Le mix électrique Français à l’horizon 2030-2050 : l’heure (ou le réalisme) des choix

Mis en ligne le 15 Déc 2021

Ce rapport s’inscrit dans le prolongement de récentes décisions sur le parc électronucléaire français. Pour les auteurs de ce rapport, il est important de pérenniser et de développer cette énergie au sein d’un futur mix énergétique national, tout en soignant le volet financement. La flexibilité des futurs réseaux de transport d‘électricité et la place de la dimension européenne sont également mises en exergue.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.

Les références originales de ce texte sont : “«Le mix électrique Français à l’horizon 2030-2050: l’heure (ou le réalisme) des choix », écrit par Olivier Appert, Christophe Béguinet, Jérôme Ferrier, Xavier Marchal, Patrice Molle, Jean-Marc Schaub et Jean-Philippe Wirth. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de Synopia.

 

Le mix électrique de la France est aujourd’hui décarboné à près de 93 %, notamment grâce au nucléaire qui représente entre 68 % et 72 % de la production d’électricité selon les années, et grâce à l’hydraulique qui fournit 13 % de cette électricité en moyenne. Envisager de mettre à l’arrêt des centrales nucléaires pour leur substituer de l’électricité intermittente éolienne ou solaire est donc un nonsens économique, d’autant que ces équipements subventionnés produisent un kWh souvent plus coûteux que le nucléaire amorti, et émettent parfois plus de CO2 que le nucléaire dès lors que l’on procède à une analyse de l’ensemble du cycle de vie du kWh produit.

Certains s’émerveillent aujourd’hui devant la flexibilité du nucléaire lorsqu’il s’efface devant l’injection d’électricité renouvelable ; considérer le nucléaire comme le backup du solaire et de l’éolien n’est pas recevable puisque cette solution détériore le facteur de charge des centrales nucléaires et accroît simultanément le coût du kWh nucléaire produit.

Un système électrique a besoin d’un minimum de centrales pilotables ; et seuls les centrales nucléaires et les barrages de retenue sont à la fois pilotables et décarbonés. Les centrales thermiques à gaz sont certes pilotables, mais restent carbonées. Et le solaire et l’éolien sont décarbonés, mais non pilotables. Dans l’état actuel des objectifs et des hypothèses retenus par la nouvelle Programmation pluriannuelle de l’Énergie (PPE), on risque de se trouver en 2035 devant un double défi :

  • faire face à une insuffisance de capacité aux heures de pointe ;
  • et devoir en même temps gérer un excédent d’électricité fatale (ou de récupération) aux heures les plus creuses de l’année.

QUEL SCENARIO ET POURQUOI ?

La demande d’électricité, aujourd’hui stable, devrait croître dans le futur sous l’effet de deux facteurs : d’une part, le développement massif de la mobilité électrique, et d’autre part, le développement des applications numériques. Fermer de façon prématurée des réacteurs nucléaires fait donc courir un risque, surtout si dans le même temps les pays limitrophes de la France ferment leurs centrales nucléaires et leurs centrales à charbon pilotables.

L’augmentation du poids des énergies intermittentes, comme le solaire ou l’éolien, dans le mix électrique, parallèlement à une demande d’électricité ellemême soumise à des effets de pointe, nécessite d’accroître la flexibilité du système électrique, ce qui peut se faire de différentes façons :

  • Une tarification incitative favorisant l’effacement de la demande aux heures les plus
    chargées.
  • Le recours aux interconnexions transnationales lorsque l’offre est défaillante.
  • Bien sûr le développement massif de moyens de stockage, sous forme de STEPs (Stations de transfert d’énergie par pompage), de batteries, ou de powertogastopower[1]. L’électricité se stocke mal, et il faut que la quantité soutirée du réseau en aval soit en permanence égale à celle injectée en amont, tout en tenant compte des pertes en ligne par effet Joule.
  • Le numérique est également un atout dans la mise en œuvre d’une tarification « dynamique » visant à lier le prix du kWh payé par le consommateur final au prix constaté, en temps réel, sur le marché de gros. Mais la forte volatilité des prix de gros peut faire courir des risques aux consommateurs, comme l’a montré l’expérience récente du Texas, en février 2021, où des températures inhabituellement basses ont généré une augmentation exponentielle de la demande que le système énergétique n’a pas pu satisfaire. Il faudra donc prévoir des garde-fous. 

