Les actions récentes de « décapitation » de groupes armées au Moyen-Orient soulignent l’intérêt du questionnement proposé par le présent papier. En s’inscrivant dans une large perspective historique et géographique, l’auteur analyse tout d’abord l’incertitude successorale qui affecte les organisations « décapitées ». Il s’interroge ensuite sur les impacts de telles actions d’éliminations ciblées des dirigeants, en termes de durabilité, de pérennité des organisations affectées. Le papier expose ensuite le contraste des résultats démontrés par les diverses études scientifiques menées sur ce sujet.
Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.
Les références originales de cet article sont : Arthur Stein, « L’élimination ciblée des dirigeants de groupes armés : un coup fatal ? », IHEDN, note d’analyse du Département des études et de la recherche. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de l’IHEDN.
La lutte contre des groupes armés non étatiques passe souvent par la mise hors d’état de nuire de leurs dirigeants. De nombreux
exemples irriguent la période contemporaine. Oussama ben Laden et Ayman al-Zawahiri, dirigeants successifs d’Al-Qaida, sont ainsi neutralisés par les États-Unis en 2011 et 2022 respectivement. Cette tactique de ciblage de la tête est fortement revenue dans l’actualité dans les mois récents, à la suite de l’élimination par Israël de plusieurs chefs du Hamas palestinien et du Hezbollah libanais. S’appuyant sur une littérature académique fournie sur le sujet, cette note d’analyse s’intéresse aux conséquences de ce ciblage pour la survie des groupes visés. Les résultats sont de manière générale hautement contrastés, avec une absence de consensus scientifique concernant les répercussions d’une telle entreprise contre-insurrectionnelle.
Le 2 mai 2011, près de dix ans après les attentats du 11 septembre 2001, une opération des forces spéciales américaines mène à l’élimination d’Oussama ben Laden à Abbottabad au Pakistan. Le 31 juillet 2022, alors qu’elle s’est retirée d’Afghanistan moins d’un an plus tôt, l’armée américaine neutralise le successeur de ben Laden à la tête d’Al-Qaida (AQ), Ayman al-Zawahiri, par une frappe de drone à Kaboul. Le mouvement djihadiste n’en demeure pas moins opérationnel aujourd’hui, avec, en 2024, plusieurs des groupes lui étant affiliés parmi les plus actifs au monde.
L’élimination de dirigeants de haut niveau pour affaiblir une organisation armée n’est pas une tactique nouvelle. Parmi nombre d’actions
visant à démanteler la rébellion communiste au Vietnam, les États-Unis arrêtent et éliminent par exemple beaucoup de ses cadres dans le contexte du très controversé programme Phoenix. Les moyens utilisés par les États varient. Telle celle d’al-Zawahiri, le ciblage d’un idéologue important d’AQ dans la péninsule arabique (AQPA), Anwar al-Awlaqi, se fait par une frappe de drone en 2011. Telle celle de ben Laden, l’élimination du chef de l’État islamique (EI) Abou Bakr al-Baghdadi en Syrie est opérée par des forces spéciales américaines déployées directement au sol en 2019. Si la première méthode vise la seule létalité, la seconde peut, si les conditions le permettent, mener à la capture de la personne poursuivie. Une arrestation présente l’avantage de permettre d’interroger les individus et donc de récolter d’éventuels renseignements.
La question du ciblage de dirigeants non étatiques, souvent qualifié de leadership decapitation en anglais, est largement revenue dans le débat public à la faveur de l’épisode de guerre débuté en octobre 2023 au Moyen-Orient. Israël a neutralisé de nombreux décisionnaires du Hamas palestinien, y compris Ismaël Haniyeh, le chef du bureau politique de l’organisation qui se trouvait alors à Téhéran, puis Yahya Sinouar, son successeur, qui était lui à Gaza. Israël a, de même, éliminé de multiples cadres du Hezbollah libanais. Le coup le plus direct porté à la hiérarchie du mouvement chiite est la mort de son secrétaire général Hassan Nasrallah en septembre 2024.
Les groupes visés ont-ils tendance à succomber ou à perdurer quand leurs dirigeants disparaissent brutalement ? Mobilisant une large littérature académique sur le sujet, cette étude se penche sur l’influence de l’élimination de chefs d’organisations armées sur la durabilité de ces entités. Les analyses quantitatives s’intéressant à ce lien spécifique entre ciblage et survie sont hautement contrastées, avec une absence de consensus concernant les répercussions d’une telle tactique. Plusieurs auteurs avancent tout de même que tous les groupes ne sont pas égaux face à la perte de leurs cadres ; certaines caractéristiques organisationnelles internes telles que leur degré d’institutionnalisation et de centralisation peuvent les rendre plus ou moins vulnérables face à ces disparitions soudaines.
La première partie souligne la nature critique des périodes de succession pour les organisations armées non étatiques. Définissant des hypothèses fondées sur la littérature existante, la deuxième partie se penche sur l’influence potentielle de la neutralisation de dirigeants sur la durabilité des mouvements étudiés. La troisième partie met cependant en lumière la nature hautement contrastée des résultats de recherches quantitatives sur le sujet.
Par : Arthur STEIN
Source : Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale