L’accord AUKUS, quelles répercussions pour l’Union européenne ?

Mis en ligne le 12 Oct 2021

L’annonce mi-septembre du lancement de l’accord AUKUS et l’annulation du “contrat du siècle” de sous-marins pour la France se sont traduites par une crise diplomatique entre Paris et les pays signataires. L’auteur propose d’appréhender cette situation à sa juste mesure, en abordant successivement la signification de l’accord pour les pays membres, les raisons de la réaction française avant de s’interroger sur la portée de la réaction européenne.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.

Les références originales de ce texte sont : “L’accord AUKUS, quelles répercussions pour l’Union européenne ?”, écrit par Elie PEROT. Vous pourrez consulter l’article tel que publié sur le site de la fondation Robert Schuman en suivant ce lien direct. D’autres publications peuvent également être consultés sur le site de la Fondation Robert Schuman.

Le 15 septembre, l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis annonçaient la formation d’un partenariat baptisé “AUKUS”, afin notamment de doter la marine australienne de sous-marins à propulsion nucléaire au cours des prochaines décennies. Cet accord trilatéral, présenté par le président américain Joe Biden comme répondant à “l’impératif de garantir la paix et la stabilité dans l’Indopacifique sur le long terme”, sert le but inavoué, mais évident, de faire contrepoids à une Chine de plus en plus puissante, et parfois agressive, dans son voisinage et sur la scène internationale.

À ce titre, l’accord AUKUS n’est pas en soi fondamentalement opposé aux objectifs et intérêts de l’Union européenne et, en particulier, de la France – l’État membre qui s’était engagé jusqu’ici le plus fortement dans l’Indopacifique en réponse au défi chinois. Et pourtant, l’annonce du partenariat trilatéral entre Canberra, Washington et Londres a conduit à une crise particulièrement forte avec Paris, la France perdant à cette occasion un important accord qu’elle avait noué avec l’Australie depuis 2016 pour la fourniture de 12 sous-marins à propulsion conventionnelle (diesel-électrique). Avec l’échange téléphonique entre les présidents Joe Biden et Emmanuel Macron le 22 septembre durant lequel il a été reconnu que “des consultations ouvertes entre alliés sur les questions d’intérêt stratégique pour la France et les partenaires européens auraient permis d’éviter cette situation”, il est possible que le plus fort de cette crise diplomatique soit désormais passée. La question qui se pose maintenant est de savoir si cette séquence qui, à première vue, s’est jouée au niveau bilatéral entre la France et les trois États de l’AUKUS pourrait avoir des répercussions plus larges et à plus long terme au niveau de l’Union européenne.

Dans cette optique, cette note propose tout d’abord d’appréhender le nouvel accord AUKUS à sa juste mesure, celui-ci signifiant surtout un renforcement de la coopération industrielle de défense entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis plutôt qu’une véritable révolution diplomatique face à la Chine. Cette note se penche ensuite sur la réaction française face à ce nouveau partenariat soulignant que c’est d’abord et avant tout le secret qui a entouré la formation de l’AUKUS, et non pas tant la rupture du contrat franco-australien de sous-marins qui en résulte, qui a conduit à des tensions diplomatiques d’une telle ampleur. Cette note s’attache enfin à apprécier dans quelle mesure la France est parvenue à porter cette crise au niveau européen, avec quelles conséquences, mais aussi quelles limites.

Face à la Chine : un renforcement de la coopération industrielle de défense entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis plutôt qu’une révolution diplomatique

Commençons avant tout chose par rappeler un point essentiel : malgré le large écho médiatique qu’a rencontré la création de l’AUKUS depuis son annonce, on connait en réalité encore peu de choses quant aux conséquences concrètes de ce nouveau partenariat trilatéral. À en juger par le communiqué conjoint des Premiers ministres Scott Morrison et Boris Johnson et du président Joe Biden, on sait en effet que leurs pays respectifs sont convenus d’engager des consultations au cours des dix-huit prochains mois afin de déterminer la “voie optimale” pour fournir une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire (mais à armement conventionnel) à l’Australie au cours des prochaines décennies. Le communiqué souligne, en outre, que la collaboration entre Canberra, Londres et Washington pourrait aussi recouvrir notamment “les capacités cyber, l’intelligence artificielle, les technologies quantiques et des capacités sous-marines supplémentaires”, sans guère donner plus de détails sur ce point. On a donc là des engagements de nature politique, qui sont certes ambitieux, liant potentiellement l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis dans des domaines technologiques clés pour plusieurs générations, mais qui, pour l’instant, restent encore relativement vagues. Notons qu’en parallèle de ces annonces, le gouvernement australien a également fait part de sa décision – celle-là bien plus concrète – d’acheter ou de développer toute une série de missiles auprès des États-Unis, comme des missiles de croisière Tomahawk pour équiper ses destroyers de la classe Hobart. À ce sujet, Canberra a précisé que l’acquisition de telles capacités militaires lui permettra de gérer la transition jusqu’à l’acquisition des futurs sous-marins à propulsion nucléaire et que cette question devrait donc se trouver au cœur des consultations à venir au sein de l’AUKUS. Enfin, les États-Unis et l’Australie ont annoncé qu’ils allaient renforcer leurs exercices militaires conjoints et que Washington pourrait se voir confier un plus grand accès aux infrastructures australiennes afin de faciliter ses opérations militaires dans la région.

