Panel international sur la sortie de la violence ; synthèses des groupes de travail – 1ère partie

Mis en ligne le 17 Juil 2018

Cet article regroupe les premières synthèses du Panel international sur la sortie de la violence (IPEV). L’article propose tout d’abord une lecture anthropologique située, et comparée de la radicalisation, nous invitant à prendre davantage en considération le rôle des dynamiques familiales et des territoires de socialisation dans le processus de radicalisation. Une deuxième synthèse souligne ensuite que si les chemins menant à la radicalisation sont innombrables, il en va de même pour la dé-radicalisation et le désengagement, ce qui doit susciter une interrogation sur les spécificités de chaque contexte. Enfin, la troisième synthèse aborde les conséquences de la désintégration sociale chez les jeunes générations confrontées aux conflits du Moyen-Orient ; tout projet de sortie de violence doit avant tout s’inscrire dans une logique de désescalade sociale et politique.

 


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont : Synthèses des groupes de travail – 1ère partie, conférence de restitution IPEV, Beyrouth 2018, avec Farhad Khosrokhavar, Jérôme Ferret, Shashi Jayakumar et Mohamed-Ali Adraoui

Ce texte, ainsi que d’autres publications peuvent être visionnés sur le site du CSFRS :



Radicalisation : perspective comparatiste

 

Pour une lecture anthropologique, comparée et située de la radicalisation

Des définitions « plurielles » de la radicalisation ?

Pour Farhad Khosrokhavar, depuis les attaques du 11 Septembre 2001 aux États-Unis, la « radicalisation » est devenue une notion cardinale. Il entend la radicalisation comme un processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux, ladite idéologie contestant l’ordre établi sur le plan politique, social ou culturel. On découvre ainsi une double radicalité que chacune des deux composantes ne possède pas à elle seule : l’idéologie extrémiste d’un côté, l’action extrémiste de l’autre, s’inspirant de ladite idéologie mais qui a sa propre spécificité et ne se réduit pas à une simple mise en oeuvre.

Dans la radicalisation, la sensibilité du sociologue se déplace pour étudier l’individu, sa subjectivité, les modalités de sa subjectivation et d’adhésion au groupe. Bien souvent, le terme de radicalisation est utilisé pour désigner l’emprise religieuse conservatrice présente dans les comportements chez certains groupes sociaux, ou encore dans certains quartiers populaires. On atteint dans ce dernier cas, une certaine extension de la notion qui se détache de celle du terrorisme pour couvrir un objet plus large. Ces changements de focale conduisent à circonscrire la notion de radicalisation de façon variable, voire plurielle. Cette difficulté peut conduire certains à vouloir abandonner cette notion jugée trop large ou trop imprécise. L’enjeu scientifique de stabiliser une définition et d’ériger la notion de « radicalisation » au rang de concept univoque constitue une ambition que l’analyse comparative peut contribuer à atteindre.

Éviter le culturalisme : la culture de la violence comme variable non pas explicative mais à expliquer

On ne saurait associer le terme de radicalisation exclusivement aux pays musulmans ou à des groupes extrémistes se réclamant d’un islam politique en Occident ou ailleurs. La radicalisation menant à l’extrémisme (violent) s’exerce au nom d’autres idéologies, séculières ou religieuses, un peu partout dans le monde. On pourra notamment citer les extrémismes néonazis ou néofascistes en Europe ou le suprématisme blanc aux États-Unis, mais également l’extrémisme écologique ou anti-avortement. Cependant, en dépit de cette multiplicité des cadres de radicalisation violente, la dimension symbolique du terrorisme jihadiste apparait fondamentale dans la perception de la menace du côté occidental. En outre, il n’est pas possible de stipuler que la dimension idéologique ou cognitive est mécaniquement liée à la dimension actionnelle de la radicalisation. Il convient donc de bien distinguer les idées radicales de l’action radicale. Pour autant, indiquer qu’il n’existe pas de liaison mécanique entre dimensions idéologiques ou cognitives et dimensions actionnelles, ne veut pas dire qu’il n’existe pas de relations possibles. Aujourd’hui, dans le domaine de l’islamisme, la question de la perméabilité entre ces deux dimensions fait l’objet de nombreux débats.

