L’avenir du projet européen pour la paix

Mis en ligne le 13 Déc 2022

L’avenir du projet européen pour la paix

Le choc de la guerre en Ukraine amorce une métamorphose stratégique et géopolitique pour l’UE et soulève la question de l’écho de cette mutation sur le projet européen pour la paix. S’appuyant sur une mise en perspective historique comme sur les visions françaises et allemandes récemment développées, l’autrice aborde cette question clef de la compatibilité entre affirmation d’une souveraineté stratégique et fidélité aux valeurs de paix portés par l’Europe.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.

Les références originales de cet article sont : Tara Varma, «L’avenir du projet européen pour la paix. », ECFR. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de l’ECFR.

Depuis le 24 février 2022 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, on pourrait dire que l’Union européenne (UE) a commencé sa métamorphose en acteur et pourvoyeur de sécurité, en fournissant à Kiev – qui n’est membre ni de l’UE ni de l’OTAN – des armes de guerre, en plus des instruments de la boite à outils traditionnelle de l’UE, soit de l’aide financière, matérielle et humanitaire. Ces efforts doivent encore être poursuivis, approfondis et mis en œuvre de manière encore plus concrète, comme le soutiennent mes collègues ici, mais le chemin parcouru depuis le début du projet européen doit être souligné. La notion même de politique étrangère et de sécurité européenne peut sembler contraire à la genèse du projet initial, qui visait à créer un état de « paix perpétuelle » sur le continent, après le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste. Ce qui a commencé comme un projet de coopération économique – avec la notion de paix toujours au cœur de celui-ci, puisque l’idée était d’assurer l’état de cette paix par une interdépendance économique dont les fondateurs espéraient qu’elle dissuaderait tout membre d’entrer en guerre avec un autre – s’est transformé, au fil des élargissements et des succès économiques, en un projet politique et maintenant géopolitique.

Il sera crucial pour l’UE de se rappeler et de s’assurer que ses ambitions géopolitiques restent au service d’un projet de paix et pour la paix. Lorsque l’UE a pris la décision sans précédent de livrer des armes létales à l’Ukraine, elle a répondu de manière inédite à la question suivante : « quelle est la meilleure action à entreprendre pour aider l’Ukraine ? », puisque pour agir conformément à l’éthique et aux principes européens, il était nécessaire d’être du côté de l’Ukraine. De ce fait, l’UE vit un changement de paradigme car elle est en train de définir son éthique de la paix au XXIe siècle. La guerre en Ukraine n’a pas rendu le projet européen de paix obsolète, bien au contraire, elle l’a obligé à quitter son îlot kantien et à définir et défendre son propre intérêt. Dès le 24 février, il est devenu clair qu’afin de respecter son éthique et son intérêt, l’UE se devait d’agir en faveur de l’Ukraine dans ce conflit.

Alors que l’UE traverse cette transformation, un débat est en cours au sein des dirigeants de l’Union sur la meilleure façon de l’accompagner. Le discours que le chancelier allemand Olaf Scholz a prononcé à Prague le 29 août 2022 se voulait une explication du « Zeitenwende » – « tournant » en allemand – annoncé dans les quelques jours qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et a été perçu comme une approche nouvelle des priorités de la politique étrangère et de sécurité allemande, à savoir la possibilité pour l’Allemagne d’être un fournisseur de sécurité plus important, à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE. A cette occasion, le chancelier a déroulé une vision pour une Europe plus large et plus puissante : élargissement à l’est, déplacements sans visa, et changement dans la prise de décision sur la fiscalité, les sanctions, le vote sur les droits de l’homme, la politique étrangère pour surmonter les divisions internes et faire face aux menaces externes. On peut s’attendre à ce que la vision présentée par Scholz soit détaillée dans la publication prochaine de la stratégie de sécurité nationale de l’Allemagne. Olaf Scholz a également indiqué que, selon lui, le centre de gravité de l’Europe « s’est déplacé vers l’est ». Depuis, les annonces faites par le gouvernement allemand du plan de soutien énergétique à hauteur de 200 milliards, le refus du plafonnement des prix du gaz et le maintien du voyage du chancelier en Chine ont fait couler de l’encre sur la capacité de l’Allemagne à exercer un leadership européen, si nécessaire alors que la guerre fait rage sur le continent depuis plus de neuf mois.

Emmanuel Macron, quant à lui, a également prononcé un discours destiné à démontrer sa vision du rôle de la France et de l’Europe dans le monde, dans lequel la souveraineté européenne est présentée comme un nouveau cadre de référence pour la réflexion politique et la prise de décision sur le continent. Il a fait référence au discours de Scholz à plusieurs reprises, soulignant qu’ils défendent la même logique : « nous avons changé l’Europe », a-t-il déclaré. L’Europe a été le fil conducteur du discours du président de la République. Il a également promis de maintenir l’unité européenne, affirmant que nous ne pouvions pas laisser la Russie gagner la guerre » et que nous devions donner à l’Ukraine la possibilité de gagner la guerre et de créer les conditions nécessaires à une « paix négociée ». Il a ajouté que « l’unité européenne est essentielle car la division est l’un des objectifs de guerre de la Russie ».

Les deux discours ont salué les efforts accomplis en matière de défense européenne et M. Macron a affirmé avec force que l’Europe n’était pas un substitut à l’OTAN, mais au contraire un pilier essentiel de l’OTAN.

Les visions de Scholz et de Macron convergent sur la souveraineté européenne – comprise comme un cadre de référence et le principe directeur de l’action européenne interne et externe pour gérer les interdépendances, l’accès aux réseaux et infrastructures critiques, protéger et développer les chaînes de valeur/production et défendre un ordre fondé sur des règles -, sur le renforcement de la défense européenne et sur la communauté politique européenne (CPE), qu’ils semblent concevoir comme un forum pour discuter des questions clés pour le continent : sur la sécurité, l’énergie, le climat, la connectivité. Pour M. Macron, la CPE devrait permettre de rassembler les Européens, au-delà du format de l’UE, avec une acceptation européenne plus large, incluant la Norvège et le Royaume-Uni, par exemple. Ce point de vue est apparemment partagé par les pays désireux d’adhérer, puisque le Royaume-Uni et la Moldavie auraient proposé d’accueillir la deuxième réunion du CPE. La première réunion s’est tenue le 6 octobre à Prague.

Si le CPE est conçu comme l’un des vecteurs de l’avenir du projet européen, il convient de préciser qu’il sera au service du projet de paix. Ce projet est en cours de réinvention afin d’être mieux équipé pour faire face aux défis à venir tels que les possibles récessions dans l’UE, les pénuries énergétiques, le maintien de l’unité européenne et transatlantique face aux efforts croissants pour la saper, les batailles militaires à ne pas perdre en Ukraine, et les conflits imminents aux frontières de l’Union. Si l’UE a reconnu que le monde est hobbesien, elle devrait réaffirmer d’autant plus fermement ses principes directeurs : construire sa souveraineté dans des domaines clés – économie, santé, climat, numérique, énergie, alimentation et politique étrangère – défendre le multilatéralisme et un ordre international fondé sur des règles.


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