S’il se concrétise, l’accord AUKUS aboutira en somme à des coopérations industrielles, en particulier dans le domaine militaire, ce qui est bien sûr très loin d’être négligeable. Stratégiquement, les sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire représenteraient une capacité critique pour dissuader la Chine, voire pour se défendre face à elle, dans un conflit naval de haute intensité dans l’Indopacifique. Le développement en commun de tels engins soulèverait néanmoins de considérables enjeux financiers, technologiques, humains mais aussi en termes de calendrier (les premiers sous-marins à propulsion nucléaire ne pourraient être disponibles que d’ici 2040, à moins d’en louer entretemps aux marines américaine ou britannique) ou encore de non-prolifération – et nul ne sait guère à ce jour comment l’Australie et ses partenaires comptent résoudre ces questions[1]. Il est évident, par ailleurs, qu’une coopération industrielle de cette envergure ne serait pas inconséquente au point de vue géopolitique. L’AUKUS dessine, d’une part, un noyau dur de partenaires sur lesquels les États-Unis pourront s’appuyer dans leur rivalité croissante avec la Chine dans l’Indopacifique[2]. Cet accord, d’autre part, devrait inévitablement rendre l’Australie encore plus dépendante de Washington (et de Londres dans une moindre mesure) au cours des décennies à venir, réduisant ainsi ses marges de manœuvre sur la scène internationale.

Sur ce dernier point, il faut se montrer toutefois assez compréhensif envers le choix australien. En effet, si l’Australie accepte à travers l’AUKUS une réduction de son autonomie stratégique – autonomie que lui offrait, par contraste, le partenariat avec l’industrie d’armement française –, c’est qu’elle considère selon toute vraisemblance qu’elle est bien plus menacée par la Chine que ce n’était le cas auparavant. Cette réévaluation de la menace fait suite à une série de confrontations diplomatiques entre Canberra et Pékin au cours des dernières années, telles que les rétorsions économiques chinoises qui ont été imposées à l’Australie après sa demande d’ouvrir une enquête internationale sur les origines de la pandémie de Covid-19. Cette tension croissante semble avoir conduit l’Australie à revoir à la baisse la valeur qu’elle accorde à la préservation de son autonomie par rapport à la nécessité d’assurer sa sécurité – un objectif que Canberra pense pouvoir mieux atteindre en scellant des rapports industriels et technologiques encore plus étroits avec les États-Unis et le Royaume-Uni. Ainsi, l’intégration industrielle et technologique de défense avec l’Amérique que promet l’AUKUS est-elle consciemment choisie par l’Australie, quand bien même une telle dépendance pourrait lui imposer un certain nombre de contraintes politiques sur le long terme.

Cela étant dit, il ne faut pas non plus se méprendre sur la portée du projet AUKUS : celui-ci n’opère pas, face à la Chine, une de ces révolutions diplomatiques ou renversements d’alliance dont était coutumier le système des États européens jusqu’au milieu du XXème siècle, et cela pour deux raisons.

Premièrement, l’AUKUS ne constitue pas, à proprement parler, une nouvelle “alliance”. Si ce terme a été utilisé par nombre de journalistes et commentateurs pour décrire cet accord, il faut voir là surtout une facilité de langage : l’AUKUS ne comporte pas un engagement de défense collective comme cela peut être le cas, par exemple, au titre de l’article 5 de l’OTAN. À cet égard, la question que Theresa May a soulevée face à Boris Johnson à la Chambre des Communes à propos des implications éventuelles de l’AUKUS en cas d’invasion de Taïwan est à la fois pertinente et hors-sujet[3]. S’il est en effet loin d’être inutile de se demander comment le Royaume-Uni – ou tout autre pays européen – devrait réagir dans un tel scénario[4], l’accord AUKUS n’a pas vocation, du moins pas en tant que tel, à répondre directement à ce type de défi (outre le fait, par ailleurs, que Taïwan n’est évidemment pas partie à l’AUKUS).

