Intelligence économique européenne : entre ambitions de souveraineté européenne et réalités divergentes …

Mis en ligne le 13 Avr 2022

Une « Europe puissance » suppose une souveraineté économique et dès lors une coopération en matière d’intelligence économique. L’auteur souligne la nécessité d’une telle coopération, précise les formes qu’elle pourrait prendre et expose les difficultés et limites auxquelles elle est confrontée.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.

Les références originales de cet article sont : « Intelligence économique européenne : entre ambitions de souveraineté européenne et réalités divergentes entre États membres », par Benoit Terrien Charron, issu du site de l’association des Jeunes-IHEDN. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de l’association des Jeunes-IHEDN.

Intelligence économique européenne : entre ambitions de souveraineté européenne et réalités divergentes entre États membres

Les députés français Patrick ANATON et Michel HERBILLON ont produit un rapport d’information sur « L’avenir de la politique industrielle européenne » [1] à l’Assemblée Nationale qui est paru le 1er avril 2021. Les deux députés préconisent un service dédié à l’intelligence économique au sein de la Commission européenne afin de privilégier une collaboration des États membres européens face aux entreprises et États tiers. Cette notion d’intelligence économique a été introduite avec le rapport Martre [2] de 1994. Les États membres se sont pourtant focalisés sur la logique de marché guidée par la libre concurrence assurée par la Commission Européenne qui en a la compétence exclusive. Cependant, si le marché européen est ouvert et respecte parfaitement les traités internationaux de libre échange et les règles de concurrence instaurées par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), ce n’est pas toujours le cas des autres États qui sont pourtant ses voisins proches ou ses concurrents directs dans certains cas. L’Intelligence économique consiste à collecter, analyser, valoriser, diffuser et protéger l’information économique stratégique, afin de renforcer la compétitivité d’un État, d’une entreprise ou d’un établissement de recherche. Il s’agit d’un outil d’aide à la décision qui a vocation à être mis en œuvre par l’ensemble des acteurs économiques, pour maintenir et protéger leur compétitivité. Aussi, les États peuvent mettre en place une logique d’intelligence économique afin de faire des choix stratégiques, anticiper et accompagner les mutations économiques et soutenir la croissance. Selon Harold WILESNKY [3], sociologue et pionnier de l’intelligence organisationnelle, l’intelligence économique est une activité de production de connaissance recueillie et produite dans un contexte légal et à partir de sources ouvertes, et servant les buts économiques et stratégiques d’une organisation. L’intelligence économique est bel et bien un enjeu de sécurité, d’autant plus que la sécurité ne se définit plus seulement par rapport à des menaces militaires ou physiques. Ainsi la sécurité économique cherche à garantir l’approvisionnement, à conserver les capacités de production dans les secteurs clés, à assurer des débouchés et à maintenir une certaine stabilité économique. Une chose est certaine, l’information est une ressource qui se valorise et influe sur la puissance. Pour cette raison, alors que le terme d’« Europe puissance » a été utilisé par le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, Clément BEAUNE [4] , il apparaît nécessaire de considérer une intelligence économique européenne. Au vu de ces éléments, il apparaît qu’une coopération en matière d’intelligence économique à l’échelle européenne serait la clé d’une souveraineté économique européenne. Pour cela, l’analyse portera sur trois grands axes : la nécessaire coopération européenne en matière d’intelligence économique pour favoriser le marché intérieur et les exportations, les formes possibles de coopération européenne en matière d’intelligence économique, et les difficultés et limites rencontrées.

Intelligence économique : une coopération européenne nécessaire pour favoriser le marché intérieur et les exportations

