Prévenir la violence, en sortir : un domaine pour les sciences humaines et sociales ?

Mis en ligne le 10 Juil 2018

Avec cet article, l’auteur s’interroge sur la question de la violence physique, politique ou sociale, sur celle de sa prévention et des voies pour en sortir, et sur le rôle que peuvent jouer pour ce faire les sciences humaines et sociales. Cette contribution introductive aux résultats des dix groupes qui composent le panel IPEV apporte donc de premières bases à la réflexion en soulignant que cet enjeu double, prévenir et sortir de la violence, est devenu également l’affaire des victimes et de la société civile. Elle invite par ailleurs à visiter la subjectivité des acteurs.

Michel WIEVIORKA


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ce texte sont : Michel Wieviorka, Prévenir la violence, en sortir : un domaine pour les sciences humaines et sociales ? Conférence de restitution IPEV, Beyrouth 2018.

Ce texte, ainsi que d’autres publications peuvent être visionnés sur le site du CSFRS :


Prévenir la violence, en sortir : un domaine pour les sciences humaines et sociales ?

 

 

La violence [1] est un objet particulièrement important des sciences humaines et sociales. Rares sont les chercheurs qui ne s’y jamais frottés, ou les écoles de pensée qui n’en traitent pas. Des théories, des travaux empiriques, innombrables, en font un thème central pour la sociologie, et plus largement, pour elles.

Il n’est pas facile de définir la violence. Une approche universaliste, objective, proposera par exemple une quantification – nombre de crimes dans un pays, de tués lors d’une guerre, de suicides, etc. Mais la violence est aussi subjective, elle est ce qu’une personne, un groupe, une société considèrent comme tel, à un moment donné : or d’autres personnes, d’autres groupes, d’autres sociétés peuvent avoir d’autres perceptions, ce qui rend difficile la montée en généralité et encourage les dérives relativistes. Cette difficulté est particulièrement nette avec le terrorisme : ne dit-on pas que le terroriste des uns est le combattant de la liberté des autres ?

Autant dire que les sciences humaines et sociales n’en ont pas fini avec l’effort pour conceptualiser la violence, et dépasser les définitions non scientifiques de la vie quotidienne ou des médias. Un tel effort passe par des débats : nous n’en manquons pas.

 

J’ai eu la chance, par exemple, d’assister à une rencontre à Florence, au début des années 80, au moment où régnait la terreur des Brigades rouges et autres organisations de lutte armée : l’historien Charles Tilly, figure de référence de l’école dite de la mobilisation des ressources y confrontait son approche du terrorisme à celle de Ted Robert Gurr, tête de file de courants d’une sociologie politique américaine pour laquelle la frustration relative des acteurs explique leur participation à ce type de violence[2]. Ou bien, lors du Congrès de l’International Sociological Association de Göteborg, en 2010, avec un prolongement dans une revue italienne de sociologie, j’ai eu une discussion passionnante avec Randall Collins à propos de l’analyse de la violence [3] il défendait l’approche interactionniste de son ouvrage devenu classique, là où je promouvais des recherches procédant de la subjectivité des acteurs, y compris bien en amont du moment de la rencontre intersubjective où la violence éventuellement surgit. Et, dernier exemple, a surgi en France en 2016, vite répercuté à l’échelle planétaire, un intéressant débat à propos des djihadistes : qu’est-ce qui est premier dans leur passage à l’acte terroriste, l’islam, ou leur radicalisation à partir de situations et de processus sociaux liés notamment à une histoire faite de décolonisation mal digérée, d’immigration, de précarité ou d’exclusion, de discrimination, etc. ? Gilles Kepel a parlé de radicalisation de l’islam, Olivier Roy d’islamisation de la radicalité sociale, jusqu’au moment où Farhad Khosrokhavar a montré qu’il n‘y a pas de réponse unique mais une grande diversité de cas possibles [4]. D’autres grands débats posent aussi la question des relations entre religion et violence politique, par exemple à propos du salafisme.

Il arrive que le conflit scientifique revête un tour passionnel, parfois même extrême. C’est le cas, par exemple, avec le génocide du Rwanda où deux courants de la recherche s’affrontent, y compris dans les médias, les uns accusant les autres de rien moins que de négationnisme [5]

Que de tels débats soient possibles entre chercheurs s’écoutant, réfléchissant ensemble à ce qui les rapproche et ce qui les sépare, quitte aussi éventuellement à ce que quelques-uns s’invectivent ou presque, est une indication de l’existence d’un champ, ou d’un domaine de la sociologie qui se consacre à la violence.

 

Deux domaines distincts et contrastés

Dans un article qu’ils cosignent, John Gledhill et Jonathan Bright (Oxford Internet Institute)[6] montrent que l’étude de la violence occupe une position plus importante que celle de la paix. Ils notent qu’il y a peu d’échanges intellectuels entre les études sur la guerre et celles sur la paix, et constatent l’existence de divisions méthodologiques, mais aussi selon les régions étudiées, ou s’il s’agit du genre.

