poursuit, de son côté, le développement de deux projets, le missile anti-navire Tsikon évolution possible du projet BrahMos II développé avec l’Inde. Et un planeur hypersonique Yu 71 dans le cadre du Projet 4202. Celui-ci aurait atteint la vitesse de Mach 15 après avoir été libéré par un missile balistique Sarmat.

La Chine semble se focaliser sur le développement d’un planeur hypersonique, le DF-ZF, pensé avant tout comme un « tueur de porte-avions », par exemple dans le cadre d’un éventuel conflit avec Taïwan ou plus généralement en mer de Chine.

L’Inde co-développe avec la Russie le missile de croisière à super-statoréacteur BrahMos II, avec comme objectif une portée de 300 km, soit la limite du régime de contrôle de la technologie des missiles (MTCR, accord politique informel constitué en 1987 pour contrôler la prolifération des systèmes de fusées et de véhicules aériens non pilotés et la technologie connexe pouvant servir à transporter des armes de destruction massive).

 


Le Concept Ajax : du rêve à la réalité ?

Comment un avion pourrait-il voler à Mach 20 sans se vaporiser instantanément ? La réponse, géniale, et purement théorique à cette époque, a été imaginée dans les années 1990 par un Russe, Vladimir Fraidstadt sous le nom de Concept Ajax. Ce concept utilise un cocktail de cinq technologies, qui devraient permettre des applications inouïes : le wave riding, le générateur de plasma, le véhicule virtuel, le pontage MHD et la reformation du carburant.

  • Toute irrégularité ou courbure de la paroi de l’avion produit une onde de choc qui prend la forme d’un cône (le cône de Mach). La solution est donc d’avoir une partie supérieure (l’extrados) parfaitement Pas de cockpit, pas de dérive donc pas d’onde de choc. Le profil inférieur (l’intrados) est conçu de telle manière que l’avion « surfe » littéralement sur sa propre onde de choc, le « wave riding ». L’onde de choc va en quelque sorte protéger (au moins partiellement) la coque de l’avion de l’intense chaleur.

  • Aux vitesses hypersoniques, l’air est déjà partiellement ionisé à cause de la température. L’idée consiste à l’ioniser complètement pour que l’onde de choc protège encore davantage l’avion de la chaleur.

  • De ce fait, l’avion se trouve immergé dans une véritable gangue de plasma, dont la géométrie peut être modifiée instantanément. Elle constitue un véritable véhicule virtuel dans lequel se trouve le véhicule réel. Cette gangue ionisée présente l’avantage de dévier les ondes radar et donc d’assurer la furtivité de l’avion !

  • Le pontage MHD est une application des lois de l’électromagnétisme qui permet d’accélérer un fluide conducteur si l’on dispose d’aimants très puissants. Un jeu de 2 moteurs MHD permet de ralentir le flux d’air en entrée et récupérer de l’énergie électrique qui va réaccélérer l’air en sortie. Ce pontage permet de faire fonctionner un statoréacteur qui crée une poussée supplémentaire.

  • L’ajout au kérosène d’un composé contenant de l’oxygène, comme du péroxyde d’hydrogène permet d’obtenir une réaction chimique endothermique qui absorbe de la chaleur. Il est possible d’utiliser cette réaction à la fois pour refroidir les parties chaudes de l’avion et pour créer le carburant final.


    Un exemple de démonstrateur, le X-51A Waverider

Le ministère de la défense américain travaille depuis 2004 à la conception d’un appareil hypersonique au travers d’un programme qui réunit l’US Air Force, la DARPA, la NASA, Boeing, et Pratt & Whitney Rocketdyne (aujourd’hui Aerojet Rocketdyne). Ce programme a donné lieu à 4 vols du démonstrateur X-51A (dit Waverider car il surfe sur sa propre onde de choc) entre 2010 et 2013, et a servi à l’élaboration du Hypersonic Air Brething Weapon Concept dont la mise en service est prévue (sans doute de manière fort ambitieuse…) dans le courant des années 2020.

Pour atteindre ces vitesses, le X-51A a, lors de son dernier vol, été amené d’abord à 15 000m d’altitude par  un Boeing B-52, avant d’accélérer jusqu’à Mach 4,8 en 26 secondes à l’aide d’un moteur-fusée. Après s’en être séparé, il a utilisé un superstatoréacteur pour atteindre Mach 5,1 à plus de 18 000 mètres d’altitude. Un procédé similaire à celui de son prédécesseur civil, le X-43 de la NASA qui avait atteint en 2004 la vitesse record de 10 461 km/h, soit Mach 9,6.


 

La France a la chance de disposer d’une longue expérience dans le domaine des missiles à statoréacteur, avec la mise en service de l’ASMP en 1986 et de l’ASMP-A en 2009. Elle est, à ce jour, le seul pays avec la Russie à avoir mis en service des armements dotés de ce type de propulsion. Elle conduit des études sur la propulsion hypersonique dans le cadre du renouvellement de la composante nucléaire aéroportée.

Basés sur des recherches menées en URSS dès les années 1960, les systèmes d’armes manoeuvrants évoluant à haute vitesse ont été relancés à l’issue des attentats du 11 septembre 2001, avec l’objectif de toucher une cible avec précision le plus rapidement possible, avec une précision extrême à l’autre bout du globe.

Cette technologie sera sans doute discriminante dans les années à venir. Mais, hors les problèmes purement techniques qu’elle pose, la technologie hypersonique n’étant pas une mais bien multiple (aérodynamique, propulsion, etc…), l’introduction de cette arme accroîtra sans doute le risque de déclencher une guerre nucléaire accidentelle, puisqu’il est quasiment impossible de faire la différence entre une véritable frappe nucléaire et une frappe hypersonique classique.


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