Une solidarité européenne est-elle encore possible ?

Mis en ligne le 20 Mai 2019

Cet article propose quelques morceaux choisis des actes du colloque « Une solidarité européenne est-elle encore possible ? » organisé par Synopia en octobre 2018. Il comprend l’introduction prononcée par Jean-Louis Bourlanges, député des Hauts-de-Seine, ancien député européen, qui détaille les trois dimensions de la crise de la « communauté européenne ». Il comprend également les conclusions du sénateur Jean-Yves Leconte, appelant à mettre la citoyenneté européenne au centre du débat et celles de Sandro Gozi, ancien ministre italien des Affaires européennes, qui considère que la solidarité est la condition sine qua non de l’Union. Les principaux enseignements du colloque sont également proposés ainsi qu’un lien vers l’intégralité des actes.


Les opinions exprimées dans cet article n’engagent pas le CSFRS.

Les références originales de ces textes initiale sont : “Une solidarité européenne est-elle encore possible ?” colloque organisé par Synopia.

Interventions de Jean-Louis Bourlanges, Jean-Yves Leconte et Sandro Gozi.

Les actes du colloque sont téléchargeables dans leur intégralité gratuitement sur le site de Synopia.

D’autres publications peuvent être visionnés sur le site de Synopia.

Synopia


Introduction par Jean-Louis Bourlanges, député des Hauts-de-Seine, ancien député européen.

Le malaise, et parfois même la panique qui entourent l’avenir de la construction européenne sont  les signes d’une crise profonde de la solidarité. Car si l’Europe représente l’une des plus spectaculaires manifestations de cette crise, elle n’en est pour autant pas l’unique terreau : les Étatsnations européens font face depuis des années à une crise de solidarité et à son corollaire, l’éclatement de la société politique.  En effet, la valorisation de l’individualisme, la montée des communautarismes, le retour en force  des corporatismes, sont autant d’éléments qui ont contribué à la fragmentation des communautés nationales et, a fortiori, de la « communauté européenne ». Celle-ci est d’autant plus fragile qu’elle doit faire face à une triple crise : une crise du partage, une crise de la mutualité, et une crise d’identité.

  1. Une crise du partage

Ce n’est un secret pour personne : la société européenne est marquée par une forte recrudescence des mouvements populistes qui rejettent en bloc l’élite européenne associée à la sphère bruxelloise des institutions communautaires. L’accroissement des inégalités en Europe a largement contribué  à l’essor des ressentiments et à une demande de plus en plus pressante pour davantage de justice sociale. Beaucoup s’estiment aujourd’hui lésés par les effets négatifs de la mondialisation, dont l’Union européenne n’a pas su les protéger.

La crise du partage est une crise de la solidarité qui adresse à l’Europe une question fondamentale : pourquoi mettre davantage en commun, donc partager plus, si ce partage ne bénéficie qu’aux élites, aux « gagnants » de la mondialisation ? Le repli touche aussi bien les populistes (qui se cramponnent à leurs identités nationales ou communautaires), que les élites (qui s’arc-boutent, de leur côté,  sur les principes fondamentaux promus par le libéralisme économique).  La crise de la solidarité a ainsi révélé une confrontation des systèmes de valeurs : l’Europe d’en bas se dresse contre l’Europe d’en haut, exactement comme ce fut le cas en France et aux Pays-Bas lors du référendum sur le traité de Maastricht. Si ce n’est que cette fois-ci, la confrontation est générale.

  1. Une crise de la mutualité

Au début de la construction européenne, les Européens percevaient les avantages d’une mutualisation des moyens et des risques dans certains domaines. Aujourd’hui, les transformations économiques, notamment la raréfaction des formes traditionnelles de travail qui créaient, de facto, une solidarité (l’agriculture, l’industrie), ont rendu moins concrètes les notions de solidarité  et de mutualisation, et moins visibles leurs avantages.

Les États membres ont longtemps freiné la construction d’un cadre pour une économie plus solidaire, en obtenant que les politiques de compensation et de redistribution restent  des prérogatives nationales. Ainsi, la création de la zone euro a engendré des déséquilibres profonds entre le centre et la périphérie, sans contrepoids ni rééquilibrages. Il semble ainsi que les États aient négligé la construction d’un système politique dans le but de résister  à l’institutionnalisation de la dépendance, donc à l’organisation de la solidarité européenne.

  1. Une crise d’identité

La crise identitaire est probablement la plus importante : comment être solidaires sans savoir à qui nous sommes redevables ? L’Union européenne ne constitue pas un pôle de référence suffisamment identifié. Or, l’organisation et la légitimation de la solidarité nécessitent l’existence d’un collectif qui se reconnaisse comme tel. Au niveau européen, ce collectif semble introuvable. Au-delà de l’existence d’une communauté européenne, l’Europe a désespérément besoin de retrouver un consensus sur des projets communs. Pour savoir si une solidarité européenne est encore possible, il faut au préalable que les Européens répondent à la question fondamentale qui conditionne leur avenir : quelle est la finalité de l’Europe ? Ou encore, quelle Europe voulons-nous ?

***

Sommaire

– Introduction par Jean-Louis Bourlanges, député des Hauts-de-Seine, ancien député européen

  1. L’Union européenne : de la convergence à la solidarité ?
  2. Entre crises et tribulations, la solidarité européenne est-elle menacée ?
  3. Solidarité, subsidiarité, justice sociale : quelles applications à l’échelle européenne ?
  4. Indépendantisme, nationalisme, populisme : quelles conséquences sur la solidarité européenne ?
  5. Harmonisation sociale et fiscale : une réponse au déficit de solidarité ?
  6. Solidarité dans l’adversité : une défense et une politique extérieure communes.
  7. La gestion des migrations : un défi de long terme pour la solidarité européenne.