Ce constat conforte mes propres observations, et souligne la distance qui sépare la recherche sur la violence, bien développée et diversifiée, et celle qui porte sur la sortie et la prévention de la violence, beaucoup moins étudiées, et qui dessinent un espace fragmenté au sein duquel des compétences techniques, professionnelles, militantes, institutionnelles sont mobilisées sans que l‘on puisse parler de recherche proprement dite : des médecins traitent du traumatisme lié à des expériences du terrorisme, des juristes de justice transitionnelle, des consultants internationaux de « peace keeping », de « conflict resolution », de « nation building », etc. S’il faut partir comme le font Gledhill et Bright de l‘image d’une séparation entre les deux registres, le second, contrairement au premier ne revêtant nullement la forme d’un domaine structuré de recherche en sciences humaines et sociales, il faut aussi admettre que la sortie, ou la prévention de la violence, ne sont pas le simple symétrique, inversé, de la violence, comme si par exemple, une fois connues les causes d’un épisode de violence, on pouvait y remédier simplement, et l’effacer, en s’en prenant à ces causes. Il faut envisager aussi les spécificités propres à la prévention et à la sortie de la violence.Pour articuler les deux familles d’enjeu, il faut d’abord constituer la seconde en domaine propre de recherche sociologique, dans sa spécificité, et s’interroger sur la façon dont ce domaine, une fois affirmée son autonomie, peut s’articuler à celui, déjà structuré, que constitue la recherche sur la violence.

Dans le monde entier, d’innombrables acteurs interviennent pour réduire, prévenir la violence, ou y mettre fin, y compris dans ses effets ou son impact une fois qu’elle a cessé.Ces enjeux couvrent un espace gigantesque [7].

A une extrémité, en effet, il s’agit d’éviter, de minimiser, ou de mettre fin à ce qui, dans la violence, affecte ou a affecté des personnes singulières, en tant que telles, des individus atteints dans leur intégrité physique et morale : que faire pour les « vétérans » américains de la guerre du Vietnam, qui ont été témoins, voire acteurs, d’actes meurtriers, parfois barbares, et qui ne s’en remettent pas ? Des enfantssoldats embarqués très jeunes dans une guérilla africaine ayant déposé les armes ? A une autre extrémité, il s’agit d’affronter des logiques planétaires : terrorisme global, criminalité et narcotrafic international organisés, régions entières de la planète dévastée par la guerre, comme c’est le cas aujourd’hui au Moyen-Orient.

Et entre les deux, les problèmes ne manquent pas, à l’échelon d’une ville, d’un village, d’un quartier, à celui de l’État-nation, mais aussi d’une communauté inscrite dans un espace qui en déborde.

Dès lors, d’innombrables compétences sont mobilisées, et il en découle, au-delà des résultats concrets, des connaissances produites par les acteurs : des médecins, des psychiatres, des juristes, des diplomates, des consultants en tous genres, des militants et responsables d’ONGs humanitaires, des militaires, des acteurs politiques, nationaux ou internationaux, etc., peuvent tirer les leçons de leur expérience, et réfléchir à leur action, contribuant à un savoir qui a le mérite d’être adossé sur une pratique. Il arrive que certains documents soient rédigés par des auteurs capables d’adopter un point de vue sociologique, ne serait-ce que du fait de leur formation. Mais cela ne change rien à l’image d’ensemble qui ressort de toute cette production, et par exemple des rapports d’organisations humanitaires, d’institutions internationales ou de consultants : la prévention et la sortie de la violence ne constituent en aucune façon pour eux un domaine des sciences humaines et sociales. Tout au plus y a-t-il là un espace vaguement structuré, dominé par des connaissances empiriques sans théorisation.

S’il en est ainsi, ce n’est pas parce qu’il s’agirait de questions qui laissent indifférents les citoyens, les acteurs politiques, les responsables des politiques publiques ou de la diplomatie, les organisations humanitaires, etc., bien au contraire. C’est peut-être d’abord parce que nos conceptions de la violence ont longtemps rendu inutile tout projet de constituer de tels enjeux en un domaine ou un champ de recherches sociologiques.

 

L’émergence des victimes

La question est donc en premier lieu celle de l’évolution du statut politique et social de la violence.

Les sciences humaines et sociales, avant de s’étendre au monde entier et de se globaliser, ont été une invention occidentale, propre d’abord aux pays d‘Europe, puis très vite et puissamment à l’Amérique du nord et, plus tardivement à l’Amérique latine. Dans ces sociétés, la violence a pu être tenue comme la principale menace pour l‘ordre social, justifiant, dans une perspective ouverte par Hobbes, le recours à l’État pour éviter la violence de tous contre tous, puisque l’homme est un loup pour l’homme. La tradition sociologique, entre autres, s’est inscrite dans cette perspective, avec par exemple Max Weber décrétant que l’État dispose du monopole légitime de la force, ou Norbert Elias, s’intéressant au rôle de l’État et, d’abord, des cours royales, dans la régression de l’agressivité humaine [8]. Dès lors, ces enjeux relèvent de l’État et de son action, répressive avant tout, mais pas seulement. L’État n’a guère à être questionné de ce point de vue, sauf à contester ses abus ou ses carences, ou, ce qui a été une constante, à en appeler à la violence pour contester un régime et justifier une action révolutionnaire. D’importants courants de pensée et d’action ont ainsi souligné la nécessité de la violence révolutionnaire puis, comme Friedrich Engels, ont mis en exergue « le rôle de la violence dans l’histoire ». Les uns expliquaient qu’une certaine violence pouvait être nécessaire pour assurer le progrès et l’émancipation sociale, ou affirmaient avec Georges Sorel que la violence nécessaire du prolétariat ouvrier encouragerait la bourgeoisie à se radicaliser aussi et élèverait in fine le niveau de civilisation.

