La Chine face aux changements climatiques : une quête d’influence et de puissance écologiques

Mis en ligne le 21 Déc 2023

La Chine face aux changements climatiques : une quête d’influence et de puissance écologiques

La Chine est à la fois un des premiers émetteurs de gaz à effet de serre, conséquence de son essor économique, mais également un des premiers producteurs d’énergie décarbonée. Ce paradoxe apparent souligne la finalité stratégique que constitue désormais l’inscription de Pékin au cœur des enjeux industriels et technologiques de la transition énergétique. Avec ce papier, les auteurs analysent une triple quête d’influence diplomatique, de leadership économique et de puissance militaire poursuivie par la Chine.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.

Les références originales de cet article sont : Marine de Guglielmo Weber, Yente Thienpont, Gabriel Bonnamy, « La Chine face aux changements climatiques : une quête d’influence et de puissance écologiques », IRIS. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur l’IRIS.

Cette note sur la quête d’influence et de puissance écologiques de la Chine face aux changements climatiques se divise en trois parties : une première partie consacrée à l’instrumentalisation de l’information climatique à des fins politiques et diplomatiques ; une deuxième partie consacrée au leadership économique que la Chine cherche à développer dans le cadre de l’atténuation et de l’adaptation face aux changements climatiques ; et enfin, une troisième partie consacrée à l’utilisation par la Chine des opérations HADR (Humanitarian Assistance and Disaster Response) en tant qu’outil d’influence et de puissance militaire.

Une quête d’influence diplomatique

Les deux dernières décennies sont marquées par l’essor de la Chine parmi les grandes puissances économiques mondiales. Cet essor s’est traduit par une forte hausse de ses émissions de gaz à effet de serre (GES), qui l’ont conduit à devenir le premier émetteur mondial, émettant 30 % de la totalité des GES de la planète. Paradoxalement, ces deux décennies sont également marquées par une prise en compte croissante des enjeux environnementaux par la Chine – on verra notamment apparaître, dans la Constitution de 2012 du Parti communiste chinois, le concept de « civilisation écologique » – et par une montée en puissance de la Chine dans les discussions internationales sur le climat : celle qui était encore perçue, à la COP15 de Copenhague, comme une puissance bloquante des accords devient, à la COP21, puissance facilitatrice et indispensable de l’Accord de Paris.

Le renforcement de l’influence discursive de la Chine au sein de la gouvernance mondiale du climat est en effet devenu l’une des principales priorités diplomatiques du Parti communiste chinois (PCC). Cette influence se fonde très largement sur le principe de responsabilité commune, mais différenciée (PRCD) qui va imprégner les prises de parole des autorités chinoises comme les productions médiatiques, et être repris dans le livre blanc de 2021. Le PRCD est au coeur de la stratégie chinoise de leadership des pays en développement, stratégie fondée sur deux piliers : mettre en évidence les failles de la prise en charge occidentale du problème climatique, et faire de la Chine une « grande puissance responsable » parmi les États en développement. Cette stratégie s’appuie par ailleurs sur une promotion de l’adaptation des États les plus vulnérables, axe très largement négligé par l’Occident, qui tend à privilégier l’atténuation.

Une quête de leadership économique

Les changements climatiques constituent pour la Chine une opportunité de développer sa puissance économique en investissant les différentes étapes des chaînes de valeur des technologies liées aux énergies renouvelables. Pour soutenir cette ambition, Pékin cherche à promouvoir ces politiques de transition à l’international et à s’ériger en exemple, notamment à travers des projets d’envergure internationale qui lui donnent des plateformes pour exercer son influence. Dans ce cadre, l’adaptation, pilier central de la lutte informationnelle chinoise contre l’Occident, est également au centre d’un certain nombre d’initiatives. La Chine propose ainsi son aide dans la construction d’infrastructures adaptées et résilientes aux changements climatiques.

Dans sa quête de puissance, la Chine développe par ailleurs des ressources bas-carbone, dont dépendent, de manière croissante, les autres puissances. Elle s’est ainsi placée en leader sur les marchés des métaux critiques, terres rares et des énergies vertes, indispensables à la transition énergétique. En 2022, le pays était le premier raffineur de métaux et en 2023, il représentait la plus grande réserve de terres rares. Puissance incontournable sur le marché des énergies dites « vertes », la Chine domine par ailleurs l’exportation de panneaux solaires, d’éoliennes, mais aussi des composants des batteries lithium. Cette dépendance à la Chine est d’autant plus forte qu’elle a le contrôle d’infrastructures critiques à travers le monde, potentiellement utilisables pour favoriser sa propre économie ou mettre sous pression des États.

Une quête de puissance militaire

Depuis 2000, la Chine est l’un des cinq premiers fournisseurs d’aide humanitaire étrangère parmi les États non-membres de l’OCDE. Dans cette perspective, la vulnérabilité climatique croissante d’un certain nombre d’États, au premier chef desquels les pays insulaires en développement, apparaît comme une opportunité de taille pour l’expansion du soft power chinois par l’aide humanitaire. Sa proactivité dans l‘aide humanitaire est particulièrement bien reçue dans l’Indopacifique et les pays en développement. La Chine capitalise sur le ressentiment qu’ont certains de ces pays à l’encontre des États-Unis et l’Europe, jugés comme consacrant trop de ressources à la guerre en Ukraine au détriment de leurs besoins en développement.