Deuxièmement, ce partenariat entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis ne bouleverse pas en profondeur les configurations géopolitiques actuelles. Rappelons tout d’abord que les États-Unis et l’Australie sont déjà formellement liés par une clause de défense collective au sein d’un accord tripartite avec la Nouvelle-Zélande (ANZUS), tandis que Washington et Londres sont évidemment alliés au sein de l’OTAN[5]. En outre, au-delà des alliances formelles, les membres de l’AUKUS travaillent déjà étroitement dans le cadre de nombreux accords de sécurité et de défense, dont le plus connu est sans aucun doute celui dit des “Five Eyes” (qui inclut également le Canada et la Nouvelle-Zélande) concernant la coopération en matière de renseignement d’origine électromagnétique. Enfin, plus largement, Canberra, Londres et Washington se retrouvent autour d’un certain nombre de traits – tradition d’être des “démocraties maritimes” comme l’affirme le communiqué conjoint de l’AUKUS, partage de la langue anglaise, souvenir des sacrifices et efforts réalisés côte-à-côte pendant les deux guerres mondiales et la guerre Froide, etc. – , des références politiques, culturelles et historiques communes qui facilitent une convergence de vues entre ces pays sur la scène internationale ainsi que leur confiance mutuelle.

Par conséquent, l’accord AUKUS représente avant tout un projet d’approfondissement des lignes géopolitiques existantes, et cela au travers d’une coopération industrielle de défense renforcée entre pays déjà très proches. Or, s’il était bien compris de la part de l’Australie, du Royaume-Uni et des États-Unis que ce partenariat ne fera réellement sentir ses effets qu’à long terme, les dirigeants de ces pays ne se doutaient cependant probablement pas de la crise sévère que la naissance de l’AUKUS a aussitôt provoquée avec un de leurs plus proches alliés et partenaires.

La raison principale de la colère française contre l’accord AUKUS : le secret entretenu et non le contrat rompu

On peut facilement comprendre la déception française face à l’AUKUS. De façon directe, ce pacte signifie pour la France la perte du plus grand contrat d’exportation d’armements de son histoire – 56 milliards € au total. Même si les entreprises françaises n’auraient touché en réalité qu’une fraction de ce montant, la production des sous-marins franco-australiens devant se faire essentiellement en Australie et en ayant recours à des partenaires locaux tels que Lockeed Martin Australia, et même si Canberra a bien promis de rembourser les dépenses déjà engagées (plusieurs centaines de millions €), l’échec économique est indubitablement amer. Surtout, et de façon plus globale, cet épisode porte un rude coup à la stratégie Indopacifique patiemment élaborée par la France depuis plusieurs années, celle-ci ayant cherché à nouer des partenariats avec des puissances moyennes autour d’un axe Paris-New Dehli-Canberra, comme le dessinait le président Emmanuel Macron lors de son discours à Sydney (Garden Island) en 2018. Le but principal de ces partenariats était, et reste toujours, d’ordre géopolitique dans une région qui est désormais le centre de gravité de l’économie mondiale et où les tensions militaires s’accroissent. L’idée guidant la stratégie française était que les collaborations industrielles de défense réalisées dans le cadre de ces partenariats, en particulier la vente d’avions Rafale à l’Inde et celle de sous-marins à l’Australie, permettraient d’ancrer sur le long terme la coopération politique d’État à État– du moins le pensait-on jusqu’à il y a peu à Paris.