On peut conclure provisoirement en indiquant que le passage par l’idéologie et/ou des communautés de réislamisation orthodoxes peut, dans certains cas, intervenir comme facteur de pré-radicalisation violente, mais que cette porosité n’est pas mécanique.On constate ainsi que certains processus individuels de radicalisation s’opèrent sous la forme d’une socialisation directe au jihadisme, sans passage par des communautés fondamentalistes. Il convient donc de demeurer extrêmement prudent dans la mobilisation d’explications mono causales qui feraient de l’islam ou même du fondamentalisme musulman l’espace exclusif des processus de radicalisation identifiables au sein de nos sociétés. Ces derniers doivent être appréhendés à partir d’une focale plus large débouchant sur une lecture anthropologique, située et comparée de la radicalisation violente.

Pour une lecture anthropologique, située et comparée, de la radicalisation violente

Pour les sciences sociales, il s’agit ainsi de poser la question des formes d’activisme dans une perspective élargie et en second lieu, de s’interroger sur les motivations profondes de l’acteur extrémiste en posant en particulier la question des conséquences sur le long terme de la stigmatisation, de l’humiliation, des formes sournoises de rejet ou d’exclusion, mais aussi de l’anomie et de la perte d’utopie dans nos sociétés.

Du point de vue psychosocial, il existe ainsi une dimension « positive » de la radicalisation pour l’individu. Cette approche contre-intuitive souligne ainsi qu’une idéologie et/ou un groupe violent peuvent constituer une offre attractive pour des jeunes fragilisés, en quête de sens et de repères. De manière assez massive, les origines territoriales des jeunes radicalisés européens sont souvent les mêmes : quartiers et banlieues périphériques en France, communes populaires en Belgique, aux Pays-Bas et ailleurs en Europe. Dans ces territoires où le chômage de masse est la règle et la réussite sociale l’exception, les socialisations adolescentes se construisent autour de transgressions. Cette culture de la transgression ne fait pas contre-société, et ne peut exister que dans une relation de « dépendance agressive » avec des modèles sociaux tout à la fois honnis et désirés.

De la culture de la transgression au ressentiment il n’y a qu’un petit pas que beaucoup de jeunes franchissent. Certains vont aller plus loin et entrer dans des processus plus ou moins longs de radicalisation « anti-sociale ». La rencontre entre ce potentiel de ressentiment et de révolte avec une idéologie radicale, quelle qu’en soit la nature, est toujours explosive, et ce que nous vivons avec la tentation jihadiste n’échappe pas à la règle.

Les instruments numériques : des vecteurs ambigus dans les processus de radicalisation

Si les chercheurs reconnaissent collectivement l’importance des espaces numériquesen ce qui a trait aux phénomènes de radicalisation violente, il apparaît assez risqué de donner à penser qu’internet constitue la seule et unique variable contribuant à la radicalisation violente des individus. Par nature multifactorielles, les études actuelles démontrent le fait que les trajectoires d’engagement dans la radicalité violente se nouent le plus souvent au croisement du réel et du virtuel. Souvent pensées comme opposées ou étanches, ces deux sphères sont en réalité, le prolongement l’une de l’autre. Ainsi, Benjamin Ducol esquisse trois grands archétypes en ce qui a trait au rôle d’internet dans les parcours de radicalisation et d’engagement dans la violence politique : celui d’initiateur, de vecteur ou de continuum.

