L’OTAN – Il y a des sanctions qui se perdent …

Mis en ligne le 10 Juil 2018

Cet article aborde les défis externes et la problématique, liée, de la cohésion interne de l’OTAN. Cette approche procède d’une interrogation initiale de l’auteur sur la réelle efficacité d’une alliance n’ayant de facto jamais dû affronter directement une menace d’ampleur majeure depuis sa création.

Chef d'escadron Raphaël COTTAIN


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont : chef d’Escadron Raphaël Cottain,  “OTAN – Il y a des sanctions qui se perdent …”, Ecole de Guerre

Ce texte, ainsi que d’autres publications peuvent être visionnés sur le site de l’Ecole de Guerre.


En 1949, la signature du Traité de Washington a établi la création de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Le but de cette alliance, créée à l’issue d’une Guerre Mondiale ayant dévasté la majeure partie de l’Europe, de l’Afrique du Nord et de l’Asie, était d’allier une communauté de nations face à la menace croissante représentée par la Russie et ses alliés. L’invocation de l’Article 5 du Traité aurait déclenché la défense collective des Etats-membres contre une agression menée contre l’un d’eux.

Les partisans inconditionnels de l’OTAN proclament une efficacité telle, que l’Organisation n’a jamais été mise en péril depuis près de 70 ans. Peut-être la question est-elle que l’OTAN n’a jamais dû affronter une menace d’une ampleur suffisante pour menacer son équilibre, depuis sa création en 1949.

C’est pourquoi nous aborderons à la fois des adversaires potentiels de l’OTAN et des dissenssions internes de l’organisation, qui constituent des menaces tangibles pour son futur. Pour y faire face, il apparaît que les objectifs de dépenses de défense, décidés en 2014, ne sont pas les critères les plus pertinents pour juger a priori de l’efficacité de l’OTAN. Il est donc nécessaire de les réévaluer. Ceci passera par une refonte du fonctionnement de l’Organisation et nécessiterait notamment la mise en place d’un dispositif de sanctions progressives et réelles, pouvant aller jusqu’à l’expulsion d’un Etat de l’Alliance.

L’OTAN face aux menaces extérieures et aux dissensions internes

La Russie constitue, peut-être même surtout aujourd’hui, un rival sans équivalent pour l’OTAN. Au plus fort de la Guerre Froide, l’URSS était essentiellement un adversaire pour les Etats-Unis, davantage que pour l’Organisation. La crise de Cuba en 1962 est à ce titre un exemple criant : l’Histoire retient essentiellement les discussions entre les dirigeants américains et soviétiques de l’époque, John Fitzgerald Kennedy et Khroutchev, et beaucoup moins le rôle de l’OTAN dans cette confrontation bipolaire.

Pourtant, près de 29 ans après la chute du mur de Berlin et la dissolution de l’Union Soviétique, il paraît délicat de nier la menace que la Russie pourrait faire peser sur l’Europe et le reste de l’OTAN. Les tentatives répétées d’incursions d’aéronefs russes dans les espaces aériens européens [1], le conflit avec la Géorgie en 2008, l’annexion de la Crimée en 2014 [2], les troubles en Ukraine orientale, mais aussi l’appui de Moscou au régime de Bachar Al-Assad en Syrie à partir de 2015 [3] sont autant de gestes mettant à mal la crédibilité de l’OTAN comme rempart contre les velléités russes à l’international. L’Ukraine fait en effet partie du programme Partnership for PeacePfP – qui certes ne vise pas à étendre la défense collective, mais indique malgré tout des intérêts communs avec l’OTAN et le pays bénéficiant du PfP. A ce titre, l’Ukraine aurait pu espérer davantage de soutien de l’OTAN lors des crises majeures qu’elle a connues ces dernières années. Le terme de « guerre hybride » [4]– malgré ses détracteurs – représente à ce titre une réalité incontestable : la Russie n’hésite pas à mettre en œuvre des moyens, cyber, clandestins, informationnels, dont l’origine reste peu ou pas attribuable, pour tenter d’imposer sa volonté à des nations souveraines, et tester, par la même occasion, la cohésion et la crédibilité de l’OTAN.