Certains observateurs ont pu juger que la fureur française qui s’est immédiatement manifestée après l’annonce de l’AUKUS était exagérée, voire opportunément mise en scène pour glaner quelque avantage en contrepartie. Cela peut s’expliquer par le fait que la réaction des autorités françaises a été faite dans un premier temps essentiellement de paroles et de symboles : dénonciation du “coup dans le dos” par le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, rappel des ambassadeurs en poste à Washington et Canberra pour consultations (tout en niant cet “honneur” à Londres pour lui signifier son rôle d’acteur secondaire), annulation d’un dîner de gala qui était prévu pour célébrer les profondes et anciennes relations d’amitié entre les États-Unis et la France. On n’a pas manqué non plus de rappeler, comme l’avait rapporté à plusieurs reprises la presse australienne, que le contrat des sous-marins franco-australiens faisait face à des difficultés non-négligeables en termes de coûts et de délais[6]. Cependant, comme l’a expliqué le porte-parole du ministère français de la Défense (jusqu’ici sans démenti de la part de Canberra), les responsables australiens du programme de sous-marins se montraient suffisamment satisfaits des avancées du projet pour donner le feu vert à la poursuite des travaux – et cela dans une lettre reçue à Paris exactement le même jour que celui de l’annonce de l’AUKUS[7]!

On touche là en réalité au cœur de la crise. Il était inévitable que la perte du contrat des sous-marins australiens et le revers géopolitique qui en découle fissent grincer des dents à Paris. C’est néanmoins la manière dont toute cette séquence s’est déroulée qui a produit une crise majeure entre partenaires et alliés. Il semble en effet qu’à aucun moment les autorités australiennes n’aient informé leurs homologues français de leur désir de modifier le cahier des charges pour passer à la propulsion nucléaire (type de propulsion qu’utilisent d’ailleurs les sous-marins de la classe Suffren opérés par la France et qui avait été modifiée pour une propulsion conventionnelle à la demande même de l’Australie), ni de leurs négociations parallèles avec les Américains et les Britanniques. Ceux-ci n’ont apparemment pas cru utile non plus d’en informer directement les dirigeants français, par exemple lors du sommet du G7 en Cornouailles en juin dernier[8]. Pire encore, deux semaines avant l’annonce de l’AUKUS et donc de la rupture du partenariat franco-australien, les ministres de la Défense et des Affaires étrangères australiens signaient un communiqué de presse conjoint avec leurs homologues français (2+2) dans lequel était soulignée “l’importance du programme des futurs sous-marins”. La colère des dirigeants français s’explique donc d’abord et avant tout par un sentiment de trahison, conduisant Jean-Yves Le Drian à parler de “mensonges”, de “duplicité”, de “rupture majeure de confiance” et de “mépris”.

Il est tout à fait possible que l’on ait mal calculé, en particulier côté américain, les effets et l’impression que produirait des négociations secrètes dans le dos d’un allié européen tel que la France. Il est fort probable en effet que le petit nombre de personnes qui a été à la manœuvre à Washington sur le dossier de l’AUKUS n’ait pas bien tenu compte de l’entièreté des répercussions d’une telle initiative, se focalisant de façon étroite sur les enjeux régionaux et la rivalité avec la Chine[9]. Intentionnels ou non, les dommages diplomatiques sont néanmoins bien réels et ont eu des répercussions plus larges puisque la France a cherché à s’assurer le soutien du reste de l’Union européenne, c’est-à-dire à “européaniser” la crise des sous-marins.

Une crise qui s’est européanisée ?

Dès le départ, les autorités françaises ont cherché à inscrire la dispute avec l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis dans un cadre européen, le premier communiqué de la diplomatie française publié en réaction à l’AUKUS affirmant que ce pacte “ne fait que renforcer la nécessité de porter haut et fort la question de l’autonomie stratégique européenne”. Il a été d’autant plus facile d’ailleurs pour la France de faire dès le début le lien avec l’Union européenne que celle-ci s’est retrouvée à publier sa propre stratégie pour l’Indopacifique le lendemain de l’annonce surprise et non-concertée du nouveau partenariat trilatéral entre Canberra, Londres et Washington.

Ainsi, malgré le scepticisme initial de certains commentateurs, les soutiens européens à la France se sont faits peu à peu entendre, en particulier au niveau des institutions communautaires. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a jugé dans un entretien sur la chaîne CNN que la façon dont la France avait été traitée par ses partenaires était “inacceptable”. De même, le président du Conseil européen, Charles Michel, a dénoncé un “manque de loyauté” de la part des États-Unis, demandant une “clarification” pour “tenter de mieux comprendre quelles sont les intentions derrière” l’annonce de l’AUKUS. Suite à une réunion informelle des vingt-sept ministres des Affaires étrangères en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le Haut représentant, Josep Borrell, a fait part de la “déception” des États membres face au manque de concertation par rapport à l’AUKUS et de leur “solidarité” avec la France en ce qui concerne la rupture soudaine du contrat avec l’Australie. Enfin, le commissaire au marché intérieur, Thierry Breton, a estimé avec regret que “l’Europe a de plus en plus le sentiment […] que quelque chose est brisé dans nos relations transatlantiques”, appelant à faire une “pause” et à “remettre à plat” la relation entre l’Union européenne et les États-Unis[10]. Au niveau des chancelleries européennes, les réponses ont été toutefois beaucoup plus discrètes. On peut noter toutefois, en Allemagne, que le secrétaire d’État aux affaires européennes, Michael Roth, a vu dans l’affaire des sous-marins australiens “un signal d’alarme pour tous dans l’Union” tandis que le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a dit “comprendre la colère de nos amis français”, car “ce qui a été décidé – et la manière dont cela a été décidé- est irritant et décevant, pas seulement pour la France[11]”. À l’opposé, la première ministre danoise Mette Frederiksen a fait part de son incompréhension face à la colère française, décrivant le président Biden “comme tout à fait loyal envers l’alliance transatlantique” et regrettant l’ampleur prise par cette querelle.