Se radicaliser pour (re)construire une famille : entre enfermement radical et émancipation par la radicalisation

La radicalisation apparaît donc aussi au coeur des logiques d’inscription sociale del’individu dans le monde. Par-delà l’ensemble des éléments que l’on a pu évoquer précédemment et leurs diverses combinaisons possibles, c’est bien souvent la construction d’un sens qui est en jeu. Or ce sens n’est pas seulement individuel. Il s’inscrit aussi en dynamique (continuité ou rupture) avec l’environnement proche, dont celui de la famille. La question de la désaffiliation, de l’affiliation et de la ré-affiliation joue de manière plurielle :

1. Certains processus de radicalisation peuvent tout simplement relever de la simple éducation et socialisation primaire familiale.

2. Les réseaux de violence apparaissent donc aussi comme des entreprises familiales de violence impliquant des fratries, des cousins, parfois des parents.

3. Parfois, c’est le processus de radicalisation qui initie de nouvelles constructions familiales (et non l’inverse). C’est alors parce que des individus partagent des visions radicales du monde qu’ils décident de se mettre en couple et de fonder une famille. Le projet de violence fait partie de ce projet familial, voire apparaît parfois à sa fondation.

4. La radicalisation individuelle peut aussi s’effectuer en rupture avec le modèle familial d’origine. De nombreux parcours font apparaître un milieu familial insécurisant, déstructuré, traversé par des conflictualités significatives et parfois de la violence. C’est la normativité associée aux modèles familiaux radicaux et la sécurité (idéalisée) qu’ils semblent apporter qui peuvent être perçues comme attirantes pour des individus en recherche de cadres stables.

5. Une autre entrée tient à la distance ambivalente prise par certains enfants par rapport à leurs parents. Ils considèrent que leurs parents ou leurs grands-parents ont été maltraités et humiliés par le système social et ne comptent pas reproduire ce modèle familial de sujétion. Parallèlement, se sentant rejetés par le corps social, ils idéalisent leurs origines (migratoires ou autres) qu’ils réinvestissent en rupture avec la culture familiale. Ce travail de distanciation s’effectue à la fois au travers d’un rejet de la société.

6. La radicalisation peut être analysée comme une modalité pour les jeunes de sécuriser leur passage à l’âge adulte. Confrontés à de nombreux aléas pour accéder à un travail et à la conjugalité, l’extrémisation religieuse constitue une modalité de s’extraire de l’emprise familiale, d’accéder à une autonomie difficilement atteignable autrement, en somme de s’émanciper de la famille et de devenir pleinement adulte.

Aller davantage en profondeur dans les dynamiques intimes familiales, associer le temps long et les territoires de socialisation, les espaces physiques et leurs histoires singulières

◆◆ Un premier axe pourrait consister à analyser les modalités de transformation de l’individu dans des sociétés aux normes et aux processus d’intégration sociale constamment fragilisés. Cette « sociologie de l’individu » radicalisé doit se distinguer de la simple approche psychologique pour embrasser un questionnement davantage anthropologique. La radicalisation, en tant que processus, apparaît dès lors comme le symptôme d’une relation troublée ou inadaptée entre individus et sociétés. On doit alors questionner la « fonctionnalité » des radicalités en tant
que principe d’ajustement social et la place des différents types de violences (de la contestation pacifique jusqu’au terrorisme) dans ces dynamiques adaptatives. Éviter de poser cet enjeu de façon relationnelle, c’est risquer de se focaliser sur les manques ou l’inadaptation de l’individu, en négligeant un certain nombre de ses besoins, et en se privant d’imaginer comment la société pourrait y répondre en s’ajustant elle-même aux nouvelles subjectivités contemporaines.

◆◆ Dans ce cadre, les multiples dynamiques familiales sont encore mal comprises et insuffisamment mises en lien du point de vue analytique. La radicalisation semble ainsi paradoxalement aujourd’hui autant être le produit de la désinstitutionalisation de la famille qu’un moteur pour construire de nouveaux modèles familiaux. Les réponses seraient néanmoins à chercher davantage dans la dynamique des rapports familiaux et leur dimension subjective, que dans des variables figées (ex : famille monoparentale, nombre d’enfants, statut des parents, etc.) qui aujourd’hui ne permettent pas d’expliquer ces phénomènes.