D’autres, plus tard, ont tenu la violence comme indispensable pour mettre fin à la colonisation – Jean-Paul Sartre a écrit en ce sens une préface célèbre au livre Les damnés de la terre de Franz Fanon.

Qu’il s’agisse d’affirmer que l’État a le monopole légitime de l’usage de la violence, ou d’en appeler au rôle positif et émancipateur de la violence, dans les deux cas, il n‘y avait pas d’espace pour faire de la prévention et de la sortie de la violence un enjeu pour la recherche en sciences sociales et humaines : celles-ci n’avaient guère vocation à analyser l’action de l‘État assumant son monopole sur la violence, et pas davantage à s’interroger sociologiquement sur la prévention de la violence face aux idées révolutionnaires, marxistes-léninistes, anti-impérialistes, décolonisatrices, etc.

Mais dans les années 60 du XXème siècle, le point de vue des victimes a commencé à être perceptible dans l’espace public de sociétés occidentales, où a surgi dans le débat la façon dont des groupes humains entiers avaient été décimés ou brutalisés en leur sein, Indiens et Noirs aux États-Unis, Juifs en Europe, Arméniens en Turquie, minorités régionales, et tant d’autres. En même temps, la voix de ceux et celles qui dénonçaient les violences subies par les femmes, et les enfants, ou des handicapés commençaient à se faire entendre, bref, la parole des victimes était prise en considération.

Cette évolution a suivi deux axes distincts perceptibles déjà dans le contexte des processus ayant abouti au procès de Nuremberg [9]: d’une part, celui du caractère personnel des souffrances endurées, et dans les cas les plus graves, des atteintes à l’humanité des victimes, d’où le concept de crime contre l’humanité forgé par le juriste Hersch Lauterpacht ; d’autre part, celui, collectif, où c’est le groupe auquel appartiennent les victimes qui est l’objet de la violence de masse, et dans les cas extrêmes, soumis à destruction systématique, à « génocide » selon le terme forgé par le juriste Raphael Lemkin.

Qu’il s’agisse de subjectivité individuelle, ou collective, que la violence atteigne des humains comme tels, ou vise un groupe dans son ensemble, cette évolution a suscité de formidables changements animés par des organisations vouées à la défense des droits humains, des mouvements demandant reconnaissance des souffrances historiques subies par certains groupes, voire réparation, des intellectuels, inspirant des débats de société et des politiques publiques, par exemple sous la forme de mesures multiculturalistes ou d’Affirmative Action.

La violence est devenue un enjeu d’analyse, et pas seulement de choix partisan. S’y intéresser pour tenter de la réduire ou de la prévenir, ou d’en gérer convenablement les effets, ce n’était plus seulement l’affaire de l’État, c’était tenir compte de demandes émanant de la société civile. C’était une affaire dépassant la politique, morale ou éthique, par exemple quand des « Médecins sans frontières » se sont réclamés d’un « devoir d’ingérence » pour intervenir sur un mode humanitaire malgré le refus de l’État concerné. Ce pouvait être aussi, comme déjà à Nuremberg, une affaire supranationale ou internationale.

Le monopole légitime de l’État, unique garant du contrôle de la violence, était mis en cause, par le bas et par le haut. L’intérêt porté aux victimes, et plus seulement à l’ordre, a fait le reste : de nombreux acteurs, d’Etat ou non, agissent désormais dans la prévention et la sortie de la violence, avec l’idée qu’il convient de systématiser les connaissances permettant d’appréhender les faits et d’accompagner leur action.

D’où la création de think tanks et d’instituts spécialisés, et, en ce qui nous concerne, celle d’une plateforme de la FMSH qui avec l’aide de plusieurs institutions mobilise aujourd’hui quelque trois cents chercheurs, anime le panel IPEV [10] et se prépare à lancer une revue consacrée à ces questions [11].

 

Perte de légitimité et déstructuration de la violence politique

Autre constat : dans les sociétés occidentales tout au moins, les cinquante dernières années ont été marquées par le rejet croissant de la violence, devenue un tabou ou presque.

Il y a un demi-siècle, de grands intellectuels, et de nombreux chercheurs en sciences humaines et sociales accordaient encore une réelle légitimité à la violence. Ce n’est plus guère le cas, ce qui rend politiquement plus facile, et souhaitable, de constituer la sortie et la prévention de la violence en objet d’analyse. Le débat n’est plus ce qu’il tendait parfois à être, l’opposition des partisans et des adversaires de certaines violences, l’adhésion ou le rejet par exemple de guérillas ou de mouvements révolutionnaires.