Mais la Russie n’est pas le seul acteur étatique qui pose une menace pour l’OTAN. En effet, la Corée du Nord, par exemple, constitue une autre source de tensions au niveau international. Les prétentions nucléaires de la République Démocratique Populaire de Corée du Nord [5], l’irrationalité des acteurs et le jeu des alliances – notamment avec la Chine – pourraient bien faire basculer l’Organisation dans une guerre aux conséquences difficilement prévisibles à ce jour. Les provocations successives de Kim Jung-Un, notamment les essais de missiles de plus en plus sophistiqués, démontrent l’inflexibilité du dirigeant nord-coréen, qui ne recule devant aucune sanction ou menace, qu’il s’agisse des Etats-Unis ou de la communauté internationale.

En complément des adversaires étatiques, l’Organisation doit également faire face à la menace terroriste islamiste polymorphe et changeante, sur laquelle il est peu utile que nous nous étendions. Les attaques contre le World Trade Center en 2001 ont d’ailleurs été la seule et unique invocation de l’article 5 depuis la création de l’Alliance en 1949 : les nations ont offert un soutien total aux Etats-Unis meurtris, et se sont rangés à leurs côtés dans la guerre contre le régime taliban en Afghanistan. La Global War On Terrorism a ainsi donné à l’Alliance un adversaire sur lequel s’abattre, en l’absence d’une menace claire comme avait pu l’être l’Union Soviétique. Malgré les succès tactiques engrangés en Afghanistan et le prix du sang payé par les Etats-membres, on peut néanmoins mettre en doute la réelle efficacité de l’OTAN face à la menace terroriste. Plus de 16 ans après les premiers raids sur Bagram, l’OTAN est toujours présente en Afghanistan sans solution à court terme pour le pays, et ses membres restent la cible d’organisations terroristes ayant émergé depuis. Les attentats des dernières années ayant frappé Londres, Madrid, Paris, sont autant de preuves de l’incapacité de l’OTAN à empêcher totalement les actions terroristes.

Enfin, d’autres menaces, notamment dans le domaine du cyber, qu’elles soient étatiques ou non, ou qu’elles se parent des atours de l’hacktivisme, de la désinformation ou de la propagande, sont autant de nouveaux défis auxquels devra faire face l’Organisation. Si l’Estonie accueille depuis le 14 mai 2008 le centre d’excellence de cyberdéfense de l’OTAN [6], de nombreux progrès restent à accomplir dans le domaine. Il n’en reste pas moins que la menace cyber est une préoccupation à garder en tête pour l’Alliance. Comme l’a dit un jour Jean-Paul Delevoye, homme politique français, quand il était président du Conseil économique, social et environnemental : « Nous sommes dans une guerre numérique qui rend la paix impossible ».

Outre ces menaces extérieures, il serait naïf de croire qu’il s’agit des seuls défis auxquels l’OTAN doit faire face. La réalité d’une organisation composée de vingt-neuf Etats, aux logiques et intérêts variés et décidant par consensus, crée un certain nombre de dissenssions internes qui menacent également la cohésion et la crédibilité de l’Alliance.

La question des dépenses de défense, étudiées plus loin, constitue évidemment une première source de tensions entre les Etats-membres et mine la cohésion interne de l’OTAN. Si l’on considère l’objectif fixé de 2% du PIB, sur lequel nous reviendrons, seuls six pays sur vingtneuf devraient atteindre ce seuil en 2016 [7].

