La cybercriminalité affecte un nombre croissant de victimes, parfois isolées. Le papier remet en perspective la place de la victime dans le procès pénal pour mieux éclairer comment sont désormais prises en charge les victimes du Web et comment l’institution judiciaire s’adapte à cette nouvelle donne de criminalité numérisée.
Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.
Les références originales de cet article sont : Xavier Leonetti, « La victime face aux cyberprédateurs : comment mieux la prendre en compte dans le procès pénal ? », Revue de la gendarmerie nationale. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site du CREOGN.
Internet et les technologies numériques occupent une place centrale dans nos vies. En particulier, les jeunes générations se sont appropriés ces outils pour s’amuser, créer et partager des contenus ou tout simplement communiquer. Un véritable environnement virtuel est venu se superposer à l’environnement réel, au point parfois de totalement s’y substituer.
Mais, comme toute médaille a son revers, cette centralité des technologies numériques présente une part d’ombre. Si Internet a permis d’ouvrir des perspectives nouvelles en matière de communication et de commerce, ces nouveaux espaces sont autant de lieux où règne parfois la loi du plus fort.
Cyberescroqueries, cyberharcèlements, piratage, le nouveau monde a emprunté les pires défauts de l’ancien. Face à ces vagues de cyberdélinquance, les victimes se sentent parfois seules face au web. Pourtant, depuis plusieurs décennies la victime est au cœur de l’attention des politiques publiques. La place de la victime dans le procès pénal n’a cessé de s’affirmer et ce tout particulièrement s’agissant des parties civiles et du développement de leurs droits. L’article préliminaire II du code de procédure pénale, issu de la loi du 15 juin 2000, affirme par exemple que « l’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale ». Dès lors, si les droits des victimes font partie intégrante du procès pénal, le maintien de cette garantie est un enjeu majeur à l’ère numérique.
La lente reconnaissance de la place de la victime dans le procès pénal
L’Histoire judiciaire a connu une lente migration d’un système fondé sur l’accusation privée vers un système reposant sur l’action publique. Dans un premier temps, au cours de l’Antiquité, le système d’accusation privée a favorisé l’émergence d’un système judiciaire au détriment de la vengeance privée. Par la suite, le XIIe siècle a vu l’introduction de la procédure inquisitoire devant les juridictions ecclésiastiques, puis devant les juridictions seigneuriales et royales. À l’époque, la dénonciation fait son apparition, permettant de saisir le juge et de lui abandonner les poursuites. La poursuite d’office par le juge va ensuite progressivement s’imposer. Sous le règne de Louis XIV, la grande ordonnance de 1670 institue trois modes de déclenchement de l’action publique : la dénonciation, la plainte et la poursuite d’office par le juge.
Puis, dans la lignée du droit révolutionnaire, le code d’instruction criminelle et le code de procédure pénale vont étendre les prérogatives reconnues aux victimes. En particulier, la faculté de déclencher l’action publique, autrefois réservée à la citation directe, a été étendue à la plainte avec constitution de partie civile par le célèbre arrêt Laurent-Atthalin du 8 décembre 1906[1].
Vers une meilleure prise en compte des « victimes du web »
Aujourd’hui, la victime est devenue une préoccupation majeure des politiques pénales. De par sa qualité, elle occupe une place essentielle dans le procès pénal en qualité de partie, bénéficiant de ce fait des prérogatives qui sont attachées à ce statut.
Pour autant, face aux cybercriminels, les victimes se trouvent souvent isolées et parfois démunies. Dans un monde numérique où la cyberdélinquance a opéré une véritable « révolution industrielle », la victime est désormais noyée sous le flot des tentatives de cyberattaques et de fishing. La situation est inédite puisque aujourd’hui 100 % des internautes ont été victime, a minima, d’une tentative de cyberinfraction.
Confrontée à une « pandémie cyber » la victime doit à la fois adopter les gestes barrières de la cyberprotection mais également signaler toute infection malveillante. Pour ce faire, le signalement sur la plateforme Pharos constitue le point d’entrée de la connaissance des contenus illicites, pouvant le cas échéant conduire à l’ouverture d’une enquête. Au mois de janvier 2022 des individus s’étant filmés en train de traîner deux piétons depuis leur voiture ont pu être interpellés au moyen de dispositifs de signalement.