Des pays voisins de la France comme la Belgique et les PaysBas portent de l’intérêt à cette vision car celleci leur permet de continuer à importer et ensuite à commercialiser dans le marché intérieur. Les États membres disposent pour un grand nombre de procédures de filtrage des Investissements Directs à l’Étrangers (IDE). Or, selon un rapport de la commission des affaires étrangères du Sénat en 2017, ces procédures sont très inégales [5]. Protéger le marché intérieur des investissements direct étrangers prédateurs venant des entreprises publiques étrangères est une nécessité. C’est pour cette raison que la Commission Européenne a créé un mécanisme de filtrage des IDE pour les États membres. La procédure du règlement du 19 mars 2019 [6] consiste en la création d’un cadre européen d’échange d’informations permettant une meilleure coordination bien que les mécanismes par pays restent libres. L’échange d’informations entre la Commission et les États membres se fait par un réseau sécurisé et crypté. Néanmoins, l’État membre concerné a le dernier mot sur la validation ou le rejet de l’IDE, bien que les États voisins puissent faire pression. Si un IDE vise des secteurs clés alors il peut porter atteinte à « la sécurité ou à l’ordre public » [7]. Devant des premiers résultats concluant de ce nouveau mécanisme, la Commission a étendu le cadre de filtrage des IDE en décembre 2021 à de nouveaux projets et programmes pouvant faire l’objet de cette procédure de contrôle [8].
En outre, « le fait que l’investisseur étranger soit contrôlé directement ou indirectement par le gouvernement d’un pays tiers, y compris des organismes publics ou les forces armées » est un critère de filtrage au même titre que si l’investisseur a mené des activités illégales ou criminelles ou bien qu’il ait déstabilisé la sécurité ou l’ordre public d’un État membre antérieurement. Cette procédure a été mise en place notamment pour protéger les États membres des IDE d’entreprises chinoises subventionnées par le Parti Communiste Chinois dans des domaines stratégiques comme les infrastructures. Le mécanisme cherche à éviter les faux-nez d’entreprises étrangères qui voudraient investir
dans des entreprises européennes. Il existe également un droit de veto pour les États membres lorsqu’il s’agit du rachat d’entreprises dites stratégiques. Ainsi par exemple, le groupe canadien Couche-tard a fait les frais de cette procédure lors de sa tentative de rachat du groupe Carrefour, car cette acquisition venait à compromettre la sécurité et la souveraineté alimentaire [9]. L’export n’est pas seulement la suite logique d’une entreprise lucrative et donc ne repose pas seulement sur une analyse SWOT : strengths, weaknesses, opportunities, threats. L’export est une véritable volonté de la part de l’entreprise et peut également s’appuyer sur l’intelligence économique. Ainsi, l’intelligence économique peut être considérée comme un avantage concurrentiel pour les entreprises qui adoptent la démarche. Il est donc primordial que les entreprises soient aidées par leur État et l’Union
européenne. En 2008, seule une PME européenne sur cinq exportait à l’international [10]. Or, les PME représentent la plus grande part des entreprises européennes. Les PME dont l’investissement en Recherche et Développement (R&D) est le plus élevé sont aussi celles qui exportent le plus. Il existerait donc un lien de corrélation entre investissements en R&D, forte valeur ajoutée et une meilleure internationalisation. Ainsi, il semble nécessaire de créer un cadre favorable au développement des PME européennes, à l’innovation et à la protection de la propriété intellectuelle et industrielle. Cela passe par une approche européenne de l’intelligence économique [11]. Toutefois, parvenir à de meilleurs résultats en matière d’exportation et protéger le marché intérieur d’investissements prédateurs afin de garantir la souveraineté européenne, l’intelligence économique européenne peut prendre différentes formes.

Entre intergouvernementalisme et supranationalisme : deux options envisageables pour la mise en œuvre d’une coopération européenne en matière d’intelligence économique