Si les missions HADR sont le vecteur d’un élargissement et d’un renforcement des relations diplomatiques de la Chine, elles sont également le vecteur d’une extension de sa puissance militaire. Aussi les catastrophes climatiques peuvent-elles constituer, pour la Chine, une opportunité pour le déploiement de ses forces armées en territoire étranger, la mise à l’épreuve de ses compétences opérationnelles, le développement de nouvelles capacités en coopération avec d’autres armées, la conduite d’opérations de renseignement ou bien encore, l’implantation de sa présence physique sur des territoires étrangers. La montée en puissance de la Chine en tant que puissance HADR constitue également une opportunité pour l’occupation de territoires revendiqués, à l’instar de Taïwan. L’intensification des aléas météo-climatiques sur le territoire pourrait à terme justifier une intervention de la Chine, et lui permettre d’y réaffirmer sa revendication de souveraineté.

L’implication de la Chine dans des missions HADR est plus généralement conditionnée par ses intérêts politiques et géostratégiques, celle-ci peinant à dissocier la problématique humanitaire de dynamiques géostratégiques d’influence et de puissance. La priorisation de ces intérêts dans le cadre du secours à des populations frappées par des catastrophes peut affecter l’efficacité des opérations HADR, la qualité du secours apporté, voire entraver l’aide aux populations au profit d’intérêts d’influence et/ou de puissance. Dans ce contexte, les changements climatiques pourraient bénéficier à une instrumentalisation croissante, par la Chine, du contexte de plus en plus récurrent d’urgence environnementale.

Infographies : les chiffres de la responsabilité climatique à l’échelle internationale

Infographies : les chiffres de la responsabilité climatique à l’échelle internationaleLa question de la responsabilité des États vis-a-vis des changements climatiques est un pilier important des discours d’influence sur la scène internationale. Cette responsabilité est principalement mesurée par les émissions nationales de gaz à effet de serre (GES) : le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O) et l’ozone troposphérique (O3). Pour des questions de disponibilité et d’actualité des données, seules les émissions de CO2 sont prises en compte dans les infographies suivantes. Bien que celui-ci soit le principal gaz à effet de serre, la prise en compte d’autres GES, notamment du méthane, peut significativement changer l’appréhension chiffrée de la responsabilité climatique des États, par exemple en majorant la responsabilité d’ États tels que l’Inde ou le Brésil.

Ces chiffres prennent en compte les émissions de dioxyde de carbone provenant de l’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz (combustion et processus industriels), du torchage du gaz et de la fabrication du ciment. Les émissions liées à l’usage des sols et la gestion des forêts ne sont pas prises en comptes. Il s’agit par ailleurs d’émissions territoriales et non associées aux importations. Sur la base des émissions de dioxyde de carbone totales en 2021 (a), la Chine apparaît comme le premier émetteur mondial, loin devant les États-Unis, l’Inde, la Russie et le Japon. Sur la base des émissions de dioxyde de carbone par habitant, ni les États-Unis (15,09 t CO2) ni la Chine (8,12 t CO2) ne font partie des dix plus gros émetteurs en 2021. Les États-Unis sont en onzième position, et la Chine à la 27e position, après le Canada (13e). la Russie (17e), le Japon (24e), la Belgique (25e) ou encore l’Allemagne (26e). La France est 60e avec 4,53 t CO2). La répartition des émissions de dioxyde de carbone, autrement dit de la responsabilité climatique des États, peut encore ouvrir la voie à des interprétations différentes selon que l’on se penche sur les émissions de l’année 2021, ou que l’on se penche sur les émissions cumulées, ou historiques. Celle s-ci font apparaître les États-Unis comme le premier émetteur historique, juste avant la Chine et la Russie. Par ailleurs, plusieurs pays d’Europe apparaissent en tête de classement : l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l’Ukraine.

Les pays indiqués en rouge sur cette carte (e) sont des importateurs nets d’émissions : ils importent plus de CO2, par le biais des échanges de biens commerciaux qu’ils n’en exportent. Les pays indiqués en bleu sont quant à eux des exportateurs nets d’émissions, c’est-à-dire qu’ils exportent plus de CO2 par le biais des échanges de biens commerciaux qu’ils n’en importent. Sur cette carte, les États-Unis sont une valeur de 10,21%, ce qui signifie que leur importation nette de CO2 équivaut à 10,21 % de leurs émissions nationales. Ainsi, les émissions liées à la consommation des États-Unis sont 10,21 % plus élevées que les émissions basées sur leur production. Au contraire, la Chine se voit attribuer une valeur de -8,42 %, ce qui signifie que les émissions liée s à sa consommation sont 8,42 % moins élevées que les émissions basées sur sa production. Cette carte met en évidence un contraste est­ ouest : la plupart des pays d’Europe occidentale, des Amériques et de nombreux pays africains sont des importateurs nets d’émissions, tandis que la plupart des pays d’Europe de l’Est et d’Asie sont des exportateurs nets.


Carte des émissions de dioxyde de carbone liés aux échanges commerciaux
Carte : la puissance HADR chinoise


Carte : la puissance HADR chinoise
 


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