Certains pays européens, dont l’Allemagne, vantent les mérites du gaz naturel qui, se substituant au charbon dans la production d’électricité, améliore le bilan carbone du mix électrique. Ayant besoin du gaz comme backup de leurs éoliennes, ils appuient dès lors la prise en compte du gaz dans la taxonomie européenne, mais demandent en même temps que le nucléaire en soit exclu. La France doit s’opposer à une telle position, ce qui montre qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire dans la coopération européenne.

Les oppositions en Europe entre les pays qui intègrent le nucléaire dans leur transition énergétique et les autres qui le bannissent ne permettent pas de clarifier l’avenir de cette filière.

Pour autant, et malgré la compétitivité croissante des énergies renouvelables, la nécessité de disposer de moyens pilotables reste entière. Et on ne peut raisonnablement imaginer que chacun des pays membres en Europe compte sur ses voisins pour combler le déficit de production sur son sol. Cette situation nous amènera inéluctablement vers des blackout électriques de plus en plus fréquents. Rien n’indique en effet que les marges de flexibilité de la demande et le stockage des excédents d’électricité issue de renouvelables permettent de maintenir l’équilibre du système électrique européen sans moyens de production pilotables importants. Pour l’heure, les avancées technologiques en termes de stockage ou d’autres outils de flexibilité du système électrique ne permettent pas de constituer une alternative réelle et totale aux énergies pilotables comme le nucléaire.

De plus, l’émergence de la filière hydrogène, soutenue par des plans de financement massifs (7 milliards € en France, 9 mds en Allemagne) requestionne profondément l’équation du mix énergétique. Nécessairement bas carbone, l’hydrogène  européen devra soit utiliser l’électricité fatale (qui serait perdue si on ne l’utilisait pas au moment où elle est disponible) des parcs ENR (Energie Non Renouvelable) lors des périodes de faible demande ; soit l’électricité issue des CNPE (Centrales nucléaires de production d’électricité) ; soit encore l’hydrogène bleu, ce qui suppose la captation et le stockage du CO2. L’ambition française en termes de parc cible d’électrolyseurs, confirmée par les récentes annonces du Président de La République dans le cadre de France 2030, représente 10 % de la production électrique actuelle. Ce vecteur énergétique peut devenir un mode de stockage pouvant, comme les STEPs, soutenir les réseaux lors des pointes de consommation, et accélérer le remplacement des énergies fossiles.

Le couplage ENR + nucléaire/hydrogène ouvre des perspectives inédites d’indépendance énergétique à une Europe important massivement depuis des décennies charbon, pétrole et gaz.

Rappelons que la France est dans une situation particulière. Elle partage avec la Norvège et l’Islande, mais aussi la Suède, d’avoir un mix électrique très faiblement carboné. Elle n’est donc pas dans la situation de l’Allemagne ou de la Belgique qui, après avoir décidé d’abandonner le nucléaire et le charbon, vont se tourner massivement vers le gaz naturel, ne permettant pas une baisse significative de leurs émissions de CO2 par MWh électrique produit.

La France a donc une avance certaine, mais a surtout déjà atteint l’objectif européen de production d’électricité décarbonée. Pour autant, le mix électrique pour la décennie 2050 est encore mal défini. Rappelons que la France a décidé d’un premier palier de son mix comprenant 50 % maximum de nucléaire en 2035.

C’est d’ailleurs cet objectif qui a conduit à la fermeture des deux réacteurs à eau pressurisée REP 900 de la centrale de Fessenheim. Ce n’est, en effet, aucunement des raisons de sûreté qui auraient été pointées par l’ASN (Autorité de Sureté Nucléaire) qui ont motivé l’arrêt de ces 2 x 900 MW de capacité de production pilotable, c’est bien l’obligation de répondre à une loi où la durée (dite de vie) de 40 ans des réacteurs est d’ordre juridique, et ne correspond nullement à une contrainte technique.