Dans certains États membres, l’intelligence économique existe sous forme d’accompagnement des entreprises et d’aide à l’export à l’échelle locale ce qui a pour effet de limiter le nombre de strates administratives et in fine de faciliter la coopération entre les secteurs public et privé. Au contraire, en France, la puissance publique est le vecteur principal de l’intelligence économique. La vision de l’intelligence économique laissée entre les mains des États et de leurs territoires laisse entrevoir une possible coopération des États membres en dehors du cadre de l’Union européenne. L’intelligence économique territoriale est une forme d’intelligence économique mise en place au plus proche des entreprises par la puissance publique territoriale. Elle est notamment privilégiée par la conception allemande. Ainsi, l’application de l’intelligence territoriale au cadre européen permet de conserver le principe de subsidiarité en prenant les décisions à l’échelon au plus proche du besoin. « Le principe de subsidiarité implique que l’UE ne doit pas intervenir (sauf dans les domaines qui relèvent de sa compétence exclusive), à moins que son action ne soit plus efficace que celle envisagée aux niveaux national, régional ou local » [12]. Les principes de subsidiarité et de proximité favorisent le rapprochement des compétences vers les citoyens. Néanmoins, ces principes s’appliquent seulement si l’intelligence économique ne devient pas une compétence exclusive de l’Union Européenne [13]. En effet, l’intervention de l’Union Européenne au nom du principe de subsidiarité dans un domaine ne peut se faire que s’il ne s’agit pas d’une compétence exclusive de l’Union Européenne, aux termes de l’article 5 paragraphe 3 du traité de l’Union européenne [14]. Christian HARBULOT, spécialiste de l’intelligence économique et directeur de l’école de guerre économique, en 1997, introduit la notion d’« infrastructures de l’information » [15] qu’il mettait en lien avec les Groupes d’Intérêts Économiques (GIE). Les GIE ont pour objectif de contrebalancer la petite taille et la faible importance d’une entreprise en promouvant la collaboration entre plusieurs entreprises. Ces entreprises mettent alors leurs savoirfaire en commun sous un même label. Il semble alors envisageable de penser une coopération étendue des États membres dans certains domaines afin de contrebalancer la faiblesse de leurs avantages comparatifs. On peut imaginer cette coopération en dehors du cadre européen par des accords bilatéraux entre États membres. Or, cela existe essentiellement avec des États tiers sous la forme de projets conjoints. Par exemple, entre 2016 et 2020 la Commission européenne avait lancé un appel à projets dans le cadre d’une coopération de projets conjoints avec le Japon dans le domaine des technologies (CONCERTJapan) [16]. On peut aussi imaginer une coopération entre États membres dans le cadre d’une Europe à plusieurs vitesses, ou, “Europe des clubs”. Ainsi les États membres voulant s’engager le pourraient sans que cela soit obligatoire, une forme d’optin serait possible. Il faudrait alors créer des structures de coopération dans le cadre de ces clubs afin que les informations circulent et qu’elles soient valorisées. Dans un degré extrême d’intégration mais en conservant la logique de coopération intergouvernementale par une forme de fédéralisation de l’intelligence économique, il est possible d’imaginer, à l’image du Comité des Régions, un « Comité de l’intelligence économique ». Ce comité aurait pour rôle de réunir les acteurs de l’intelligence économique des États membres, qu’ils soient privés, publics, nationaux ou locaux. Ainsi l’information économique et stratégique serait valorisée tout au long de la chaîne de valeur par les différents acteurs européens. La politique commerciale étant pour l’essentielle une compétence exclusive de l’UE, la Commission Européenne pourrait intégrer l’Intelligence économique à son domaine réservé. Le paradigme libéral de la Commission Européenne n’est pas incompatible avec le développement d’un modèle d’intelligence économique. En effet, il est possible de voir l’intelligence économique comme le prolongement du paradigme libéral visant à conquérir de nouveaux marchés et gagner en puissance par un cadre de concurrence libre et non faussée entre les entreprises. De fait, l’intelligence économique permet de lutter à armes égales face aux autres grandes nations qui utilisent la puissance publique pour avancer leurs intérêts économiques et de puissance. Aux ÉtatsUnis, le libéralisme ambiant n’a pas empêché le développement d’un paradigme d’intelligence économique propre basé sur : «l’interventionnisme à l’extérieur et le libéralisme à l’intérieur » [17]. Cette vision se retrouve notamment dans la création d’agences spécialisées dans l’intelligence économique telles que les : National Economic Council ; Advocacy Center ; ou Committe on Foreign Investments in the United States. En outre, la législation américaine est à la fois défensive et offensive. Les lois américaines et les décisions de justice du Departement of Justice ont pour objectif de protéger leur marché intérieur [18] mais peuvent aussi permettre la déstabilisation et la prédation d’entreprises étrangères grâce à l’extraterritorialité du droit américain. Si l’on considère que le paradigme américain en matière d’intelligence économique est efficace, alors il est raisonnable d’édicter des « bonnes pratiques » calquées sur leur modèle. La Commission Européenne étant à l’initiative des législations européennes, devrait tenir un rôle prépondérant dans la mise en œuvre de dispositions d’intelligence économique à l’échelon européen [19] au même titre que le gouvernement américain et ses agences. C’est ce qu’elle est parvenue à mettre en œuvre dans l’Accord Global UEChine sur les investissements, en imposant des limites à leur ouverture. Ces limites portent notamment sur les infrastructures de réseaux et la production d’énergie qui sont considérées comme stratégiques. Par ailleurs, la Commission est d’ores et déjà impliquée dans la défense et la protection du marché unique en cherchant à éviter les distorsions de concurrence engendrées par des subventions d’États étrangers à leurs entreprises. La Commission européenne promeut également des politiques de protection de la propriété intellectuelle dans sa nouvelle stratégie industrielle [20], ces politiques représentent un pilier de l’intelligence économique et une défense efficace des intérêts européens. Cependant, contrairement à ce qui a été fait aux ÉtatsUnis, aucune agence spécialisée dans l’intelligence économique n’a été créée. La Commission européenne dispose déjà d’une pratique avancée en matière de sécurité économique mais peine à développer sa vision offensive. Pour cette raison, inclure l’intelligence économique, de manière formelle, au sein de la DG du Commerce de la Commission européenne permettrait une étroite collaboration avec le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE). Cela permettrait de mettre en œuvre une vision positive de l’intelligence économique grâce au concours de l’agence spécialisée dans le renseignement du SEAE ou encore en intégrant la vision d’intelligence économique dans la diplomatie économique menée par le SEAE. L’intelligence économique, si elle était intégrée à la Commission européenne et coopérait avec le SEAE compléterait la vision stratégique européenne audelà de la Politique de Sécurité et Défense Commune.