Figure 1 (cliquer sur l’image pour une meilleure qualité)- Dépenses de défense en pourcentage du PIB, par pays

 

De ces disparités budgétaires, nonobstant des conjonctures nationales souvent très différentes, naissent des frictions importantes. Certains pays ont en effet le sentiment de porter à bout de bras le reste de l’Alliance, au bénéfice des Etats les moins « volontaristes ». Le Portugal, par exemple, est souvent la cible de critiques pour son budget de défense : 1,28% du PIB en 2016, dont moins de 10% en investissements majeurs, mais avec le record de l’Alliance pour les dépenses en personnel, à plus de 80% du budget. Malgré ces faibles chiffres, le Portugal a réussi à obtenir la construction d’installations importantes pour l’OTAN, notamment le centre du Retour d’Expérience, et vient en complément de se voir attribuer, en 2017, la construction d’une école des technologies de l’information de l’Organisation [8], au détriment de l’école existante de Latina en Italie.

Outre ces différends budgétaires, les Etats se divisent selon deux orientations stratégiques différentes, les membres de l’Est étant davantage focalisés sur la menace russe, tandis que les Etats du Sud craignent plutôt la menace terroriste islamiste radicale. Le général Pierre de Villiers résume ainsi ces divergences : « les tensions […] entre les pays du Sud et ceux de l’Est étaient tangibles sur ce sujet lors de chaque réunion à Bruxelles ces trois dernières années » [9].

Finalement, ces menaces externes combinées aux déséquilibres internes constituent des enjeux majeurs auxquels l’OTAN doit continuer à se préparer. Si l’Organisation veut réussir cette adaptation à son environnement actuel et futur, ses membres devront augmenter leur budget de défense.

Le guide des 2% du PIB et leur inadaptation à la réalité de l’OTAN

Pourtant, depuis la fin de l’URSS, les nations occidentales avaient cherché à récolter les fameux « dividendes de la paix » – réduire les dépenses de Défense, au profit d’autres secteurs de leur économie. Le graphique ci-dessous, tiré d’un communiqué de presse de l’OTAN de 2017 [10], illustre cette baisse générale à compter de 1989. Le cas des Etats-Unis restant à part [11]), on ne constate une légère inflexion de la baisse qu’à partir de 2015, année lors de laquelle les dépenses des nations avaient atteint un gouffre historique d’1,40% du PIB en moyenne. C’est-à-dire qu’on constate une légère hausse depuis 2016, avec une estimation de 1,46% du PIB dépensés pour la fin de l’année 2017.

Figure 2 (cliquer sur l’image pour une meilleure qualité) – Dépenses de défense en pourcentage du PIB (1989 – 2017)

 

Lors du Sommet du Pays de Galles en septembre 2014, les Etats-membres ont reconnu à nouveau [12] que le niveau des dépenses de défense était insuffisant pour assurer la sécurité de l’Europe. Ils ont alors réussi à se mettre d’accord sur un tauxde 2% du PIB comme étant l’objectif à atteindre pour 2024, soit en 10 ans. Car une meilleure défense individuelle, et donc une meilleure défense collective, passent en grande partie par une augmentation des budgets de défense, qui permettent de financer masse salariale, investissements, équipements, et exercices de préparation opérationnelle. Il est intéressant de noter que d’un point de vue historique, la dernière fois que les pays (hors-USA) étaient à plus de 2% du PIB était en 1998, soit 16 ans plus tôt que le Sommet du Pays de Galles, et surtout avant la crise financière de 2008-2009, dont l’Europe ne s’est toujours pas remise. Le lieutenant-général américain Shepro, vice-président du Conseil Militaire de l’OTAN, a d’ailleurs déclaré devant les stagiaires de l’Ecole de Guerre, en novembre 2017, qu’il était « peu probable que certaines nations, qui font face à d’autres défis économiques, atteignent l’objectif des 2% en 2024 ».

S’il paraît donc peu probable que les Etats-membres atteignent cet objectif, on peut donc se poser la question de la pertinence même de ces 2%.

Comment sont-ils calculés ? Tout d’abord, il ne faut pas oublier que la définition de ce qui rentre dans les 2% reste assez floue et, en tous cas, ouverte à interprétation. En 2017, le Royaume-Uni, l’un des plus ardents défenseurs de ce seuil, a d’ailleurs été le théâtre d’un feuilleton médiatique inattendu [13]), alors que les premières estimations plaçaient le pays juste en deçà de l’objectif, et que les experts de la Couronne ont dû prendre en compte des dépenses « annexes » pour atteindre péniblement le graal des 2%.