En matière d’escroqueries ou de fraudes bancaires les plateformes PERCEVAL et THESEE viennent compléter ce dispositif de signalement et constituent un lien nouveau entre les services de police et la population. Un signalement sur une plateforme offre l’avantage de l’immédiateté et de la facilité, par rapport à l’option d’un dépôt de plainte. De même le site cybermalveillance. gouv.fr offre des solutions de protection et remédiation gratuites et librement accessibles aux particuliers et aux entreprises.
Pour autant, le numérique ne peut se concevoir en substitution du lien humain offert par l’accueil dans un commissariat ou dans une brigade. De manière générale, la proximité et l’accessibilité du système judiciaire se conçoit au moyen de deux étapes complémentaires et parfois successives : l’une numérique et l’autre physique. À l’image du monde médical, la téléconsultation ne remplacera jamais totalement une consultation chez son praticien.
Le dépôt de plainte doit demeurer l’acte réflexe de toute victime
En matière correctionnelle, selon les dispositions de l’article 85 du Code de procédure pénale il n’est pas possible de déposer une plainte avec constitution de partie civile directement. Une plainte simple est désormais une condition préalable indispensable[2]. Cette procédure permet d’éviter notamment les dépôts de plaintes fantaisistes ou infondés.
Au coeur de cette régulation, le procureur de la République dispose de l’opportunité des poursuites. Mais qu’en est-il lorsque des infractions sont dénoncées en ligne au seul sein de la communauté des internautes ? La tribune offerte par les réseaux sociaux est à la fois une chance de libération de la parole des victimes mais interroge également sur la garantie du principe de présomption d’innocence en dehors de toute procédure judiciaire. En effet, en l’absence de possibilité de procès pénal, en raison bien souvent des délais de prescription, Internet demeure le lieu de catharsis de la parole de la victime.
Or, le dépôt de plainte est une étape indispensable dans la prise en considération de la victime permettant l’introduction de nombreuses mesures destinées sinon à effacer, du moins à apaiser les troubles issus de l’infraction. Cette préoccupation se traduit, en amont du procès, par un effort conséquent d’information des victimes sur leurs droits et devoirs. C’est dans cette perspective que la Chancellerie met à disposition un guide des droits des victimes ; que les tribunaux judiciaires disposent de bureaux d’accueil et de renseignement ; que les commissariats et les brigades disposent de chartes d’accueil des victimes et de personnes formées ; qu’un tissu associatif d’aide aux victimes a été créé. En outre, la qualité de victime ouvre un accès au droit, par exemple au moyen de l’aide juridictionnelle.
Si bien qu’un post sur Internet ne remplacera jamais le fait de pousser la porte d’un commissariat ou d’une brigade pour déposer plainte. En effet, selon les articles 10-2 et suivants du Code de procédure pénale les victimes doivent être informées par les OPJ/APJ de leur droit. En particulier, de la possibilité d’obtenir « réparation de leur préjudice, par l’indemnisation de celui-ci ou par tout autre moyen adapté, y compris, s’il y a lieu, une mesure de justice restaurative; de se constituer partie civile soit dans le cadre d’une mise en mouvement de l’action publique par le parquet, soit par la voie d’une citation directe de l’auteur des faits devant la juridiction compétente ou d’une plainte portée devant le juge d’instruction ; d’être, si elles souhaitent se constituer partie civile, assistées d’un avocat qu’elles peuvent choisir ou qui, à leur demande, est désigné par le bâtonnier de l’ordre des avocats près la juridiction compétente, les frais étant à la charge des victimes sauf si elles remplissent les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle ou si elles bénéficient d’une assurance de protection juridique ; d’être aidées par un service relevant d’une ou de plusieurs collectivités publiques ou par une association conventionnée d’aide aux victimes ; de saisir, le cas échéant, la commission d’indemnisation des victimes d’infraction, lorsqu’il s’agit d’une infraction mentionnée aux articles 706-3 ou 706-14 du présent code ; d’être informées sur les mesures de protection dont elles peuvent bénéficier ; pour les victimes qui ne comprennent pas la langue française, de bénéficier d’un interprète et d’une traduction des informations indispensables à l’exercice de leurs droits ; d’être accompagnées chacune, à leur demande, à tous les stades de la procédure, par leur représentant légal et par la personne majeure de leur choix, sauf décision contraire motivée prise par l’autorité judiciaire compétente ».