OÙ INVESTIR ET COMMENT FINANCER ?

Pour satisfaire aux besoins électriques de demain, il va falloir investir simultanément dans la production d’électricité, mais aussi dans l’extension et le renforcement des réseaux de transport et de distribution d’électricité, notamment pour injecter l’électricité renouvelable dans le réseau de distribution, et la « remonter » parfois dans le réseau de transport.

Dans le secteur de la production, il faut, tout à la fois, investir pour prolonger la durée de vie de la majorité des réacteurs du parc nucléaire actuel, et investir dans de nouveaux EPR (pour European Pressurized Reactor) les fameux 6 EPR2 en projet en France , ainsi que dans des réacteurs de petite dimension à sûreté passive, les SMR (pour Small Modular Reactors) comme expliqué ciaprès. Il faut évidemment maintenir les efforts dans la recherche sur les réacteurs Génération IV, une initiative du département de l’énergie des ÉtatsUnis destinée à instaurer une coopération internationale dans le cadre du développement des futurs systèmes nucléaires. L’abandon en 2019 du projet Astrid, un prototype de réacteur nucléaire porté alors par le CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives) risque de reléguer la France loin derrière les grands pays qui développent aujourd’hui des prototypes de surgénérateurs (Chine, ÉtatsUnis, Russie).

La loi prévoit de continuer à aider les investissements dans l’éolien et le photovoltaïque, ce qui, par ricochet, requiert de développer des moyens de stockage à grande échelle. On pense aux batteries et au powertogastopower, en particulier à la production d’hydrogène. On peut produire de l’hydrogène décarboné à partir du gaz naturel (H2 bleu, décarboné à 90%) ou à partir de l’électricité qu’elle soit nucléaire (H2 jaune) ou renouvelable (H2 vert). Dans ce dernier cas, il est possible de fabriquer à nouveau de l’électricité via une pile à combustible (une voie prometteuse pour les véhicules de transport) ou éventuellement en produisant du gaz si l’on dispose d’une source de dioxyde de carbone (CO2) (principe de la méthanisation), bien que les rendements ne soient pas très bons et les coûts encore élevés.

Pour financer cela, plusieurs idées :

  • L’endettement en premier lieu, souvent difficile à formaliser lorsque l’opérateur est déjà fortement endetté, ce qui est le cas d’EDF. Bien évidemment l’État, au nom de l’intérêt général, peut apporter des dotations en capital à l’opérateur lorsque celuici est public, voire lui verser des subventions, à condition que la Commission européenne ne considère pas cela comme une distorsion de concurrence.
  • Les prix d’achat garantis FIT (pour feedin tariffs) sont une solution alternative dont les renouvelables ont bénéficié ; mais cette solution génère, par expérience, beaucoup de rentes, et coûteuse pour le consommateur puisqu’il faut augmenter les taxes pour financer le différentiel entre le prix garanti et le prix du marché de gros de l’électricité.
  • Le mécanisme des CfD (pour Contracts for Differences), comme cela a été retenu par le RoyaumeUni pour le calcul des prix de l’électricité produite par la centrale d’Hinkley Point. Aux termes de ce contrat, sur 30 ou 35 ans, l’électricité produite par la centrale est vendue sur le marché de gros. Si le prix du marché est inférieur au strike (prix de référence), l’État rembourse la différence à l’exploitant. Si le prix est supérieur, c’est le producteur qui reverse l’excédent à l’État. Les compensations se font chaque année ex-post (après les faits). L’opérateur doit donc faire l’avance des fonds, car il ne bénéficie de recettes qu’au moment du raccordement au réseau.
  • Enfin, le mécanisme de la BAR – Base d’Actifs Régulés (ou RAB pour Regulated Asset Base) qui présente de nombreux avantages. Le nouveau nucléaire pourrait être ainsi financé de la même façon que les réseaux de transport et de distribution, via le TURPE (Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Électricité) fixé par la CRE (Commission de Régulation de l’Énergie), « au fil de l’eau » (mécanisme du passthrough). Le régulateur donnerait son accord pour un programme pluriannuel d’investissements, et calculerait chaque année la BAR par rapport à laquelle est fixé le montant à récupérer sous forme de recettes pour financer l’investissement de l’année et l’amortissement en cours. Il faut y inclure, comme pour les réseaux, un taux de rendement du capital investi (WACC ou Weighted Average Cost of
    Capital). L’opérateur n’aurait pas, dans ce cas, à faire l’avance de l’ensemble ou d’une grande partie du financement, et se contenterait de lever les fonds nécessaires aux investissements annuels. Cela éviterait des intérêts intercalaires élevés et améliorerait sensiblement la trésorerie de l’investisseur. L’avantage principal est que l’investisseur est rémunéré dès le début de la construction, et n’a pas à attendre la mise en service de la centrale. Le risque est toutefois transféré au consommateur en cas de dérive des coûts. 

De nouveaux investissements vont être nécessaires, et il convient de trouver la solution la moins coûteuse pour le consommateur ; à défaut on risque un blackout, et celuici serait encore plus coûteux pour la collectivité.

DISPOSER D’UN RÉSEAU DE TRANSPORT ET DE DISTRIBUTION PILOTABLE
ET PILOTÉ

Qui dit mix électrique dit intégration d’une part conséquente de moyens renouvelables en supplément des sources actuelles essentiellement nucléaires grâce aux réseaux qui permettront d’associer efficacement base pilotable, production intermittente, et flexibilité.

La place des réseaux dans la transition énergétique

Les réseaux électriques, de transport comme de distribution, sont les médiateurs physiques entre la production et la consommation. Le rôle des opérateurs en charge, à savoir RTE (le gestionnaire du réseau de transport d’électricité) et ENEDIS, est de garantir la circulation de l’électricité tout en assurant en permanence l’équilibre entre l’électricité produite et injectée dans les réseaux et l’électricité soutirée qui alimente les consommateurs.

Or, l’architecture actuelle du réseau, adossée principalement aux parcs de production électronucléaire et hydroélectrique, n’est pas capable, en l’état, d’accompagner le développement des moyens de production renouvelables, et nécessite des adaptations. Les réseaux de transport et de distribution devront donc être densifiés et modernisés avec un coût cumulé pour les 2 sociétés d’environ 100 milliards d’Euros sur 15 ans selon les annonces de leurs dirigeants.

Non seulement le coût d’adaptation du réseau d’acheminement à un développement massif des énergies renouvelables risque d’être très élevé, mais il ne peut se penser efficacement sans un renforcement des coopérations entre les deux opérateurs RTE et ENEDIS dont l’intrication des rôles s’accroîtra avec l’éparpillement des sources et les contraintes imposées/acceptées par les consommateurs.

En effet, en fonctionnement établi, les sources de production renouvelables refoulent à travers le réseau de distribution des puissances allant jusqu’à 9 GW ! Dit autrement, les canaux de distribution renvoient, à certains moments de la journée, l’équivalent de la production en électricité renouvelable de 8 réacteurs nucléaires. A charge pour RTE de l’absorber, en respectant la contrainte en temps réel de l’équilibre du réseau. On voit que, par exemple, raccorder un parc photovoltaïque au réseau de transport plutôt qu’au réseau de distribution n’a pas le même sens économique et technique.

Se pose enfin la question de la gouvernance des réseaux. L’ensemble de la grille de raccordement électrique est performant si toute l’électricité produite est acheminée là où sont les consommateurs. Plus la grille est étendue, plus on a de chance de satisfaire ce service à tout instant.

Comme on a l’habitude de le formuler dans le monde de l’électricité, « plus la surface de la plaque de cuivre[2] est grande, meilleurs seront les foisonnements en consommation et en production ». D’où l’intérêt d’une gouvernance de cette plaque de cuivre qui dépasse les frontières de l’hexagone. Cette plaque de cuivre existe pour la partie occidentale de l’Europe, même si des renforcements sont encore nécessaires sur les réseaux de transport.

