Développement technologique de l’armement nord-coréen : quelles perspectives stratégiques pour la Corée du Sud ?

Mis en ligne le 18 Oct 2022

Développement technologique de l’armement nord-coréen : quelles perspectives stratégiques pour la Corée du Sud ?

Le risque accru de « multipolarité nucléaire » peut être illustré par le retentissement stratégique de l’arsenal nord-coréen sur la sécurité de la Corée du Sud. L’analyse du développement de cet arsenal souligne que la dimension nucléaire est renforcée par le volet cyber. Cette analyse permet à l’autrice de développer les axes de réponses que suit la Corée et les perspectives ainsi ouvertes.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.

Les références originales de cet article sont : Cloé Fredryck, « Développement technologique de l’arsenal militaire nord-coréen : quelles perspectives stratégiques pour la Corée du Sud ? », Les cahiers du Comité Asie-Océanie . Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site des jeunes de l’IHEDN.

Début janvier [1], la Corée du Nord a multiplié les tirs de missiles tactiques, inquiétant la Corée du Sud, à moins de deux mois de ses élections présidentielles [2].

Bien que le pays soit réputé pour ses lancements à répétition et ses provocations militaires, cette série de tirs est néanmoins assez inhabituelle pour la Corée du Nord car elle présente de nouvelles forces de frappes, notamment des missiles hypersoniques à vol plané atteignant Mach 5, difficiles à intercepter[3]. Fait surprenant, à la suite de tirs d’ICBM au-dessus de la mer du Japon le 24 mars 2022, la Corée du Sud a procédé à plusieurs tirs de riposte. « […] Nos armées ont conjointement tiré des missiles depuis le sol, la mer et les airs », a indiqué, dans un communiqué, l’état-major interarmées de Séoul.

En janvier dernier, Pyongyang avait déjà procédé à une série d’essais de missiles balistiques. Intervenant après une longue période de calme, ces multiples tirs s’inscrivaient logiquement à la suite de l’exhibition, début janvier 2021 à Pyongyang, d’un missile balistique à lancement sous-marin (SLBM) et la présentation d’un missile balistique intercontinental Hwasong-16 (ICBM)[4] fin 2020 à l’occasion du 75e anniversaire du Parti des travailleurs.

La Corée du Nord semble ainsi poursuivre depuis quelques années une véritable stratégie de modernisation de son arsenal militaire. Le programme d’armement nucléaire[5] est désormais, au même titre que le développement de missiles hypersoniques, une des priorités nationales définies dans le plan quinquennal du régime, annoncé en 2021. KIM Jong-Un a également encouragé son pays à « accélérer ses efforts pour renforcer progressivement son arsenal stratégique militaire autant en qualité qu’en quantité et à poursuivre la modernisation de son armée », selon l’agence de presse officielle de la Corée du Nord, KCNA (Korean Central News Agency). Le pays souhaite montrer à la communauté internationale sa capacité, « malgré des moyens limités, [à] faire presque comme les grands en développant des capacités balistiques modernes », estime Antoine BONDAZ, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Ce dernier considère que les campagnes de tirs nord-coréennes ont pour objectif de démontrer que le régime est à même de « pouvoir pénétrer les défenses anti-aériennes sud-coréennes en allant plus vite grâce à ses missiles hypersoniques, ou encore [d’améliorer] la manœuvrabilité de ses projectiles ».

Les projets de défense annoncés par le dirigeant nord-coréen ne se limitent cependant pas qu’au développement de missiles et d’armes atomiques. En effet, alors que les institutions internationales s’inquiètent du danger que représente le développement des capacités nucléaires de la Corée du Nord, une autre force de frappe du pays pourrait résider dans ses capacités cyber et son armée de hackers du « Bureau 121 », comptant plus de 6 000 membres et capable d’opérer depuis l’étranger[6]. L’expertise cyber nord-coréenne pourrait constituer une menace immédiate pour certaines infrastructures critiques, en particulier en Corée du Sud et aux États-Unis, notamment « en ce qui concerne l’espionnage, les vols et les attentats » selon le rapport annuel 2021 d’évaluation des menaces de la Direction du Renseignement national des États-Unis[7] . Elles permettent en effet de « soutenir les opérations militaires et les objectifs de sécurité nationale en fournissant au régime un moyen d’influencer et d’intimider ses adversaires, et de collecter des informations sur eux ». En 2017, par exemple, la Corée du Nord s’était emparée de plans de guerre et de documents militaires sud-coréens, dont des informations classifiées[8]. Néanmoins, la singularité de la Corée du Nord dans ce domaine réside dans son abondante utilisation de cette technologie à des fins financières, lui permettant plausiblement de financer ses programmes nucléaires et militaires, contournant ainsi les contrôles et sanctions internationales. De nombreux faits de fraude et de chantage sont en effet attribués à Pyongyang, mais également divers piratages d’institutions financières[9] dans le secteur des cryptomonnaies[10].