D’importants défis sont encore à surmonter pour la mise en œuvre d’une coopération européenne en matière d’intelligence économique

Trois éléments compliquent la coopération européenne en matière d’intelligence économique, à savoir : la compétition interne entre États membres et entreprises européennes ; la transparence et l’indépendance des États membres visàvis des États tiers ; et la décision collective rendue difficile par les règles de vote. Il existe une compétition interne à l’Union européenne qui passe par des investissements intraeuropéens qu’on pourrait qualifier de prédateurs car ils visent à asseoir une position dominante sur le marché. En effet, si l’on suit la logique de MUNDELL, les zones monétaires optimales ont des implications commerciales. Ainsi, l’ouverture et les interdépendances entre les États membres ont des conséquences en matière de puissance puisque dans certains secteurs stratégiques, un État ou une région de cette zone peut avoir un avantage comparatif ce qui le rendra plus compétitif. Il est donc nécessaire de prendre soin à ce que les investissements intraeuropéens n’aillent pas toujours dans le même sens et surtout que ceuxci ne soient pas prédateurs de domaines stratégiques. Un certain équilibre interne est nécessaire à la coopération européenne en matière d’intelligence économique, d’autant plus qu’une trop grande spécialisation renforcerait le risque de chocs asymétriques au sein de la zone monétaire européenne. En outre, une interrogation se dresse en matière de transparence et d’indépendance des États membres sur les questions d’intelligence économique. Il paraît difficilement concevable d’imaginer que la Pologne mise sur une intelligence économique européenne sans en référer aux ÉtatsUnis. En effet, la Pologne est l’État européen le plus atlantiste, ainsi elle compte bien plus sur le soutien américain et sur l’OTAN que sur une coopération sécuritaire européenne. Ainsi en 2019, le gouvernement polonais concluait l’achat d’avions F35 américains sans même qu’un appel d’offre ne soit ouvert [21]. La sortie d’un État membre de l’Union européenne pourrait aussi avoir des conséquences et représenter une fuite potentielle d’informations stratégiques. La transparence et l’indépendance des États membres sont donc des critères importants pour que l’intelligence économique européenne puisse voir le jour. Il semble nécessaire de dessiner une forme d’intelligence économique européenne dans laquelle les États membres se retrouvent. Néanmoins, trouver une solution à vingtsept États est toujours aussi difficile. Il est d’autant plus difficile d’obtenir une décision collective à vingtsept si la règle de vote est à l’unanimité comme c’est le cas pour les questions de politique étrangère et de sécurité commune au Conseil de l’Union européenne. La règle de l’unanimité est également utilisée lors du vote du Conseil européen car les États membres sont considérés comme égaux. Cependant, s’agissant des politiques économiques, la décision au Conseil de l’Union européenne est prise à la majorité qualifiée. C’est pour cette raison que laisser l’intelligence économique entre les mains de la Commission Européenne peut être une solution au problème de décision collective. Cela permet aussi d’éviter que les logiques nationales ne prennent le pas sur l’intérêt collectif européen car la Commission a un devoir de neutralité. En somme, les États membres et leurs entreprises sont en compétition au sein même de l’Union Européenne pour tirer profit au mieux du marché unique. Or si les États membres sont influencés par des intérêts tiers et manquent d’indépendance dans des domaines stratégiques, alors la transmission d’informations entre États membres en matière d’intelligence économique pourrait comporter trop de risques. Donc, le consensus entre États membres, déjà rendu difficile par les différentes règles de vote, sera impossible à atteindre pour des questions les intérêts sont divergents, et les risques trop élevés. La législation européenne, empreinte de libéralisme et favorisant la concurrence libre et non faussée, peine à affirmer la souveraineté européenne. L’UE est encore réticente à mettre en place des lois extraterritoriales et si elle préfère les sanctions extraterritoriales, cellesci s’appliquent essentiellement contre des États bien précis et non pas dans un cadre général. En effet, les sanctions extraterritoriales européennes s’appliquent à des États comme la