Enfin, la violence elle-même a considérablement évolué, et pas seulement dans les sociétés que je considère ici en priorité. Le plus spectaculaire concerne la violence politique, à bien des égards déstructurée, sa décomposition laissant place d’une part à de la violence métapolitique, religieuse notamment, comme dans le terrorisme islamique, hindouiste, ou dans le messianisme nationaliste juif, et d’autre part à des modalités infra-politiques, à de la délinquance ou de la criminalité organisée par exemple, par exemple lorsqu’une guérilla se transforme au moins partiellement en acteur incontournable du narcotrafic.

 

De l’analyse de la violence à sa prévention et à sa sortie. Approches classiques

Les sciences humaines et sociales proposent un large spectre de modes d’approche de la violence, chacun susceptible de déboucher sur des propositions cohérentes de sortie ou de prévention de la violence.

Les raisonnements classiques s’organisent autour de deux types d’approche principaux. Le premier privilégie l’idée de réaction, de réponse : la violence est ici une conduite, individuelle ou collective, permettant à un acteur d’affronter des difficultés, des dysfonctionnements, une crise. Ce type d’approche peut intégrer la notion de « frustration relative », déjà évoquée ici à propos de Ted Robert Gurr : la violence surgirait du fait de changements affectant la position d’une personne ou d’un groupe qui en sont frustrés. Les chercheurs, surtout nord-américains, qui ont développé cette démarche se réclament souvent du Tocqueville de l’Ancien régime et la Révolution. Dans ce cas, sortir de la violence, la prévenir, c’est tenter d’empêcher la crise, ou de la réduire, ou d’en finir rapidement, c’est s’intéresser non pas tant aux acteurs de la violence, qu’aux conditions sociales, économiques, culturelles qui les ont mis en crise et en position de réagir.

Un deuxième type d’approche s’intéresse aux calculs des acteurs, là encore individuels ou collectifs. La violence ici n’est pas réactive, mais instrumentale, c’est une ressource mobilisée pour parvenir à des fins, notamment politiques. Ainsi, les courants de la « théorie de la mobilisation des ressources », illustrée par Charles Tilly déjà évoqué, aujourd’hui très influents dans les sciences politiques, s’intéressent à la façon dont un mouvement social exclu au départ du système politique tente, en utilisant entre autres ressources la violence, d’y pénétrer, de s’y installer, de s’y maintenir ou d’en exclure d’autres acteurs.

Là, sortir de la violence, c’est faire en sorte qu’elle ait un coût excessif pour ceux qui pourraient envisager de l‘utiliser.

D’autres raisonnements s’intéressent plutôt à la culture et à la personnalité des acteurs violents. Pour certains, une « socialisation primaire » dans la famille et à l’école peut favoriser des tendances à la violence, forger des personnalités qui y seront enclines, et même façonner toute une culture. Une célèbre enquête de Theodor W. Adorno (et al.), publiée aux Etats-Unis en 1950, est souvent évoquée à l’appui de ce type d’approche. Elle suggère qu’une « personnalité autoritaire », antidémocratique, fabriquée dans l‘enfance, rend possible les pires crimes collectifs [12]. Aujourd’hui, pour comprendre la violence des djihadistes, notamment dans ses dimensions de haine des Juifs, ne faut-il pas considérer le milieu familial dont ils sont issus, et savoir, comme il a été dit à propos de Mohammed Merah, que le lait de leur mère qu’ils ont tété était antisémite, d’emblée? Les politiques publiques dites de « déradicalisation », ici, devraient se pencher sur la socialisation primaire, l’éducation, la famille, et par exemple se construire à partir de l‘école.

Ces façons relativement classiques d’aborder la violence, et d’autres qui pourraient être évoquées sont différentes et s’en inspirer pour la sortie de la violence risque d’être délicat : mieux vaut ne pas se tromper d’explication ! Mais en plus, ces approches, si elles présentent leur utilité, présentent aussi leurs limites. Les plus claires tiennent au caractère gratuit, ou dépourvu apparemment de tout sens, de certains actes de violence, ou de certaines dimensions d’un phénomène de violence. Pourquoi les geôliers des camps de la mort dont parle Primo Lévi dans son dernier livre [13] se complaisent-ils à humilier, animaliser les détenus – ce n’est pas nécessaire ? Pourquoi la cruauté de soldats de l’armée américaine par exemple dans la prison d’Abu Ghraïb en Irak en 2006, ou lors du massacre de My Lai au Vietnam en mars 1968 ? Que penser de l’incompréhensible logorrhée des terroristes italiens d’extrême-gauche au moment de la retombée de leur mouvement dans les années 80 ?

Ce qui nous conduit vers d’autres rivages, où il s’agit de penser des logiques de dé-subjectivation, et de re-subjectivation.