Face à cette menace de plus en plus pressante, la Corée du Sud a accéléré depuis 2020 le développement de nouvelles capacités de défense, en particulier de nouveaux missiles tels que les missiles hypersoniques et les missiles guidés de précision. « L’armée va accélérer le développement technologique de ses systèmes d’armes guidées de haute précision, de missiles à longue portée et hypersoniques, d’ogives de grande puissance et d’un système de navigation par satellite de type coréen », avait annoncé JEONG Kyeong-doo, ministre de la Défense sud-coréen en août 2020 lors du 50e anniversaire de l’Agence pour le Développement de la Défense. « L’armée continuera à se concentrer sur le renforcement de sa puissance et sur le développement de systèmes d’armes de pointe en menant une réforme basée sur les dernières technologies ». Ainsi, la réforme de Défense, lancée en 2018 par le président MOON Jae-in, vise à moderniser l’armée sud-coréenne par notamment la mise en place d’un « système de défense antimissiles, de capacités de surveillance par satellite et de frappe de précision, [d’] une équipe de réponse aux cybermenaces, [de] l’usage de drones de combat, [d’] un nouveau groupe d’aviation de reconnaissance et l’amélioration des manœuvres stratégiques navales ». Cette modernisation des équipements de défense fait notamment appel aux dernières technologies telles que les systèmes Big Data, l’impression 3D, les drones, l’intelligence artificielle (IA) ou encore l’IoT (Internet-of-Things)[11]. En 2021, la Corée du Sud a présenté le premier prototype de son propre avion de chasse supersonique[12], « a annoncé avoir testé un missile balistique embarqué sur un sous-marin conventionnel », et « avoir développé un nouveau missile de croisière »[13]. En plus d’effectuer des exercices militaires conjointement avec les États-Unis, permettant de renforcer son intimidation militaire sur Pyongyang, Séoul a également organisé en fin d’année « le plus grand salon de défense militaire de son histoire ».

On assiste donc à une véritable « accélération de la course aux armements, notamment par l’ampleur des améliorations technologiques apportées aux arsenaux des deux pays » selon Timothy WRIGHT, spécialiste des questions militaires à l’International Institute for Strategic Studies de Londres, alors que la Corée du Nord semble plutôt miser « sur les capacités asymétriques telles que la puissance nucléaire, les missiles balistiques ou les cyberattaques », comme l’explique Antoine BONDAZ.

Pour autant, face à l’arsenalisation de Pyongyang, la stratégie sud-coréenne ne se concentre pas uniquement sur le développement de ses capacités militaires et de défense. En effet, elle conduit une stratégie politique et diplomatique, notamment sur le plan régional, avec par exemple l’organisation fin octobre 2021 d’un « sommet tripartite avec les États-Unis et le Japon afin de discuter du renseignement militaire face à la menace nord-coréenne »[14]. La question nord-coréenne demeure un élément central de la politique étrangère de la Corée du  Sud.  La  volonté  affichée  du  gouvernement  de  MOON  Jae-in  d’améliorer  les  relations intercoréennes et de faire avancer le processus de paix tout en tentant d’entretenir des relations en apparence cordiales avec la Chine, pourtant principal soutien militaire et financier de KIM Jong-Un, explique en partie son refus d’intégrer le QUAD[15]. Enfin, la Corée du Sud croit toujours en la possibilité d’un rapprochement diplomatique avec la Corée du Nord. Des signaux positifs avaient été envoyés en ce sens via le rétablissement des canaux de communication entre les deux pays mi-2021, alors que la série de sommets entre dirigeants, organisés depuis 2018, n’avait permis aucune avancée majeure. Cette volonté de « restauration de la confiance » entre les deux pays est toutefois mise à mal par les tensions récurrentes engendrées par les phases de tirs et actes de provocation d’un côté comme de l’autre.

À la veille des élections présidentielles, le nouveau président élu YOON Suk-Yeol, alors candidat, avait présenté sa vision des relations nord-sud dans le magazine Foreign Affairs[16]. Alors que son opposant LEE Jae-Myung était plutôt aligné avec le président sortant MOON Jae-in et sa politique de rapprochement avec la Corée du Nord, à travers la résolution de la question nucléaire et l’établissement d’une paix durable[17] (à l’exception toutefois de son scepticisme au sujet de l’unification – ou la réunification – des deux Corées), le candidat YOON Suk-Yeol, plus conservateur, proposait une ligne assez dure vis-à-vis de la Corée du Nord, allant jusqu’au recours à des frappes préventives en cas de provocations nucléaires de la part du leader nord-coréen. YOON Suk-Yeol témoignait d’ailleurs d’une attitude beaucoup plus tranchée vis-à-vis de la Chine. Il entend toutefois renforcer les communications trilatérales entre la Corée du Sud, la Corée du Nord et les États-Unis, et propose un soutien humanitaire renforcé à la Corée du Nord. Il sera ainsi intéressant au cours de cette année d’observer l’évolution de la politique étrangère de la Corée du Sud relative à la question intercoréenne, qui devrait toutefois plus ou moins poursuivre les efforts entrepris ces dernières années afin de pacifier la péninsule.

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