Ensuite, d’aucuns argumentent – probablement à raison – qu’il ne s’agit pas que d’une question de masse monétaire, mais qu’il faut également considérer comment ces budgets sont dépensés, et en quoi cela contribue à renforcer les capacités de l’Alliance. Si le sommet de 2014 inclut une clause visant à au moins 20% de dépenses d’investissement dans les équipements majeurs et la recherche & développement, ce n’est pas suffisant pour en garantir l’efficacité. Les inquiétudes récentes portent également, entre autres, sur les stocks de munitions [14], mais aussi sur les infrastructures lourdes permettant de transporter les unités de l’OTAN à travers l’Europe [15]). La question du financement d’exercices nationaux ou interalliés, la préparation opérationnelle des forces de combat et de soutien, a déjà été rapidement brossée et devrait également participer à l’évaluation de la capacité d’un Etat à se défendre individuellement et à contribuer à la défense collective. Enfin, il ne faut pas non plus éclipser la valeur non-monétaire qu’un pays peut apporter à l’Alliance. L’Islande, par exemple, a fait le choix de ne disposer d’aucune force armée, mais fait pourtant partie des membres fondateurs de l’Organisation. Quel est l’intérêt pour l’OTAN de conserver dans ses rangs un pays comme l’Islande ? Sa situation géographique, tout d’abord. Située au Nord de l’Atlantique, elle est un territoire important pour les marines de l’Alliance, et sa situation pourrait devenir encore plus critique dans les décennies à venir avec la fonte d’une partie de l’Arctique et l’ouverture de nouvelles voies maritimes. Mais l’Islande est également importante car elle accueille des radars de l’OTAN constituant l’IADS (Iceland Air Defence System), qui contribuent au système de surveillance aérienne et anti-missile de l’Alliance [16].

Par ailleurs, il faut également prendre en compte la dissuasion nucléaire. Si la France se distingue à plus d’un titre [17] au sein de l’organisation, elle est surtout une des puissances nucléaires de l’Organisation. Comme le déclarait le général Darricot, représentant militaire adjoint de la France à l’OTAN, en novembre 2017, « notre contribution à l’OTAN, c’est d’abord notre dissuasion nucléaire – certes autonome – qui complique les risques pour un potentiel adversaire ». De l’autre côté du spectre, la Turquie est également importante pour l’Organisation, non seulement pour sa situation géographique, beaucoup plus proche du Moyen-Orient, mais également parce qu’en tant que nation majoritairement composée de musulmans, elle constitue une « caution religieuse » pour l’Organisation [18]. D’autres nations, enfin, offrent par leur localisation des ports sur des mers autrement difficiles d’accès pour les marines des Etats-membres.

Si les dépenses de défense participent des capacités militaires d’un Etat, on doit donc rechercher une augmentation des budgets de défense mais elles ne représentent pas l’unique apport d’un état à l’Organisation. Cet apport peut également être géographique ou immatériel, et devrait être évalué pour ce qu’il est.

Premier impératif : définir de nouveaux critères

On l’a vu, l’objectif actuel des 2% n’apparaît ni pertinent pour évaluer les capacités militaires d’un état-membre, ni efficace pour garantir que les signataires s’engageront réellement à l’atteindre réellement. Il faut donc définir une nouvelle direction pour l’OTAN, notamment en établissant de nouveaux critères permettant d’évaluer la contribution d’un membre, et en créant la possibilité de sanctions pour les Etats qui ne respecteraient pas les engagements pris en termes de dépenses de défense.