Nous pouvons donc imaginer un gestionnaire d’une infrastructure d’acheminement supranationale pour l’Europe de l’Ouest (dans un premier temps) qui améliorerait la performance du système électrique, significativement, mais qui nécessiterait une gouvernance idoine qui n’existe pas à ce jour. Si cette hypothèse fait sens d’un point de vue technique, elle est politiquement très sensible car elle relève du transfert d’une compétence essentielle à maille européenne sur la sécurité du système électrique.

La question particulière des flexibilités

Les énergies renouvelables éolienne et photovoltaïque (PV) sont synonymes d’intermittence. Leur production électrique en éolien et en PV est en effet faite de hauts et de bas : pas d’électricité photovoltaïque la nuit, et peu par mauvais temps, et rien à attendre de l’éolien quand un anticyclone est bien installé. Mais elle est également imprévisible, rendant aveugles les gestionnaires de l’acheminement et de la distribution d’électricité aux consommateurs. Or, la base pilotable largement rétrécie n’offre plus qu’une quantité minimale de production d’électricité quand le soleil et le vent sont absents. On passe ainsi d’une situation historique où la disponibilité d’électricité permettait une consommation selon les besoins à une situation où la production « soumet » le système électrique.

Dans ces situations limites où il faut trouver rapidement des leviers d’adaptation complémentaires à la puissance disponible, il sera fait appel aux flexibilités.

Ces flexibilités s’articulent autour de quatre éléments :

  • L’effacement de consommation.
  • Le stockage.
  • Des moyens de production ou de consommation pilotables réactifs.
  • Le réseau électrique européen et les interconnexions.

Les effacements existent déjà, à hauteur de 3,5 GW de puissance consommatrice, essentiellement dans le secteur industriel, et ils sont essentiels, dans la mesure où ils ont permis par deux fois d’éviter un blackout quasi certain en Europe. Reste à savoir si les incitations financières seront suffisantes pour que ces effacements gagnent significativement le marché de masse, où ce sont des particuliers qui devront accepter des coupures de chauffage… l’ADEME prévoit d’atteindre 8 GW de puissance délestée, ce qui paraît très ambitieux !

Le stockage est clé dans les scénarios massivement renouvelables. Les besoins estimés en 2050 atteignent 17 GW pour le stockage inter saisonnier, et 7 GW pour le stockage infrajournalier, selon le scénario ADEMERTE de 2017, grâce aux barrages hydrauliques et aux fameuses STEPs. Quant au stockage électrochimique dans des batteries, il est extrêmement coûteux, très impactant pour l’environnement, et peu compatible avec nos ambitions de souveraineté.

En ce qui concerne les moyens de production réactifs, il faudra toujours pouvoir compter sur quelques centrales à gaz pour compléter ponctuellement le déficit de production renouvelable, d’autant que le gaz se stocke bien. La nouveauté est la perspective de produire massivement de l’hydrogène décarboné (stockable) pour effacer les pointes de production de ces mêmes sources renouvelables, et spécialement les éoliennes.

Quant à la question de la régulation entre l’offre et la demande à chaque instant, elle est bien à porter au niveau européen. En revanche, le choix des sources d’énergie électrique demeure une question nationale. On a vu l’intérêt pour la France de poursuivre dans le nucléaire, à condition toutefois que l’acceptation publique progresse, et que l’image de performance soit restaurée.

C’est tout l’enjeu d’une vision renouvelée du nucléaire dans notre pays.

