Édito n° 117/39 du 28 novembre 2024

« La guerre est horrible, mais la servitude est pire. »
Winston Churchill, homme d’état et écrivain britannique (1874-1965)

Vers un pat stratégique en Ukraine ?

Le feu vert américain, tardif et limité, sur l’utilisation d’armes à longue portée en Russie, fait comme réponse au déploiement de troupes nord-coréenne côté russe. Certains ont pu y voir une mesure prise avec retard, à l’instar de la fourniture de chars lourds, puis d’avions de combat occidentaux. Il est vraisemblable qu’il traduise surtout l’entrée dans une perspective de cessez-le-feu, à plus ou moins longue échéance, que la future mise en place d’une administration Trump ne devrait qu’accélérer.

En promettant de mettre un terme rapide au conflit, Donald Trump incite les belligérants, et leurs soutiens, à redoubler d’efforts et de prises de gages pour aborder de futures négociations dans les meilleures conditions possibles. Son émissaire désigné pour l’Ukraine, Keith Kellog, a d’ailleurs naguère préconisé que l’aide militaire américaine soit conditionnée à la participation de Kiev à des « pourparlers de paix avec la Russie ». Et pour mieux convaincre Vladimir Poutine de participer à ces pourparlers de paix, il a également appelé à un report prolongé de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.

On peut regretter l’annonce inopportune du prochain locataire de la Maison Blanche, dans la forme et sur le fond, qui écorne l’incertitude stratégique sur les intentions de Washington. On ne peut que constater toutefois qu’elle fait écho, à ce dernier égard, à celle plus ancienne du président encore en exercice, annonçant qu’aucun soldat américain ne serait déployé sur le front.

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La question ukrainienne, et au-delà, la confrontation avec la Russie, n’est pas la priorité stratégique des Etats-Unis. Ils se satisferaient donc d’une situation à la coréenne en Ukraine, avec deux camps qui n’auraient certes pas atteint les objectifs stratégiques affichés, mais qui pourraient revendiquer des avancées substantielles. Un gain de territoires pour la Russie, mais pour partie dépeuplés, et au prix de pertes humaines démesurées. Une sortie de Kiev de l’orbite politique de Moscou, peut être assortie d’une forme de neutralité temporaire, appuyée quoiqu’il en soit sur des garanties de sécurité fiabilisées et sur un ciment national renforcé, au prix également d’une saignée profonde et de destructions majeures.

Ce scenario vraisemblable se dessine depuis l’échec de l’offensive ukrainienne du printemps 2023, et peut être même depuis que la position de Kiev, ravivée par les succès de l’automne 2022 et par les conseils risqués de certains de ses soutiens, a semblé alors dénier la réalité du rapport de forces et écarter des opportunités de négociations.

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La messe n’est pas encore dite, et la dialectique des volontés peut conduire le cours de la guerre à sortir de ce sillon où les forces en présence, leur rapport comme certaines des intentions affichées, semblent la canaliser.

Pour autant, le conflit en Ukraine dépasse déjà largement par ses conséquences le cadre des plaines du Donbass, et ses répercussions bouleversent la tectonique des plaques géopolitiques, en Asie et en Europe plus particulièrement.

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La solidarité atlantique, renforcée jusqu’alors par l’agression russe, résistera-t-elle aux exigences attendues de la nouvelle administration américaine. D’autant que ces exigences accrues seront conjuguées au regret latent de n’avoir, in fine, donné aux Ukrainiens que les moyens de ne pas perdre la guerre, face au risque de conflit direct avec une puissance nucléaire ?

Les Européens vont-ils résolument sortir de la croyance à cette « Fin de l’Histoire » pourtant conceptualisée outre-Atlantique ? Alors que le décrochage économique de l’UE est souligné par des voix toujours plus nombreuses, l’émancipation stratégique de l’Union peine, tarde à se manifester. La perspective d’être considéré par le protecteur américain, non plus comme des alliées, mais comme des vassaux, sinon des clients, au sens romain du terme, est-elle à exclure ?

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Un monde qui se désoccidentalise, et la guerre en Ukraine en constitue à la fois le révélateur et l’accélérateur.

L’axe, voire la hantise stratégique visant à empêcher la constitution d’une puissance continentale euroasiatique contestant la primauté de la puissance maritime dominante, Royaume-Unis jadis, Etats-Unis aujourd’hui, pourrait-elle se muer en cauchemar stratégique pour Washington ? Certains analystes ne sont pas loin de le penser, s’appuyant sur le rapprochement entre Chine et Russie, à la faveur du conflit en Ukraine, avec de surcroît le concours d’autres contestataires majeurs de l’ordre international que sont la Corée du Nord et l’Iran.

Et au-delà des dimensions géopolitiques, mais également géoéconomiques, illustrées par les « BRIC+ », ce sont bien les modèles et les valeurs de l’Ouest qui ne sont plus les seuls portés par l’Histoire, une Histoire qui s’écrit de plus en plus ailleurs et autrement.

Un monde qui entre donc dans une période de turbulences et de changements comme l’a encore déclaré Xi Jinping au dernier sommet du G20, et la politique isolationno-protectionniste de la future administration américaine risque d’ailleurs d’y contribuer.

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Le pat stratégique vraisemblable en Ukraine devrait ainsi s’inscrire dans une perspective planétaire de turbulences et de changements, une perspective planétaire de paix menacée. L’Europe ne pourra faire face à cette perspective planétaire de paix menacée, ne pourra sauvegarder sa quintessence même, qu’en décidant de se préparer à la guerre, pour espérer l’éloigner.