 

La perspective du sujet et du sens

J’ai proposé [14] de construire la réflexion sur la violence à partir de la subjectivité des acteurs, avec l’idée qu’elle surgit au fil de processus de dé-subjectivation et de resubjectivation. Pour ce faire, je distingue diverses figures du Sujet de la violence, que j’évoque ici rapidement pour montrer la cohérence de chacune avec d’éventuelles propositions relatives à la sortie et à la prévention de la violence :

◆◆ le sujet « flottant », agit avec une violence, au départ limitée, parce qu’il ne peut pas devenir acteur dans des jeux démocratiques, non-violents. Le jeune de banlieue qui participe à une émeute à l’annonce d’une « bavure » policière ayant fait un mort dans son quartier exprime une rage qui ne peut se traduire autrement. Dans ce cas, sortir de la violence, c’est accéder à un espace concret permettant de transformer la crise et d’en finir avec l’impossibilité de transformer la subjectivité en action. Un espace qui peut être celui de la conflictualité non-violente, j’y reviendrai

◆◆ le non-sujet prétend agir pour obéir à une autorité légitime, un chef d’Etat par exemple, comme Adolf Eichmann expliquant devant ses juges que si Hitler lui avait ordonné de tuer son père, il l’aurait fait. Il n‘y aurait eu dans ses actes ni responsabilité personnelle, puisqu’il devait obéir, ni affect quelconque, antisémite par exemple – ce qui est difficile à croire. Dans ce cas, théorisé par Hannah Arendt comme relevant de la « banalité du mal », sortir de la violence, c’est faire en sorte de responsabiliser quiconque a recours à la violence, et restreindre les situations dans lesquelles l‘obéissance à une autorité légitime débouche sur la violence. On notera qu’aujourd’hui, un soldat recevant un ordre barbare, celui de torturer par exemple, a le droit et le devoir de refuser d’obéir.

◆◆ l’hyper-sujet passe de la perte de sens, qui pourrait en faire un « sujet flottant », à la surcharge ou à la recharge de sens qu’apportaient hier les grandes idéologies, notamment révolutionnaires, et qu’apporte aujourd’hui surtout la religion, à commencer par l’islam. Cette surcharge lui permet de passer à l’acte, de rompre avec la passivité ou le sentiment d’impuissance. Face à l’hyper-sujet, le plus important est de faire en sorte que cette surcharge n’envahisse pas entièrement sa conscience au point d’encourager le passage à l’acte. Ainsi, le terrorisme djihadiste actuel, ce qui donne plutôt raison à Gilles Kepel, évoqué plus haut, ne s’explique pas sans la religion, même si elle est advenue très tard chez le terroriste, au dernier moment, et s’il ne connaît pas grand-chose de l’islam : la foi lui donne la force, l’impetus pour tuer et mourir en même temps. Prévenir la violence, en sortir, c’est affronter la religion sinon en elle-même, du moins comme force poussant à l‘action violente. Ce qui pose problème : faut-il, dans une perspective voltairienne, combattre la religion, ou une religion, pour éviter la violence? Mobiliser une religion pour en combattre une autre mobilisée dans la violence ? Ou comme on le voit dans certains programmes de « dé-radicalisation », au Danemark par exemple, s’appuyer sur des secteurs modérés, sécularisés de la religion dont se prévalent des terroristes ?

◆◆ l’anti-sujet ne donne aucun sens à sa violence, elle est une fin en soi. La cruauté, quand elle n’est pas instrumentale, destinée par exemple à terroriser un ennemi, est une modalité forte de cette négation de toute subjectivité chez autrui, nécessaire à l’anti-sujet pour se sentir lui-même sujet, acteur de sa propre existence. Pour affronter la violence pour la violence, l’essentiel est de ne pas lui laisser d’espace : la présence de témoins, de journalistes, de photographes, l’interdiction de l’alcool ou de la drogue qui facilitent la désinhibition jouent un rôle important… Sinon, seule une action répressive peut être efficace.

Cette typologie, même à peine esquissée et incomplète, apporte déjà les bases d’une réflexion sur la prévention et la sortie de la violence. Il y a pour chaque figure de « sujet », de fortes spécificités : sortir de la violence (ou ne pas y entrer) est différent selon qu’il s’agit par exemple de sujets « flottants » qui ne demandent qu’à se constituer en acteurs de conflits non violents, négociables, ou très différemment d’hyper-sujets, entièrement pris dans une logique religieuse peu ou non négociable. Chaque figure est elle-même diversifiée, et ceux qui en relèvent sont différemment sensibles à des efforts de sortie de la violence, à une politique publique par exemple.

 

Sciences humaines et sociales appliquées et analyse de l’action

Ainsi, il est possible d’envisager des sciences humaines et sociales appliquées ,susceptibles d’éclairer l’action et la décision face à la violence. Mais l’addition de réflexions et de propositions ne suffit pas pour constituer un véritable domaine des sciences humaines et sociales. Pour se rapprocher davantage encore d’un tel objectif, il convient de faire en sorte que l’action pratique, éventuellement éclairée par l’analyse concrète de chercheurs, devienne elle-même objet de recherche et de débats.

Les observations et remarques précédentes font apparaître une caractéristique propre aux enjeux que posent la sortie et la prévention de la violence : contrairement à l’analyse de la violence, qui n’a pas à accompagner une quelconque action, celle de la sortie et de la prévention de la violence semble difficile à dissocier de préoccupations opérationnelles, de l’idée de déboucher par exemple, sur des recommandations.