L’établissement de ces nouveaux critères serait sans doute un projet long et fastidieux, compte tenu du processus décisionnel de l’OTAN par consensus. Mais comme les partisans de l’Organisation aiment à le rappeler, c’est une alliance efficace, qui a su s’adapter [19] et qui n’a jamais connu l’échec au cours de ses soixante-dix années d’existence. On peut donc imaginer que cette réforme aboutirait. Le flou qui entoure actuellement la définition des dépenses de défense, ainsi que les débats sur ce qui contribue à la défense de l’Alliance, devront être résolus si l’OTAN souhaite pouvoir continuer à progresser. En l’état actuel des choses, il paraît incohérent de dire à l’Allemagne que l’argent investi dans l’aide au développement à l’étranger, principalement en Afrique [20], ne participe pas aux missions de l’OTAN, quand l’Alliance a adopté comme l’un de ses principaux mots d’ordre « projecting stability ». Car que fait l’aide au développement, si ce n’est participer à la stabilité d’un pays ou d’une région ?

Il faut donc que les Etats-membres mènent une réflexion approfondie sur la contribution de chacun, en prenant en compte les éléments cités précédemment : dépenses de défense (selon des critères plus précis qu’aujourd’hui), capacités critiques qu’elles s’engagent à conserver et à mettre à disposition de l’Alliance (radars islandais, dissuasion nucléaire), apports immatériels, situation géographique avec mise à disposition d’infrastructures portuaires, aéroportuaires ou militaires. Une fois ces contributions évaluées, il faut ensuite donner une ambition et, donc, un objectif qui vise à les augmenter ou les améliorer, avec un calendrier associé. Ainsi, en conservant le principe du consensus, chaque état-membre serait reconnu pour sa contribution et pour les efforts qu’il aura à accomplir, l’ensemble permettant de prouver son engagement au sein de l’OTAN et ainsi de renforcer la crédibilité globale de l’Alliance.

Second impératif : instaurer la possibilité de sanctions

Pour ce qui est de l’établissement de sanctions, elles permettraient de revenir à une réalité intangible de toute organisation : pour fonctionner correctement, elles ont besoin de sanctions pour s’assurer que les membres en respectent les règles. Il en va de même au niveau de chaque état où les pouvoirs législatifs et exécutifs ne suffisent pas : il faut un pouvoir judiciaire pour sanctionner les citoyens ne respectant pas la loi. Au niveau international, l’absence de sanctions, engendre un risque de détérioration des relations entre les Etats. Ainsi l’ONU et l’Union Européenne se sont dotées d’un cadre permettant des sanctions contre les Etats. Car « être indulgent avec un État refusant de tenir ses engagements établirait en effet un dangereux précédent » [21]). Dans l’Union Européenne, c’est l’article 7 du Traité sur l’Union Européenne (TUE) qui permet, entre autres, de suspendre certains des droits d’un de ses membres. Et dans les situations de tensions, l’histoire récente et l’actualité montrent qu’il s’agit d’un dernier recours parfois indispensable pour faire revenir certains Etats récalcitrants dans le rang. En juillet 2015, en réaction au résultat du référendum d’Alexis Tsipras (le dirigeant grec nouvellement élu), « Mario Draghi, […] actuel président de la BCE, appuyé par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, et 17 gouvernements coalisés, menace la Grèce, isolée, d’une expulsion manu militari de la zone euro » [22]. Le 11 juillet 2016, le Parisien décrivait la situation ainsi : « Il y a un an, le Premier ministre grec Alexis Tsipras capitulait […]. Aujourd’hui Athènes est rentrée dans le rang ». Il n’y a que la menace d’expulsion, la menace d’une sanction, qui a réussi à faire plier le leader du parti Syriza en 2015. Quant à l’actualité, l’Union Européenne brandit aujourd’hui, « après des mois de mises en garde » la menace de l’article 7 du TUE « contre le gouvernement polonais, resté sourd aux demandes d’infléchir ses réformes judiciaires controversées [23]) ».