La question qui se pose évidemment, au-delà des mots, est dans quelle mesure cette solidarité apparente peut se traduire en actes. Il est notable à ce titre que la remise à une date ultérieure de la première réunion du Trade and Tech Council (TTC) agréé avec les États-Unis et qui doit se tenir à Pittsburgh le 29 septembre a d’abord été évoquée comme réponse possible, pour être ensuite abandonnée quelques jours plus tard.

On note également que la France a voulu renouer le dialogue et faire baisser la tension d’abord avec les États-Unis plutôt qu’avec l’Australie et le Royaume-Uni. Le communiqué conjoint publié à l’issue de l’entretien téléphonique entre les présidents Macron et Biden précise ainsi que “les États-Unis réaffirment que l’engagement de la France et de l’Union dans la région Indopacifique revêt une importance stratégique, notamment dans le cadre de la stratégie de l’Union européenne pour la coopération dans la région Indopacifique récemment publiée.” En outre, Washington y reconnaît également “l’importance d’une défense européenne plus forte et plus capable, qui contribue positivement à la sécurité globale et transatlantique et est complémentaire à l’OTAN”. Cette déclaration, si elle est suivie d’effets, ne lèvera certes pas tous les obstacles à une Europe de la défense, mais aura au moins l’avantage de mettre clairement les États membres devant leurs propres responsabilités à cet égard[12].

Il est en fait plus probable que des répercussions concrètes au niveau européen aient lieu surtout vis-à-vis de l’Australie et, dans une moindre mesure, du Royaume-Uni. On ne peut pas dire en effet que la colère soit véritablement retombée à l’heure actuelle vis-à-vis de Canberra – principale fautive dans cette affaire du point de vue français. Il est ainsi probable que l’accord de libre-échange en négociation entre l’Australie et l’Union européenne fera face à des difficultés pour avancer[13]. Enfin, en ce qui concerne le Royaume-Uni, cet épisode ne fait que rajouter une couche de méfiance supplémentaire avec Londres, ce qui risque de crisper encore un peu plus les discussions en cours sur la mise en œuvre du Brexit et, en particulier, celle du protocole nord-irlandais.

Mieux mettre en scène la solidarité européenne

L’accord AUKUS ne signifie pas le désengagement de la France et de l’Union européenne de l’Indopacifique. Il ne signifie d’ailleurs pas non plus une rupture complète avec Canberra, Londres ou Washington même si la méfiance qu’il a créée pourrait avoir un effet corrosif sur la cohésion des démocraties occidentales. Au-delà du gâchis diplomatique qu’il représente et qu’on ne peut que regretter, cet épisode doit en revanche interroger les Européens sur comment leur communauté politique et, en particulier, la solidarité qu’elle implique, sont perçues – ou plutôt mal perçues – par le monde extérieur.

Les pays non-européens ont en effet tendance à être surpris, voire agacés, par la solidarité qui peut se manifester au sein de l’Union européenne. Ainsi, lorsqu’ils sont engagés dans un conflit avec un des États membres, les pays tiers perçoivent souvent le fait de chercher à européaniser leur dispute comme un reproche. Cela a été le cas lorsque les Européens se sont montrés solidaires de l’Irlande dans le contexte du Brexit ou encore de Chypre et de la Grèce face à la Turquie l’année dernière. L’avantage stratégique de la solidarité est ainsi évident. Il est donc urgent pour les dirigeants européens de réfléchir à comment mieux mettre en scène leur solidarité, pour renforcer l’Union européenne, car cela est tout simplement dans leur intérêt national.

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