POUVOIR COMPTER SUR UNE SOURCE RENOUVELÉE D’ÉLECTRICITÉ
NUCLÉAIRE

Dans la note n°11 de Synopia, parue en décembre 2020, nous écrivions : « Il faut désormais envisager, pour la production d’électricité nucléaire en France, d’autres solutions tenant compte des leçons de l’expérience récente. »

Ces leçons sont celles des chantiers de construction des premiers réacteurs modernes, puissants et sûrs, dits EPR, en Finlande à Olkiluoto, en France à Flamanville, et en Chine à Taishan : coûts et délais dépassés pour cause de perte de compétence, mais sans doute aussi parce que trop gros (les composants chaudronnés principaux et leur assemblage sont à la limite de faisabilité), trop grands (un chantier appelant trop de main d’œuvre qualifiée sur place pendant trop longtemps), trop complexes (impossible à « risquer » par sous ensemble), trop gourmands en financement (des sommes considérables sont gelées pendant trop longtemps avant la mise en fonctionnement de la centrale). Ceci dit, ce qui est fait est fait.

De même qu’il serait irresponsable de ne pas prolonger la durée de vie des centrales nucléaires actuellement en service comme c’est le cas dans bien d’autres pays, de même, dans la mesure où l’investissement (les frais nonrécurrents) du programme EPR est derrière nous, il faut construire en priorité quelques exemplaires d’EPR de plus, dans la foulée de Flamanville (6 sont programmés).

Notre réflexion se situe donc audelà, en parallèle du paquebot nucléaire français.

Il y a aussi place pour des flottilles de taille plus raisonnable, parce qu’elles peuvent être largement préfabriquées par une industrie ad hoc, plus facilement appréhendables et appropriables par le citoyen du fait de leur taille et de leur lisibilité, plus sûres, et à délai de mise en service réduit.

Depuis l’accident de Tchernobyl, puis, 25 ans plus tard, suite au tsunami qui a affecté la centrale de Fukushima, la fusion des radioéléments combustibles n’est plus une hypothèse invraisemblable. Bien que, dans les deux cas, les causes ne soient pas intrinsèques au procédé, on a choisi d’introduire à partir de l’EPR un dispositif nouveau, surnommé « le cendrier », destiné à en contenir les effets. Avec le renforcement des sources d’énergie et autres circuits de secours, ce « cendrier » a fortement contribué à l’inflation du génie civil et de l’environnement de l’îlot nucléaire proprement dit (réacteur de production de vapeur et turbines la transformant en électricité), au point que le coût de ce système principal ne représenterait plus que 25 % du coût total de l’EPR !

Preuve semble être faite que l’idée de base qui a présidée aux choix successifs dans l’histoire des générations de réacteurs nucléaires, à savoir une course à la densité de puissance de la source d’énergie ellemême, a atteint ses limites quelque part audelà du GW de puissance unitaire.

D’où un changement de paradigme économique majeur à prévoir pour la filière, né il y a une dizaine d’années, avec les projets toujours plus nombreux de par le monde de « SMR » :

  • Petit, afin de détendre la contrainte de densité de puissance. On ouvre ainsi la voie à toute une série de simplifications de la construction, comme des dispositifs destinés à renforcer la sécurité. Et l’expérience des réacteurs compacts de la propulsion nucléaire de nos sousmarins donne accès à des dessins de chaufferies à sécurité thermique passive encore plus simples et intrinsèquement sûres.
  • Modulaire, c’est à dire séparable en sousensembles physiques fonctionnellement cohérents, c’estàdire que l’on puisse tester et accepter comme bons pour le service, indépendamment les uns des autres. On peut ainsi répartir leur réalisation dans différentes usines ce qui permet de réduire considérablement la durée des travaux d’assemblage final, et de risquer la phase de chantier.

C’est l’école moderne du design to build, la contrainte de constructibilité prenant le pas sur l’optimisation de la performance. On sait que le supplément de dépenses d’industrialisation nécessaire pour ce faire n’est amorti qu’à partir d’une certaine taille de série à produire. Cette modularité est donc totale dans l’industrie automobile, très développée dans l’aéronautique, plus récente, mais réelle, dans le naval civil (navires de croisière) ou le militaire (frégates), et encore partielle pour la réalisation des sousmarins à propulsion nucléaire.

C’est pourtant le constructeur américain General Dynamics qui publiait il y a une quinzaine d’années une étude interne montrant que le même travail de montage réalisé dans un sousmarin coque assemblée nécessitait 8 fois plus d’heures d’ouvriers que fait sur un module en atelier spécialisé et embarqué ultérieurement !