– Conclusions par Jean-Yves Lecomte, sénateur représentant les Français établis hors de France  et Sandro Gozi, ancien ministre Italien des Affaires européennes.

– Les 5 enseignements du colloque.

***

Conclusions

Par Jean-Yves Leconte, sénateur.

« Il faut mettre la citoyenneté européenne au centre du débat politique »

Les crises successives ont révélé une vérité dérangeante : la solidarité entre les nations d’Europe  a échoué. La solidarité sociale se limite à l’échelle intra-nationale. L’Europe en revanche n’est pas une réalité politique homogène, ni solidaire. Cette réalité déstabilise l’UE et présente une réelle menace pour le futur de son existence. Une solidarité européenne est-elle encore possible ?  Si oui, comment pouvons-nous la retrouver ?

Il est nécessaire de passer d’une solidarité entre les États membres à une solidarité entre les citoyens européens, en misant sur l’intégration politique. En positionnant au centre du débat politique  la citoyenneté européenne, nous pouvons retrouver les racines solidaires qui ont fait partie  des fondements de l’UE dès sa création.

L’essentiel du débat se porte donc sur notre capacité à effectuer ce pas supplémentaire,  et sur l’impact qu’il aura sur la vague « populiste » et le sentiment anti-européen qui se répand  en Europe. Ainsi, l’ultime solution qui permettra de surmonter cette période de difficulté  pour l’Union est la création d’une Europe politique. C’est dans ce cadre uniquement qu’il sera possible de (re)trouver une solidarité intra-européenne.

Par Sandro Gozi, ancien ministre italien des Affaires européennes.

« S’il n’y a pas de solidarité, il n’y aura pas d’Union »

Pour la première fois depuis sa création, l’implosion de l’UE est une possibilité réelle. L’état de droit est ouvertement mis en question, notamment par la Pologne et la Hongrie. La solidarité, pourtant  un des principes fondateurs de la construction européenne, est mise en péril par la multiplication  des crises. Comment pouvons-nous retrouver une solidarité européenne dans ce contexte turbulent ?

Nous ne devons pas chercher très loin pour trouver des arguments en faveur d’une plus grande solidarité au sein de l’UE. La solidarité permet d’abord d’instituer une relation de collaboration bilatérale et de soutien mutuel dans l’intérêt de chaque État. Par ailleurs, les défis mondiaux sont transnationaux et ne peuvent qu’être résolus au niveau européen, grâce à la solidarité. La tentative des États de gouverner seuls des phénomènes internationaux, notamment la mondialisation,  la révolution numérique et la migration, ne peut que se solder par un échec politique.  Mais pouvons-nous convaincre les figures politiques européennes de l’importance et de l’avantage d’une Europe solidaire ?

En ce moment historique, il est difficile de parler de solidarité européenne faute d’un socle sur lequel fonder nos valeurs communes. Par conséquent, la réalisation d’une « communauté politique européenne » est la base fondamentale pour retrouver une Europe solidaire capable de survivre  aux défis présents et à venir.

***

Les 5 enseignements du colloque.

Enseignement n°1 : L’Europe est face à une crise de la solidarité, à la fois dans sa dimension politique (entre les États membres) et sociale (vis-à-vis des citoyens européens). Les États s’opposent de plus en plus au principe de mise en commun des risques et des ressources, et les mécanismes  de compensation et de redistribution restent des prérogatives nationales. Dans ce contexte,  seule la constitution d’une véritable « communauté politique et sociale » européenne, qui passe  par un approfondissement de l’intégration, peut (re)créer des liens de solidarité en Europe.

Enseignement n°2 : La solidarité est au fondement de la construction européenne. Lui (re)donner  sa dimension sociale implique de s’accorder sur un « new deal économique et social » qui passe  par une convergence progressive des systèmes sociaux et fiscaux des États, un approfondissement  de l’Union bancaire, la création d’un système européen d’assurance des dépôts et d’assurance chômage, la définition d’un socle minimal des biens sociaux européens, notamment l’instauration d’un salaire minimum dans tous les États.

Enseignement n°3 : La sauvegarde des intérêts stratégiques des Européens exige de repenser  les conditions d’une Europe de la défense. Cela implique de définir une culture stratégique commune. Face aux défis internationaux (défis climatique, migratoire, sécuritaire, etc.), l’Europe doit être en capacité d’assumer et de défendre son propre destin.

Enseignement n°4 : La question migratoire est une question internationale par nature. Elle concerne les pays de départ, les pays de premier accueil, mais aussi les pays de choix des migrants pour leur destination finale. Afin d’éviter une disparition de l’espace Schengen la constitution d’un nouvel ensemble de pays européens solidaires dans l’accueil des migrants et l’application du droit d’asile doit être mise sur pied. Par ailleurs, si la méthode des quotas a révélé ses limites et provoqué beaucoup de crispations, la Commission européenne gagnerait à proposer une nouvelle méthode  de répartition, cette fois basée sur un mode incitatif (aides, contreparties, etc.).

Enseignement n°5 : La création d’une Europe politique est l’étape fondamentale pour sortir  de la crise. Il faut non seulement remettre au centre du débat la citoyenneté européenne, mais aussi faire redécouvrir aux citoyens l’atout communautaire. Un travail éducatif au sein des écoles, ainsi qu’une communication plus efficace sur les réussites obtenues peuvent montrer aux citoyens l’étendue de l’action de l’UE face aux défis de l’avenir. En continuant l’intégration politique,  l’Union peut fédérer les États et les peuples autour d’une vision commune, tout en (re)trouvant  une solidarité intra-européenne et en instaurant une Europe démocratique.


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