Turquie, la Russie ou encore plus récemment le Bélarusse. Ses sanctions visent essentiellement des personnes, des gels d’avoir et de transferts de capitaux ainsi que des interdictions de vol ou le contournement de l’espace aérien bélarusse. La Commission Européenne pêche encore dans un domaine, celui de la corruption, malgré la création du parquet européen et de l’Office Européen de Lutte AntiFraude (OLAF) qui se limite à la protection des intérêts financiers de l’Union Européenne. En effet, elle n’a pas encore été à l’initiative d’une législation européenne de lutte contre la corruption, le sujet n’est d’ailleurs pas à l’ordre du jour de la Présidence Von Der Leyen [22]. Pourtant le cadre légal existe depuis le traité de Lisbonne au titre de l’article 325 du Traité de fonctionnement de l’Union Européenne. C’est par le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), loi anticorruption étrangère que les EtatsUnis parviennent à défendre leurs intérêts et que leurs entreprises sont prédatrices d’entreprises étrangères. Audelà de la lutte anticorruption, c’est la portée des législations extraterritoriales qui permet au gouvernement américain de favoriser et promouvoir ses entreprises nationales. Or, l’extraterritorialité de certaines législations est une distorsion de concurrence que la Commission européenne ne semble pas prête à envisager alors même que la lutte anticorruption, au même titre que la lutte contre la fraude ou le blanchiment, doit permettre un cadre de concurrence sain. De plus, le domaine du numérique représente une grande faiblesse de l’UE, puisque face aux géants du numériques l’Union a des lacunes en matière d’intelligence économique ce qui se traduit par une perte de souveraineté. Depuis 2018 et l’entrée en vigueur du CLOUD Act [23], le département d’État de la justice américaine peut obtenir accès aux données personnelles, quelle que soit la localisation géographique ou la nationalité de la personne, morale ou physique. Ainsi les entreprises américaines du numérique, leader sur leur marché pour une grande partie d’entreelles (dont les GAFAM) sont dans l’obligation de fournir ces données personnelles. Ici encore l’extraterritorialité du droit américain s’applique et, passant par les GAFAM, permet depuis le Cloud Act en 2018 à la justice américaine d’avoir accès aux données personnelles quelle que soit la localisation géographique ou la nationalité de la personne, morale ou physique. Outre le retard en matière législative, il existe un retard en matière stratégique. Le cas des infrastructures de télécommunications est inquiétant car, cellesci permettent la circulation d’informations, ce qui représente le nerf de la guerre en matière d’intelligence économique. Or, un manque de souveraineté en matière d’infrastructures delécommunication risque de compromettre les informations dans le cadre d’une intelligence économique européenne. Dès lors, la République Populaire de Chine étant considérée comme un rival stratégique, laisser l’entreprise Huawei obtenir des segments du marché européen de la 5G pourrait représenter un risque élevé de fuite d’informations stratégiques [24].

Conclusion

Si Bernard CARAYON [25] est en faveur d’un État stratège et d’une prospective publique, celleci ne semble pas avoir encore vu le jour. Penser une intelligence économique européenne et une Union européenne stratège est sûrement la nouvelle étape, qu’il convient de ne pas manquer cette foisci. Il semble alors pertinent d’intégrer cette dimension au sein de la Commission Européenne afin d’éviter que les logiques nationales n’entravent le travail de fond en matière d’intelligence économique. Il faudrait néanmoins éviter l’erreur qui consisterait à appliquer une approche topdown stricte. Car ce sont bien les acteurs infranationaux : les entreprises, cabinets de conseil et d’affaires, ou encore les pouvoirs publics locaux, qui appliqueront finalement l’intelligence économique et les informations afin d’améliorer leur compétitivité et remporter de nouveaux marchés. Il convient de rappeler que sans une utilisation du droit, l’intelligence économique ne sera que défensive, or, si se protéger d’IDE prédateurs est important, il est nécessaire d’aider les entreprises européennes à remporter de nouveaux marchés étrangers ce qui permettra à l’Union européenne d’être enfin une « Europe de puissance » audelà des déclarations d’intention.

 

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