◆◆ Les processus de radicalisation doivent également être appréhendés comme des dynamiques socialement et territorialement ancrées. Beaucoup trop d’analyses sont encore trop abstraites, manquant de données probantes contextualisées au bénéfice de modèles souvent sans fondement empirique clair. Les dynamiques de construction des phénomènes de radicalisation doivent donc être davantage appréhendées à partir d’approches socio-historiques et micro-historiques. En rendant compte à la fois des processus génétiques et des dynamiques de groupes au niveau local, de la structuration et de l’évolution des réseaux de sociabilité (familiales, amicales, religieuses, criminelles…) et de leur entrecroisement, on peut se donner de nouveaux instruments de compréhension de ces phénomènes, permettant ensuite de travailler sur des « leviers » locaux, au plus près des logiques d’implémentation de l’action publique de prévention.

 

La dé-radicalisation, perspective comparatiste

Le lexique moderne employé par les chercheurs et les analystes – des mots tels que « terrorisme intérieur », « autoradicalisation » et « déradicalisation », pour ne citer que ceux-là – est couramment galvaudé sans grande considération pour son sens véritable. À cet égard, nul doute que l’on doit l’introduction de ce lexique dans le vocabulaire commun aux attaques du 11 septembre et au grand bouleversement qu’elles ont provoqué, mais n’oublions pas que le terrorisme et les individus « radicalisés » existaient déjà bien avant cette tragédie. Bien que ce chapitre soit consacré pour l’essentiel aux événements et aux problématiques actuels (et surtout à l’extrémisme islamique violent et aux solutions potentielles pour en sortir), il est utile d’avoir conscience du passé d’autres mouvements violents ou radicaux, comme l’introduction du chapitre de notre groupe le fait valoir. On pourra notamment mentionner l’IRA, l’ETA ou la Fraction armée rouge (RAF). Les analyses contemporaines de ces mouvements révèlent que la question de la « déradicalisation » des individus n’était que très rarement débattue sérieusement. La désillusion s’est emparée de certains, d’autres ont pris leurs distances, et d’autres encore se sont ravisés pour d’autres raisons (par exemple, lorsque confrontés aux conséquences de leurs croyances et de leurs actions).

Le contraste évident entre le traitement conceptuel des mouvements passés et celui des mouvements actuels (particulièrement en ce qui concerne les groupes jihadistes) est en partie imputable au désir de trouver des solutions miracles, mais aussi à une vision manichéenne et erronée du phénomène de l’extrémisme violent. Le raisonnement est généralement le suivant : si les individus peuvent devenir radicalisés, ils peuvent alors être déradicalisés. Et en effet, dans quelques cas très précis, des nations ont créé des « programmes de déradicalisation » étatiques, qui, sur le papier, se targuent d’excellents résultats. Certains optent, comme c’est le cas à Singapour, pour ce que l’on pourrait appeler une approche de consultation religieuse ou de réhabilitation religieuse. Si la méthode a été efficace à Singapour, les résultats obtenus dans d’autres pays ayant adopté une approche religieuse ou idéologique ont été dans l’ensemble bien plus mitigés (comme notre rapport le souligne).

Très rapidement, notre groupe de travail a pris la décision importante de ne pas se confiner simplement au traitement des questions de la « déradicalisation » ou des « programmes de déradicalisation ». Naturellement, ces questions doivent être examinées, et nous n’y avons pas manqué, mais il est tout aussi important de considérer le désengagement. Comme évoqué précédemment, par le passé, bon nombre d’extrémistes violents n’ont jamais été « déradicalisés ». Certains se sont détournés de ce chemin après un processus de réflexion profonde et de rationalisation ; d’autres sont devenus désillusionnés. Il n’y avait à l’époque que très peu d’intervention étatique ou d’efforts pour faciliter ce processus. Parfois, le processus était profondément et intensément personnel ; dans d’autres cas, les proches (famille, amis, associés, voire une figure de mentor) ont pu jouer un rôle. Il nous faut puiser dans ces expériences pour mieux comprendre certaines des possibilités – en termes d’exemples à suivre ou à éviter – qui s’offrent à nous aujourd’hui. L’organisation de « programmes de désengagement » n’est pas chose aisée pour les autorités.