Mais si on les refuse, quelles seraient les alternatives aux sanctions ? On peut penser qu’on n’obtiendrait que des réactions potentiellement délétères pour le fondement même de l’OTAN. Ainsi, pendant la campagne présidentielle de 2016, le président Trump avait menacé l’Europe de devoir se défendre elle-même [24]) ; en d’autres termes, de rendre l’application de l’article 5 du Traité de Washington – la défense collective – conditionnelle à l’atteinte d’un niveau de dépenses de défense satisfaisant. Ces menaces ont été reformulées par le Secrétaire à la Défense, James Mattis, en 2017, qui annonçait que les Etats-Unis pourraient « modérer » leur engagement à défendre l’Europe. Il y a eu, certes, des réponses de certains pays, dont l’Allemagne, en réaction à cette annonce, mais le simple fait de devoir proférer des menaces sur l’article 5, qui constitue le pilier de l’organisation, nuit à la crédibilité de l’Alliance. Si l’Etat le plus puissant de l’Alliance instille un doute sur la qualité absolue de la défense collective, c’est toute l’architecture de la dissuasion et de la crédibilité de l’OTAN qui est remise en question.

En outre, en l’absence de sanctions, il est possible que la décision d’augmentation du budget de la défense de la chancelière allemande ne soit qu’une annonce politique a minima – un os à ronger – destinée à dévier les gesticulations politiques du président américain. Mais comment peut-on garantir que la tendance positive actuelle se maintienne sur le long terme, sans sanction qui pourrait dissuader nos dirigeants politiques de revenir sur leurs engagements ? Car les budgets de Défense ont souvent été, et restent encore aujourd’hui, la variable d’ajustement des exercices budgétaires des démocraties occidentales. La logique à long terme des programmes d’armement fait qu’il est plus simple de diminuer les investissements et retarder les livraisons de matériels majeurs, plutôt que de couper dans les budgets de fonctionnement d’autres ministères, beaucoup moins flexibles. La France n’est pas exempte de ce type de décision, comme les événements de l’été 2017 l’ont prouvé. Malgré les engagements de campagne du président nouvellement élu, Emmanuel Macron, et le renouvellement de la cible de 2% du PIB en budget de défense d’ici 2024, il avait en effet été question d’une réduction de 850 millions d’Euros pour l’exercice 2018. A nouveau, sans sanction possible contre les Etats-membres, l’OTAN prend le risque de voir certains gouvernements céder à des problématiques domestiques, au détriment de leur contribution à l’Alliance.

Quelles sanctions ?

Maintenant que sont établies les bases d’une réflexion pour définir de nouveaux critères d’évaluation des contributions des Etats et que le besoin de sanctions paraît pertinent, il faut étudier la question des éventuelles sanctions. Si la sanction ultime, comme vu précédemment, est l’expulsion, il est possible de trouver des mesures intermédiaires avant ce qui ne serait qu’un dernier recours. Tout d’abord, on pourrait imaginer que les postes à responsabilités les plus importants au sein de la structure de commandement ne pourraient être attribués qu’aux membres respectant leurs engagements envers l’Organisation. Si la France, par décision du président Sarkozy, a décidé de revenir dans la structure de commandement intégré de l’OTAN en 2009, c’est parce qu’elle comptait peser davantage dans les décisions et influer sur les décisions qui y sont prises.

Si l’on continue sur la même lignée, on pourrait également restreindre l’établissement de structures otaniennes à ces mêmes pays contributeurs – pas de NATO Joint Analysis and Lessons Learned Centre pour le Portugal dans ces conditions ! Voire, après plusieurs rappels à l’ordre, envisager un déménagement de ces structures d’un Etat récalcitrant à un Etat plus engagé. Si l’idée peut paraître absurde, il y a au moins un précédent célèbre : le quartier général de l’OTAN a été déménagé de la France à la Belgique. Il s’agissait certes plus d’une « expulsion » par la France que d’un « retrait » par l’OTAN, mais cela reste possible, à court ou moyen terme. On pourrait même envisager d’aller jusqu’à exclure la nation de l’ensemble du processus décisionnel. En revanche, comme abordé précédemment, il ne paraît pas pertinent d’envisager une « simple » exclusion du droit à l’article 5 : il s’agit en effet du fondement de l’OTAN, et exclure un pays de cette défense collective revient dans le fond à l’exclure de l’Alliance. Cette sanction, l’exclusion totale de l’Alliance, serait donc le dernier recours, la peine ultime.