Les Etats-Unis manifestent, au travers de l’élection de Donald Trump, leur fatigue à exercer un leadership international, à assurer plus avant la Pax americana. Les solides garanties de sécurité qui devront accompagner, in situ, un futur cessez-le-feu en Ukraine, pourraient bien placer l’Europe, ou un noyau dur de nations européennes, face à cet immuable paradoxe, si vis pacem, para bellum, et lui offrir ainsi l’opportunité d’un salutaire sursaut !

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En ce mois de novembre 2024, nous vous proposons un nouveau bouquet de six papiers de réflexion stratégique.

Avec « Impasse stratégique américaine en Eurasie ? », Jean-Claude Allard prend appui sur la théorie du « Heartland », mise en exergue par les travaux de différents géopoliticiens, et sur l’adhésion qu’y manifestent les Etats-Unis. Son papier ainsi illustré met en perspective historique et géographique la manœuvre stratégique globale américaine en Eurasie, depuis les origines des Etats-Unis. Le conflit actuel en Ukraine, et ses conséquences dans la région eurasienne, sont ensuite éclairés, à l’aune de cette mise en perspective et des mouvements tectoniques géopolitiques à l’œuvre en Asie, entre Russie, Chine, Corée du Nord et Iran, singulièrement. Un papier issu de lIRIS.

Une nouvelle administration Trump se prépare à prendre les rênes du pouvoir aux Etats-Unis, et le sujet « Climat », comme le sujet associé « Energie », suscitent de profondes interrogations par le monde, et en Europe plus particulièrement. Le papier « La transition écologique européenne à l’ère Trump » aborde ses interrogations et souligne trois points à privilégier pour préparer l’UE à de vraisemblables fortes turbulences sur ces sujets : l’accord de Paris et sa protection, la transformation industrielle liée à la transition écologique et énergétique, la réduction des dépendances aux hydrocarbures américains. Trois points que Neil Makaroff aborde dans une perspective de nécessaire montée en puissance d’une autonomie européenne en matière d’industrie et d’énergie. Un papier issu de la Fondation Jean Jaurès.

Le papier « En cybersécurité, la principale vulnérabilité des États-Unis, c’est leur propre système », sous forme d’entretien, décrit et interprète les politiques menées par l’administration Biden en matière de cybersécurité et d’enjeux numériques (en rappelant les principaux instruments associés) pour mieux apprécier la particularité de la puissance américaine dans le cyberespace. Stéphane Taillat pointe ce paradoxe, pour lui majeur, entre la supériorité à l’échelle globale et les vulnérabilités à l’échelle nationale. Il replace cette analyse des politiques relatives au cyberespace, à la cybersécurité ou à la numérisation dans une perspective historique et souligne combien elles sont emblématiques de la politique étrangère et de sécurité nationale menée par les États-Unis. Un papier issu de l’IHEDN.

La numérisation des activités humaines, et en particulier des échanges économiques, sociaux et sociétaux, soulève des défis globaux et communs aux états, quels que puissent être leurs modes de gouvernance et cultures sociales ou sociétales. Le papier « Législation numérique : convergence ou divergence des modèles ? Un regard comparatif Union européenne, Chine, États-Unis”, par Aifang MA, propose une approche comparée des législations numériques en vigueur au sein de l’Union européenne, des États-Unis et de la Chine. Une approche qui met en lumière trois modèles, au regard de la gestion et du développement des technologies numériques, trois modèles imprégnés des cultures politiques des pays ou union de pays considérés, mais pour lesquels ce critère « régime politique » ne constitue pas pour autant le seul et unique prisme d’approche pertinent. Un papier issu de la Fondation Robert Schuman.

Les attaques menées par les Houtistes en mer Rouge depuis la fin 2023 constituent un renversement des rapports de forces que Alexandre Lauret s’attache à analyser. Outre une mise en perspective historique, « Les Houtistes et la mer Rouge » aborde ce renversement des rapports de forces à des échelles géographiques tant locales, régionales qu’internationales. L’auteur considère et interroge également les perceptions et représentations de la mer Rouge au sein de ces groupes houtistes, mais également les finalités recherchées ou les récits déployées, comme autres clefs de compréhension. Un papier issu de l’IRSEM.

Alors que l’ombre portée du nucléaire militaire concerne deux conflits majeurs en cours, en Ukraine voire au Moyen-Orient, ce papier sous forme d’entretien offre des repères indispensables pour aborder cette problématique. Le papier « Le nucléaire militaire et ses trois âges », sous forme d’entretien avec Paul Zajac, Directeur des affaires stratégiques au sein de la Direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, remet en contexte historique ce fait stratégique majeur que constitue le nucléaire militaire et l’inscrit au sein de trois âges, permettant ainsi d’en saisir les continuités et transformations, notamment au regard des doctrines ou des techniques associées. La particularité française, la question de l’articulation entre dissuasion nucléaire et moyens conventionnels, mais également le principe même de dissuasion sont également abordés. Un papier issu de la revue Vortex du CESA.

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Quelques mots pour vous signaler la toute prochaine disponibilité d’une nouvelle version, complétée, du MOOC Questions Stratégiques du Cnam, avec le soutien du SGDSN, et pour vous inviter à réserver la date du 16 janvier 2025, avec la tenue d’une conférence sur la dimension stratégique des Fonds marins, en partenariat avec le Centre d’Études Stratégiques de la Marine. Nous reviendrons d’ici peu sur ces deux points.

Et bien entendu, nous vous donnons également rendez-vous courant décembre 2024, pour une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

 

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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