Concrètement, leur mise en oeuvre est sans doute bien plus complexe que celle de « programmes de déradicalisation » étatiques. Pourtant, comme essaye de le montrer notre rapport, c’est précisément ce qui a été entrepris à divers endroits, du Danemark jusqu’à certaines régions d’Amérique du Nord.

Les meilleurs de ces efforts de désengagement ont été conçus avec soin et attention. Plutôt qu’un effort artificiel et probablement illusoire pour bannir les idées radicales de l’esprit d’un individu, certains programmes ont recours à un système de mentors (avec parfois un mentor par individu suivi) pour avant tout mieux comprendre la personne – constitution mentale, parcours, situation, famille et milieu. Le recours à un processus d’engagement permet de désengager avec succès certains individus. Il faut toutefois préciser que, s’il arrive que les autorités, à l’échelle nationale ou locale, participent à ce type d’initiatives, les programmes les plus prometteurs semblent être ceux qui impliquent des acteurs locaux crédibles. De plus, ces démarches prometteuses n’optent que rarement, sinon jamais, pour une approche « titrisée ». Tous les acteurs concernés (écoles, services sociaux, famille, pour en nommer quelques-uns) doivent être impliqués.

Le contexte fait tout, et, comme le remarque un expert cité dans le rapport, toute radicalisation est locale. Ce qui semble bien marcher à un endroit donné pourrait ne pas avoir la même efficacité ailleurs. De surcroît, il faut également prendre en compte le rôle de l’État. Comme évoqué précédemment, certains États essayent de faciliter la « déradicalisation ». D’autres, et notre chapitre l’illustre bien, peuvent en revanche être perçus localement comme des acteurs répressifs dont les actions contribueraient à la « radicalisation » des individus et des communautés. Dans ces conditions, les tentatives de mise en place de « programmes de déradicalisation » étatiques dans ces localités peuvent souffrir d’un manque d’adhésion et de crédibilité auprès des personnes mêmes qui devraient en théorie participer à ces programmes.

Les chemins qui mènent à la radicalisation individuelle sont innombrables. Il en va de même pour la déradicalisation et le désengagement : les variables et les impondérables sont infinis. Le modèle qui se dégage est une absence de modèle.

Ce cheminement semble bien parti pour aboutir à la conclusion inévitable, quelque peu déprimante, mais évidente qu’il n’y a pas de solution miracle. Toutefois, plutôt que de conclure qu’il s’agit d’un objet d’étude à la complexité insurmontable, notre groupe de travail préfère enjoindre les membres de la communauté de pratique (intellectuels, chercheurs, professionnels de terrain ainsi que, oui, les responsables des services de sécurité) à concentrer leur esprit et leur énergie dans l’espoir d’arriver à des réponses nuancées aux problèmes qui nous occupent. Plutôt que de chercher des solutions monolithiques, nous devrions reconnaître et embrasser la nécessité de comparer, contraster et opposer. Nous espérons que cette étude et l’initiative de l’IPEV pourront jouer un petit rôle dans la création d’une telle communauté de pratique.

 

◆◆ Universitaires, responsables politiques et spécialistes de la lutte contre l’extrémisme violent (ou CVE, pour Countering Violent Extremism) doivent reconnaître l’importance du contexte. Dans le cadre du déploiement d’initiatives CVE, une plus grande attention devrait être portée à la compréhension des spécificités et des particularités d’une localité et de sa situation, car celles-ci sont tout sauf anodines.