Il faut dès lors formuler de nouvelles interrogations. Car ici, de deux choses l’une. Ou bien la recherche sur la prévention et la sortie de la violence est en fait un élargissement de la recherche sur la violence, un prolongement, qui peut appeler une co-production, une coopération avec des acteurs engagés sur ce terrain.

Elle ne relève pas d’un champ autonome de recherche. Et elle n’est pas disjointe de préoccupations qui sont celles de l’action. Les principales questions que doit alors se poser le chercheur portent sur la nature des liens qu’ils peuvent ou qu’ils doivent entretenir avec des acteurs : quelles relations, et comment s’assurer qu’elles ne mettent pas en cause son indépendance, sa liberté, et sa différence vis-à-vis des acteurs ? C’est ce sur quoi nous avons insisté jusqu’ici dans ce texte. Ou bien l’enjeu de la recherche est l’action, et ses acteurs, et dans ce cas, une démarche très différente est en jeu, dans laquelle il s’agit d’étudier le sens de l’action, les relations dans lesquelles évoluent les acteurs, et qu’ils contribuent à changer, les processus dans lesquels ils apparaissent, collectivement, sous la forme par exemple d’ONGs ou d’associations, les sources de leur engagement, y compris personnel, etc. Les terrains ici ne manquent pas, qu’il s’agisse des acteurs privés, individuels ou collectifs, ou d’acteurs relevant d’une puissance publique, locale, nationale, supranationale. Qui sont les négociateurs, intermédiaires dans des rencontres comme celles ayant abouti aux accords d’Oslo ou à la sortie des FARC de la lutte armée ? Comment se sont formées et continuent à se former les organisations humanitaires, avec quels types de militants, avec quels soutiens, et quels obstacles ou adversaires ? La justice internationale n’estelle pas en fait la justice des vainqueurs ? L’ordre géopolitique que préparent ceux qui prétendent contribuer à la paix et au retour de l’Etat de droit en Syrie ou en Irak n’est-il pas conforme à certains intérêts, au-delà de ce qui est affiché ?

Cette seconde famille d’approche est un renversement par rapport à ce que nous avons qualifié de sciences humaines et sociales appliquées. Ces dernières consistent à finalement contribuer directement, avec éventuellement certains acteurs, à améliorer les connaissances relatives aux mécanismes et aux processus de sortie ou de prévention de la violence. Elles s’en distancient considérablement à partir du moment où elles les prennent comme objets de la recherche, et non pas en prétendant finalement faire plus et mieux qu’eux en systématisant les connaissances, et en les organisant dans un espace global, structuré. Cette deuxième perspective ne signifie nullement une distance devenant totale entre analystes et acteurs, et autorise, voire exige bien des collaborations, dans lesquelles par exemple les chercheurs invitent les acteurs à réfléchir ensemble sur le sens de leur action, ou échangent avec eux sur la base des résultats d’une étude menée sur eux. Mais cette famille d’approche distingue clairement les rôles, le chercheur n’est pas un acteur, l’acteur n’est pas un chercheur.

Nous disposons, si nous acceptons cette dualité des approches, d’une base désormais solide pour penser que l’analyse de la sortie de la violence, et de sa prévention, tout à la fois entretient des liens privilégiés avec l’analyse de la violence, mais aussi possède ses dimensions propres, son autonomie scientifique.

 

Le retour du conflit

Quel peut être dès lors l’enjeu spécifique d’une véritable science sociale de la sortie, intégrant les deux dimensions qui viennent d’être mises en lumière ? Une réponse mérite examen. Elle repose sur un constat empirique : la violence est souvent – mais certes, pas toujours – le contraire du conflit, le contraire de la relation conflictuelle lorsque celle-ci est institutionnalisée, négociable. Quand aucune conflictualité de cet ordre n’est envisageable, l’espace de la violence est bien plus large que lorsqu’il est envisageable de transformer une violence qui s’ébauche ou qui existe même déjà fortement en débat, en reconnaissance de l’autre, qui devient un adversaire alors qu’il était un ennemi.

Ainsi, quand cette possibilité existe, des acteurs humanitaires, politiques, religieux, diplomatiques, ou autres peuvent tenter de transformer une situation de chaos, de guerre civile, de guérilla, en négociation dans laquelle les protagonistes parviendront à trouver les termes d’une cohabitation, même tendue, mais pas meurtrière. Par exemple, la guérilla des FARC en Colombie a accepté en 2017 de signer un accord de paix avec le gouvernement, qui la faisait non pas disparaître purement et simplement, mais se transformer en force politique reconnue et légitime. De même, les accords d’Oslo entre Israéliens et Palestiniens, en 1993, visaient-ils à transformer les logiques d’affrontement violent en possibilité de coexistence.

On désigne parfois sous l’expression de « post-conflit » l’horizon souhaité dans ce type de situation. En fait, cette formulation est malheureuse, il vaudrait mieux dire : de post-violence, ou : de passage du conflit armé, ou violent, au conflit sans violence.