loi n° 2008-644 du 1er juillet 2008 créant de nouveaux droits pour les victimes et améliorant l’exécution des peines a mis en place un service d’aide au recouvrement des dommages-intérêts pour les victimes (SARVI) qui permet aux victimes d’obtenir le versement total (inférieur à 1 000 €) ou partiel (dans la limite de 3 000 €) des sommes accordées par le tribunal au titre des dommages-intérêts ou des frais de procédure.
La spécialisation judiciaire face aux victimes du web et le réseau des cyber-référents
Les réseaux de communication électroniques ne connaissant pas de frontière terrestre ou politique, il est fréquent que des infractions visant des personnes françaises soient commises depuis un autre État. Afin d’améliorer la répression des phénomènes cyberdélinquants transnationaux, le législateur a introduit dans le Code pénal l’article 113-2-1 qui dispose que « tout crime et délit réalisé au moyen d’un réseau de communications électroniques, lorsqu’il est tenté ou commis au préjudice d’une personne physique résidant sur le territoire de la République ou d’une personne morale dont le siège se situe sur le territoire de la République, est réputé commis sur le territoire de la République ».
Par ailleurs, dans le cadre d’une cyberattaque, il est possible qu’une partie de l’infrastructure technique (par exemple un serveur informatique) soit localisée sur le territoire, ce qui est un élément constitutif de l’infraction, entraînant la compétence des juridictions françaises.
Dès lors, si toutes les juridictions peuvent connaître de faits de cybercriminalité, des compétences spéciales ont été instituées pour leur traitement. La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale a ainsi attribué à la juridiction parisienne une compétence nationale concurrente en matière d’atteintes aux STAD.
Aussi, l’augmentation exponentielle et l’évolution des diverses formes de cybercriminalité, de même que l’intégration de la section « cyber » du parquet de Paris (J3) à la Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO), ont conduit à préciser le rôle des différents acteurs judiciaires en la matière. Il résulte ainsi de la dépêche du Garde des Sceaux en date du 9 juin 2021 que les compétences des juridictions locales, des juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) et du tribunal judiciaire de Paris ont vocation à s’articuler en fonction de la nature et du degré de complexité de l’affaire, au regard de plusieurs critères objectifs.
Dans le même temps, les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) connaissent de plus en plus de contentieux de la cybercriminalité, notamment en lien avec le phénomène de « cybérisation » de la criminalité organisée. Ainsi, la désignation et la formation de « cyber-référents » au sein des JIRS mais également au sein de parquets locaux a permis d’une part de créer un réseau judiciaire d’échanges entre les acteurs de la lutte contre la cybercriminalité et, d’autre part, de mieux spécialiser la prise en compte judiciaire de ce contentieux.
À l’heure du big data, de l’open data, du cloud, des objets connectés, des smartphones, les failles de sécurité constituent un moyen de pénétration dans les systèmes de traitement automatisé. Dans le même temps, les réseaux sociaux constituent des lieux propices à la diffusion de la haine en ligne et plus que jamais la victime se trouve à portée de clic des cyberdélinquants.
Aussi, face à la multiplication des menaces et des victimes potentielles, un renforcement de la lutte contre ces délits de type nouveau et évolutif est nécessaire, en particulier s’agissant du volet d’aide aux victimes. Dans cette optique, le chef de l’État a annoncé la création de 1 500 cyberpatrouilleurs dans le cadre d’un plan d’investissement d’un milliard d’euros pour renforcer la lutte contre la cybercriminalité. La mise en place d’une plateforme numérique équivalente aux « appel l17 » est également prévue afin que chaque citoyen puisse signaler en direct une cyberattaque.
References
Par : Xavier LEONETTI
Source : Centre de Recherche de l'Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale
Mots-clefs : cybercriminalité;, justice