Les arguments avancés contre cette mise en place de sanctions, allant jusqu’à l’expulsion, sont essentiellement les risques encourus, tant par l’Alliance que par le pays exclu. Pourtant, il suffit de quelques exemples pour se rendre compte que cette décision, si elle venait à être prise, n’aurait en aucun cas les conséquences catastrophiques prédites par ses détracteurs. A l’échelle de l’Etat, pour commencer, une expulsion ne signifierait pas pour autant une destruction assurée. Certains pays européens, tels l’Autriche ou la Finlande, vivent en dehors de l’OTAN sans pour autant avoir cédé à l’influence russe, et sans se sentir menacés à un point tel qu’une adhésion à l’OTAN soit la seule solution pour leur sécurité. En outre, les autres organisations internationales, ONU et Union Européenne notamment, et quelle que soit l’efficacité qu’on leur reconnaît, fournissent également un cadre de protection pour les Etats. Il y a ensuite les accords de défense bilatéraux entre Etats qui contribuent à cette sécurité européenne, ou la simple volonté politique d’un Etat en particulier. Lors de son discours sur la dissuasion nucléaire à Istres en février 2015, le président français François Hollande avait rappelé à ce titre qu’il était difficile d’envisager une situation où l’Europe serait menacée, sans que cela ne menace les intérêts vitaux de la France [25]. Enfin, on peut imaginer qu’un Etat exclu, qui se sentirait réellement menacé, serait alors prêt à reprendre des engagements en vue d’être réintégré au sein de l’Organisation, et prêt donc à consentir les efforts nécessaires.

Parallèlement, l’expulsion d’un Etat, circonstance qui devrait rester exceptionnelle si les Etats se sentent effectivement engagés dans la défense collective, ne causerait pas non plus l’effondrement de l’Alliance pour autant. Seule la perte des Etats-Unis pourrait être aussi dramatique, mais comme on l’a vu, l’économie américaine repose trop sur l’industrie de défense pour qu’on puisse raisonnablement craindre que les Etats-Unis ne respecteront pas les engagements pris en termes de dépenses de défense. L’expulsion d’un membre serait en revanche un moyen de resserrer les rangs et de saisir de nouvelles opportunités permises par ce regain de cohésion interne. Ainsi, avec l’annonce du Brexit pour l’Union Européenne, on a assisté à un front quasi-uni contre la Grande-Bretagne – fait rare pour l’UE – et la signature d’un nouvel accord pour l’Europe de la Défense visant à la mise en place de la PESCO [26]. Il s’agirait également d’un rappel à l’ordre pour les gouvernements des Etats-membres des engagements politiques pris au nom de l’OTAN, et participerait à les dissuader de s’en affranchir – sauf à vouloir quitter l’Organisation.

Conclusion

Face aux défis externes et internes de l’ère post-soviétique, il est donc nécessaire pour l’OTAN de se réformer en profondeur, bien au-delà des simples adaptations, progressives et consensuelles, que l’Organisation a connues jusqu’à aujourd’hui. Au-delà de l’optimisme politique – politicien ? – de son secrétaire général, il paraît peu probable que les Etats-membres respectent leur engagement des 2% à l’horizon 2024. Il faut donc réfléchir à de nouveaux critères permettant de mesurer l’engagement politique des Etats de l’Alliance, et instaurer des mesures coercitives visant à dissuader les gouvernements de se soustraire aux engagements pris. Car si Condoleeza Rice se réjouissait de la cohésion de l’OTAN post-septembre 2001 par la formule « It is really good to have friends », on ne peut oublier la maxime, souvent attribuée à plusieurs personnalités anglaises, mais que Charles de Gaulle aurait notamment rappelée à Clémentine Churchill : « Une nation n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts »

References[+]

Par : Chef d'escadron Raphaël COTTAIN
Source : Ecole de Guerre
Mots-clefs : budget, OTAN, Russie, Sanctions


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