◆◆ Il faut donner aux autorités locales et aux communautés des outils et des compétences pour implémenter ces initiatives — et y compris des initiatives basées sur de nouvelles approches — à bien plus grande échelle.

◆◆ Le rejet des solutions miracles doit devenir un mantra pour tous les acteurs de la lutte contre l’extrémisme violent. Une « prescription de la déradicalisation » est sans doute hors de portée. Pour toutes les parties concernées par ce travail, il faut alors chercher en amont et examiner dans leur ensemble les précurseurs et les conditions menant à la violence et aux mentalités qui la sous-tendent.

◆◆ Si l’on accepte l’idée qu’une « solution miracle de déradicalisation » n’apparaîtra vraisemblablement pas, il s’en suit que tous les acteurs concernés doivent se préparer à approfondir leur travail et leur recherche sur le « désengagement », qui paraît plus prometteur à certains égards (en excluant toutefois, répétons-le, l’apparition de solutions universelles). Si l’on admet cela, il faut alors également reconnaître que le « personnel de prévention » dans ce domaine ne peut se limiter aux simples professionnels de la fonction publique ou des services de sécurité. Il faut l’ouverture d’esprit pour en élargir la définition et y inclure d’autres acteurs : mentors, animateurs socio-éducatifs, travailleurs sociaux, autorités religieuses, ainsi que tout autre acteur crédible.

 

Entre salafisme, sectarisme et violence : les nouveaux visages de la radicalité

Principaux résultats

◆◆ Si de nombreux observateurs dépeignent le salafisme comme la source directe de la violence sur le plan idéologique voire sociologique, l’analyse rigoureuse de différents pays et des phénomènes de passage à la violence pousse à conclure à l’absence d’une relation de causalité mécanique entre imaginaire salafiste et engagement violent.

◆◆ Les formes et explications de la violence politique observable dans le cadre de nombreux conflits actuellement en cours au Moyen-Orient sont avant toute chose le résultat de dynamiques de désintégration sociale touchant notamment les plus jeunes générations, et d’antagonisme entre sociétés et États dans des pays au sein desquels l’accès aux formes d’expression démocratique et pacifiques des revendications politiques sont quasi-impossibles.

◆◆ La question de l’insécurité des musulmans dans le monde et des conflits dans lesquels ces derniers se retrouvent est un facteur clé dans l’engagement jihadiste. Les adeptes de cette vision se voient comme des combattants de l’islam venant en aide à leurs coreligionnaires, et se perçoivent comme légitimes à agir de la sorte.

◆◆ Pour comprendre ces phénomènes de violence politique, il convient de replacer l’idéologie (qu’elle soit salafiste ou jihadiste) dans le contexte d’une self-categorization (construction de soi) mise en contact avec des conditions sociales et politiques bien précises.

◆◆ Depuis plusieurs années, les dispositifs censés amoindrir l’engagement jihadiste ont souvent abouti à plus de jihadisme. Pourquoi un tel état de fait et peut-on parler d’une large incompréhension ?

◆◆ Les jihadistes, aujourd’hui, ne passent pas dans leur majorité par une socialisation salafiste objective.

◆◆ Une dynamique de sortie de violence doit s’appréhender dans une logique de désescalade sociale et politique dans le cadre de laquelle l’ensemble des thèmes et facteurs pouvant expliquer l’engagement violent doivent être pris en compte (pas seulement la dimension religieuse).

 

Le salafisme, essai pour une nouvelle typologie

Le salafisme représente une matrice religieuse contenant en son étymologie même sa raison d’être. Il est question d’une conception « restaurationniste » de l’islam centrée sur  l’idée que la manière « authentique » d’être musulman est entrée en perdition quelques temps après la mort du Prophète Muhammad et la vie des premières générations de croyants lui ayant succédé.

Il faut tout d’abord souligner l’existence d’un salafisme de préservation donc l’objectif avoué est de maintenir l’ordre politique en dehors de la contestation ouverte.