Ce qui vaut en matière politique et de guerre civile vaut aussi en matière sociale. Que vaut-il mieux, dans une entreprise : une absence complète de rencontres et d’échanges entre direction et salariés, qui peut déboucher sans qu’on s’y attende sur des situations de crise non négociable, voire de violence, séquestrations de cadres, incendie, ou une relation certes pas toujours facile, avec des syndicats ? Que vaut-il mieux, pour un maire de « banlieue » : un tissu associatif de jeunes faisant remonter, de façon qui certes peut être dure, les revendications d’une jeunesse qui se sent sinon exclue et discriminée,ou bien des nuits d’émeutes ?

On voit bien, ici, comment la recherche peut d’une part formuler directement ce type de questions, et d’autre part étudier ceux qui sur le terrain tentent d’y apporter leurs réponses, négociateurs, consultants, diplomates, travailleurs sociaux, syndicalistes, etc.

 

Mais peut-on vraiment sortir de la violence ?

La sortie de la violence n’est jamais nécessairement définitive, stable, entière. Selon l’Institut de sondages Gallup, les cinq pays les plus dangereux au monde en 2017 sont le Vénézuela, l’Afrique du sud, le Salvador, le Soudan du Sud et le Libéria. Or, en Afrique du sud, au Salvador et au Libéria, la violence politique a disparu ; mais la violence criminelle a pris la suite. Et on peut dire cela de bien d’autres expériences.

Une société durablement exposée à certaines formes de violence développe une culture favorable à d’autres formes : on note par exemple qu’après des années de  violence politique, les viols et les violences domestiques ou les homicides peuvent être très nombreux.

C’est donc d’abord qu’il arrive qu’une forme de violence disparaisse, mais qu’une autre lui succède en lieu et place, éventuellement parce qu’elle était « embedded » dans la précédente. Ainsi, pour reprendre l’exemple colombien, si les accords de paix ont mis fin à la lutte armée conduite par la guérilla, celle-ci, en disparaissant des territoires qu’elle contrôlait est ici et là comme remplacée par des conduites (viols, meurtres, extorsions de fonds, pratiques mafieuses en tous genres, etc.) qui témoignent de l’absence de tout Etat et de tout garant d’un ordre qu’elle avait assuré à sa manière. Ajoutons que dans certains cas, la sortie de la violence succède immédiatement à la violence, que dans d’autres, les processus se chevauchent, et que d’autres encore sont éloignés dans le temps.

La violence laisse des traces qui peuvent être durables et profondes longtemps après qu’elle ait cessé : traumatisme, difficultés de se relancer vers l’avenir, sentiment profond d’avoir vécu l’irréparable, tension insoluble entre désir de paix et désir de justice, etc. L’après-violence, pour un individu comme pour une collectivité, pour les victimes comme pour les coupables, peut se jouer selon trois types de modalités principales.

La première consiste à s’inspirer de l’esprit de ce qu’Ernest Renan propose dans une conférence sur « Qu’est-ce qu’une nation ? » (1882), quand il explique qu’une nation, pour pouvoir fonctionner, doit savoir oublier les violences au cours desquelles elle s’est formée : comment vivre ensemble si le passé reste obsédant ? Une deuxième modalité consiste à s’enfermer dans le passé, c’est ce que Sigmund Freud appelle la mélancolie, à ne plus en sortir, à ne penser qu’à ce « passé qui ne passe pas » selon l’expression de l’historien Henri Rousso.

Troisième option, le « deuil » – un terme à employer avec précaution, car il pourrait donner à imaginer que l’on oublie, alors qu’il s’agit de se projeter vers l’avenir sans oublier, mais sans être prisonnier des souffrances liées au passé. Cette option n’est jamais facile, car le passé, même en quelque sorte transcendé, peut toujours resurgir douloureusement dans la mémoire, et la submerger. Un véritable « deuil » implique que soient réglées les délicates questions du pardon, de la justice et de la paix, voire de la réconciliation :comment accepter une paix injuste, ou une justice qui ne s’accompagne pas de la paix…? Qui est en mesure de pardonner : les coupables, leurs descendants, une collectivité ? Qui est en droit de demander le pardon : les victimes, leurs descendants ? Qu’attendre de l’État en la matière ? Et comment des victimes peuvent-elles vivre au côté de voisins ayant participé à des violences extrêmes, comme c’est le cas dans certaines situations en ex-Yougoslavie ou dans l’Afrique des Grands lacs ?

 

Conclusion

De telles questions sont d’autant plus délicates que la manière dont on les aborde ne peut faire abstraction de leur temporalité. A très court terme, sortir de la violence, c’est déjouer avant tout la possibilité qu’elle se déploie à nouveau si elle vient d’être interrompue, c’est répondre à des dimensions qui relèvent de l’immédiateté, de façon pragmatique, alors qu’à long terme, il peut s’agir d’envisager de vastes enjeux économiques, sociaux, d’éducation, etc., avec une réelle distance par rapport à la violence elle-même, dans ce qu’elle a de concret.