Le projet de SMR le plus avancé est le fait d’une société d’ingénierie américaine privée, avec un début de mise en service en 2023. Il s’agit d’une grappe de 12 unités de 60 MW électriques destinées à remplacer des générateurs au charbon dans l’Idaho. Il est largement soutenu par le Département Américain de l’Énergie.

Le projet français de « petit » réacteur modulaire

La team France a du retard au démarrage sur le sujet sans doute à cause des déboires de l’ex groupe Areva et des difficultés de positionnement dans le concert européen du groupe EDF mais les participants rassemblés officiellement depuis 2017 autour d’EDF, à savoir le CEA, Naval Group et TechnicAtome ont une expérience d’avance sur les autres avec la maîtrise d’œuvre avec succès des réacteurs embarqués.

Il n’y a donc rien d’étonnant que son projet baptisé « Nuward » soit constitué de deux chaudières nucléaires « compactes », c’est à dire à générateur de vapeur intégré, installées chacune dans un conteneur métallique de confinement en immersion aquatique. Le tout forme une centrale de production d’électricité d’une puissance de 340 MW tout de même.

Pensé au départ pour l’exportation et l’alimentation en électricité de sites isolés, le projet Nuward a pris récemment une nouvelle dimension avec un début de financement étatique de 50 M€ dans le cadre du plan de relance de 2020, et l’annonce par EDF en mai dernier de la mise en place d’une équipe dédiée et des priorités afférentes. Mais surtout, le développement pour une entrée en service opérationnel dès les années 2030 d’un petit réacteur modulaire a été confirmé tout récemment par le Président de la République dans le cadre du plan France 2030.

Il est maintenant temps d’intégrer au côté de l’EPR cette solution dans l’éventail des moyens de production d’électricité et d’hydrogène vert sur le territoire national. L’implantation de champs de 4, voire 6 ou 8 duo Nuward dans les sites actuels, ou même de nouveaux sites, constitue une solution à nos besoins qui présente d’énormes avantages d’adaptabilité au terrain, de lissage de financement, de diminution et de répartition des risques, de souplesse de déploiement, de flexibilité d’emploi. Il s’y ajoute une emprise au sol modulaire et raisonnable : quelques hectares par duo Nuward vs 30 à 80 ha par GW installé avec les centrales actuelles.

Le choix du small and simple is beautiful engage notre pays dans la voie d’un véritable remodelage de son écosystème nucléaire, lui mettant par la même occasion le pied à l’étrier de la 4ème génération de réacteurs de la façon la plus opportune qui soit. En effet, les projets SMR de par le monde incluent des avancées vers des plus hautes températures de fonctionnement très utiles pour la production massive d’hydrogène décarboné, et aussi vers les réacteurs à neutrons rapides de dimension raisonnable indispensables pour brûler la plus grande part des déchets produits par les centrales actuelles, et accéder ainsi à une quasi autonomie en combustible. La France doit être présente dans ce futur plus lointain.

Il y a un peu plus de deux ans, nous plaidions dans ces colonnes pour une accélération du programme hydrogène en particulier pour remplacer les moteurs thermiques et compléter les batteries dans la mobilité terrestre et maritime. À l’époque le ministère concerné était fier des 50 à 100 M€ mis en place sur ce sujet, nous rappelant l’effort proche du milliard en faveur de la production de batteries « françaises ». Exactement un an plus tard, le gouvernement annonçait avec le plan de relance l’allocation de 7 milliards € pour le développement de la filière hydrogène.

Gageons que, même si notre administration n’est pas toujours capable d’empêcher le politique de se fourvoyer sur les intérêts long terme du pays, elle saura là entendre la voix du bon sens, et jouer son rôle d’expertise en faveur d’une décision publique urgente pour notre avenir.

Ce sera, in fine, aux Français de trancher en faveur de ce nouveau nucléaire, pourvu que la question soit bien instruite et les solutions correctement présentées.

Téléchargez le rapport au format PDF ici.

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