Un autre salafisme aujourd’hui visible est celui de transformation, que cela se fasse par la violence ou la participation politique. La principale différence est ici que le lieu du pouvoir est pensé comme potentiellement vide à la faveur d’un processus insurrectionnel ou démocratique au terme duquel le détenteur du pouvoir pourrait l’abandonner. Enfin, il est un salafisme de subversion au nom duquel le pouvoir politique ne fait pas l’objet d’une quête prioritaire. Il est davantage question d’un mouvement social, culturel et religieux dont l’objectif est la visibilité dans l’espace public par l’entrisme.

Listen to Muslim Voices

◆◆ Repolitiser la parole des musulmans portant les demandes émanant de leur société même si elles ne plaisent pas. Il est ici question d’accord un espace de légitimité morale, médiatique et politique aux acteurs en lien direct avec leurs sociétés de manière à établir et consolider des canaux alternatifs de débat et de délibération au sujet des crises dans lesquelles des communautés musulmanes se trouvent impliquées.

◆◆ Réfléchir aux causes profondes de la légitimation de l’engagement violent : la question de la justice. Le point précédant ne compte que si une réflexion plus large est entamée sur les causes de l’absence de justice au sein des sociétés musulmanes dont la situation peut difficilement se résumer à une lutte entre adeptes de la violence et ceux qui s’y refusent, entre radicaux et modérés. La notion de justice est inclusive ce qui justifie, outre de donner un espace politique aux acteurs à même de traduire politiquement des griefs de diverse nature, de penser un ordre politique global dont les personnes potentiellement attirées par les discours jihadistes (les plus jeunes générations le plus souvent) ne se sentiraient plus les victimes.

◆◆ La nécessité de la désescalade. Étant donné que les configurations discursives jouent un rôle central dans la montée en tension des dynamiques de protestation politique, il s’avère urgent de prévenir toute construction sémantique, symbolique et rhétorique fondée sur une division primaire et idéologisée du monde (eux vs nous) ainsi que les appels à la haine puis la violence. Ici, les discours religieux (salafistes ou non) aussi bien que politiques, médiatiques ou intellectuels doivent faire l’objet d’un regard très sévère. Toute parole et tout positionnement entraînant la bipolarisation et la justification de la violence doivent faire l’objet d’un véritable endiguement.

◆◆ Réintégration individuelle. Le dernier axe concerne la nécessaire réintégration individuelle des personnes engagées dans le jihadisme, ou plus généralement la violence politique. Il convient d’éviter les mécanismes juridiques ou politiques d’exception de manière à renforcer l’attrait d’être traité comme tout le monde. Il est donc question de favoriser toute dynamique permettant l’identification au groupe non-violent et à un système de moeurs où d’une part les problèmes ne se règlent pas par la violence, et d’autre part où l’humiliation et les souffrances socio-économiques sont perçues comme l’affaire de tous.

Problématiques à approfondir

◆◆ A la lumière des cas étudiés, que peut-on attendre des évolutions sociales, politiques et religieuses futures en ce qui concerne les porosités entre fondamentalisme, sectarisme et violence ? On a vu que la question de la catégorisation est centrale, aussi que peut-on dire des conflits et tensions actuels dans certains pays arabes ? A quelles nouvelles formes de catégorisation faut-il s’attendre eu égard à la tournure prise par les crises et conflits actuels ?

◆◆ Selon quelles logiques peuvent se déployer à l’avenir les phénomènes de concurrence entre les différentes formes de salafisme ? Va-t-on vers une fracture croissante au sein du champ salafiste globalisé ou faut-il s’attendre à de nouvelles fusions idéologiques voire politique (et sous l’effet de quels facteurs).

◆◆ Existe-t-il des expériences voire des modèles (locaux, nationaux, régionaux…) d’imbrication entre fondamentalisme, sectarisme et violence ? Quelles sont les récurrences, similarités mais aussi différences observables entre radicalisme religieux et radicalisme politique ?


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