La façon même dont s’est interrompue une expérience de violence peut jouer un rôle déterminant sur le long terme. Ainsi une étude statistique conduite par un chercheur suédois, Peter Wallensteen, qui l’a présentée dans mon séminaire de l’EHESS le 31 mai 2017, a consisté à comparer deux modalités de résolution de conflits armés, l’une passant par la victoire d’un camp sur l’autre, l’autre par la conclusion négociée d’un accord de paix. Les résultats sont éclairants : après un accord négocié, le pourcentage de retour à la violence dans un délai de dix ans est bien plus faible qu’après une victoire. La sortie ou la prévention de la violence sont des questions complexes qui demeurent pratiques, sous-tendues par des objectifs concrets, mais qui ne se règlent pas par la seule expertise de spécialistes, par exemple de consultants en « Peace building» ou en « Conflict resolution » – aussi respectables qu’ils soient le plus souvent. Elles exigent en effet la capacité de penser dans différentes temporalités, d’analyser différentes subjectivités, de penser à la reconstruction de sujets à travers des processus toujours complexes de dé-subjectivation et de subjectivation, et d’accepter, finalement, l’idée que la démocratie, et avec elle le traitement non violent des différends, est le meilleur outil pour gérer les divisions et les tensions qui, quoi qu’on en
pense, sont le lot de toutes les sociétés humaines. Elles appellent, autrement dit, des sciences sociales prolongeant l’approche de la violence d’une part, et d’autre part s’intéressant à l’action pour la contrer, conduite par des chercheurs qui ne s’enferment pas au sommet d’une tour d’ivoire, qui dialoguent avec des acteurs pour construire leurs propres analyses, qui en retour éclairent l’action, sans se confondre avec elle.

Tel est précisément, l’objectif que nous nous sommes fixés, Jean-Pierre Dozon, Yvon Le Bot et moi-même en mettant en place en janvier 2016 l’International Panel on Exiting Violence, IPEV, dont les membres présentent à Beyrouth (juin 2018) les premiers résultats. Ce panel est composé de dix groupes de travail tous résolument pluridisciplinaires et internationaux et chargés chacun d’aborder un aspect particulier de ces enjeux, le rapport final (automne 2018) devant être synthétique et comportant des recommandations. Certains groupes ont plutôt mis l’accent sur l’analyse de la violence elle-même, montrant à propos par exemple du salafisme, qu’une très grande prudence est de mise dès qu’il s’agit de proposer des relations de causalité ou de détermination entre religion et violence, ou bien rappelant la complexité et la diversité des processus liés à des enjeux de séparatisme nationaliste et aux difficultés que rencontrent les démocraties pour affronter de tels problèmes. La réflexion collective ici refuse, de façon générale, les déterminismes élémentaires. Celle qui porte sur la « radicalisation » par exemple montre bien comment l’analyse a tout à gagner à se concentrer sur les processus de subjectivation et de dé-subjectivation, et à leur rôle dans des stratégies personnelles, entre autres d’émancipation par rapport à une famille. Les chercheurs refusent tout culturalisme expliquant la violence par une culture, et demandent que soient distinguées les idées et les actions radicales, entre lesquelles il n’existe pas de liaison mécanique; ils veillent aussi à ne pas simplifier le rôle d’Internet et du numérique. Bref, la recherche sur la violence refuse les simplifications, les raccourcis, et gagne toujours à s’appuyer sur des connaissances acquises sur le terrain.

D’autres groupes du panel ont préféré envisager plus directement la sortie de la violence. Celui qui envisage l’histoire et la mémoire dans le sillage des violences de masse, fait apparaître l‘ambivalence des initiatives mémorielles, et montre comment la sortie de la violence peut être aussi bien entravée que facilitée par des « projets de mémoire » commémorant le passé : si certaines conditions ne sont pas respectées, de distanciation par rapport au pouvoir politique, de recueillement, de débat démocratique, de reconnaissance mutuelle, la mémoire risque d’exacerber ou de renouveler les tensions qui avaient abouti dans la phase antérieure à la violence extrême. Quand est posée la question de la reconstruction psychologique des victimes de violences collectives majeures, quand il s’agit de soigner les plaies psychiques et les traumatismes et de permettre à des personnes à nouveau de vivre ensemble, on constate l’utilité de dispositifs individualisés, qui partent des personnes singulières, et pas seulement d’une justice ignorant les attentes personnelles, des dispositifs tels que des récits personnels trouvent leur place dans un récit collectif, national par exemple. Les expériences les plus réussies conjuguent processus top down et bottom up pour autoriser la restauration du self, et celle aussi de l’espace social entre les vivants et les morts.

Les analyses s’intéressant au thème « Justice et réconciliation » critiquent les mesures gouvernementales d’amnistie, de grâce, d’annulation de décisions judiciaires qui promeuvent l’oubli au nom de la paix, mais au détriment de la justice, et font bien ressortir la tension majeure qui opère entre l’une et l’autre.

Enfin, la recherche devrait de plus en plus systématiquement intégrer, comme le montre un groupe s’étant consacré à la question, les dimensions « sexospécifiques », « genrées » de la violence et de la sortie de la violence, et s’intéresser au rôle des femmes, mais aussi à leurs besoins spécifiques dans les stratégies de sortie de la violence.

Ainsi se construit un ensemble de connaissances dans lesquelles les sciences humaines et sociales apportent des réponses concrètes à des enjeux bien réels, sous la forme ultime de recommandations, en même temps qu’elles constituent la sortie de la violence en domaine qui s’articule à celui que constitue la violence elle-même sans s’y confondre.

References[+]


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