« Les moments de crise produisent un redoublement de vie chez les hommes »
François-René de Chateaubriand (1768-1848), écrivain, mémorialiste et homme politique français, dans Mémoires d’outre-tombe
Les Talibans sont désormais à nouveau les maitres de l’Afghanistan, après une campagne militaire éclair, sur fond de déroute du régime parrainé par les Occidentaux et de débâcle pour les alliés de l’OTAN.
Nous avions déjà abordé la question de la guerre en Afghanistan lors d’un récent édito. Il peut être intéressant de la reprendre, au prisme de quelques principes de Clausewitz, à l’instar de la leçon inaugurale du MOOC « Question stratégiques » du CNAM, prononcée par Olivier Zajec.
À l’aube du conflit afghan, on se rappellera un discours de George Bush à West Point, où il expliquait en substance que la meilleure façon de gagner une guerre, c’était de « la redéfinir selon nos propres termes » ! La supériorité technologique et informationnelle des Etats-Unis se sera abimée sur le roc de l’action réciproque. La guerre est avant tout un choc de forces vives, réactives, proactives, un duel de volontés où l’adversaire n’est pas la marionnette inerte que l’on pense subjuguer.
Autre lecture de la campagne afghane, la définition de l’Autre, que l’on peut certes considérer comme criminel terroriste infréquentable ou comme l’ennemi du moment, contre lequel il faut mobiliser volontés, énergies, moyens, mais qui deviendra l’adversaire avec lequel in fine il faudra négocier. C’est ainsi que pourra émerger un résultat stratégique, voire un succès stratégique, « paix meilleure » et non « guerre sans fin » et/ou « montée aux extrêmes ». Les Américains s’y seront résolus assez tardivement.
Dernier aspect ou principe qu’illustre presque idéalement la guerre en Afghanistan, celui du point culminant. Le joueur de poker connaît bien ce moment où il convient de quitter la table de jeu, alors que le gain est substantiel. En l’occurrence, le gain stratégique était substantiel lorsque les Talibans avaient été chassés du pouvoir par une campagne éclair, dès la fin 2001. Ironie cruelle de l’histoire, la campagne de 2021 des Talibans s’inscrit comme en miroir de celle des américains en 2001.
En dépit de la bravoure démontrée par ses troupes sur le terrain, la coalition se sera enlisée à la poursuite d’un objectif politique de Nation Building, insoutenable sur la durée, et en s’appuyant sur une stratégie militaire de contre-insurrection, « gagner les cœurs et les esprits », dont les conditions n’étaient vraisemblablement pas réunies. Stratégie militaire de contre-insurrection dans laquelle les alliés de l’OTAN se seront inscrits par mimétisme avec les Etats-Unis, et qui finira par devenir sa propre raison d’être, faute d’une finalité politique atteignable. Comment « gagner les cœurs et les esprits » si la force militaire ne sert pas une finalité politique claire, ne s’inscrit pas dans la très longue durée, et si la population locale ne peut pas s’y fier et même s’y identifier ?
Une éditorialiste d’un grand quotidien du soir s’interrogeait récemment sur l’onde de choc géopolitique de la débâcle en Afghanistan. Face à l’unilatéralisme des décisions d’évacuation américaines, un réflexe « Suez » ne pourrait-il pas bouleverser la vision du monde au sein de l’UE ? L’histoire nous dira si l’autonomie stratégique européenne sortira ou pas transfigurée de la crise afghane. Au sein de l’exécutif américain, la conviction profonde, jusqu’à en être froide voire cynique, que le destin stratégique du pays ne se situait plus là, et qu’il fallait désormais achever le conflit, aura certainement prévalu.
***
En cette rentrée de septembre, nous vous proposons comme chaque mois un nouveau bouquet d’articles de réflexion stratégique.
La problématique afghane est illustrée directement avec une analyse de l’échec du Nation Building (article IRIS), indirectement avec une réflexion sur les suites de la menace terroriste djihadiste (article IFRI).
Les autres articles du bouquet introduisent les thèmes qui seront au cœur des prochaines Assises de la Recherche Stratégique (ARS), le 21 septembre 2021, et de la conférence Information-Anticipation-Renseignement (IAR) qui suivra le 22 septembre : la crise ; les crises, sanitaire, sécuritaire, cyber, environnementale qui se superposent (article CNAM-ESD R3C). Comment les anticiper (article Conflits), comment s’y préparer (article Union-IHEDN), et repenser les conditions de la résilience (article UTT) ?
Comme nous vous l’avions annoncé, Geostrategia est partenaire de ces deux événements majeurs de la rentrée que vous pourrez suivre à distance via la chaîne Youtube du Cnam.
Nous vous donnons donc rendez-vous aux ARS et/ou à la conférence IAR, et bien entendu au mois d’octobre pour une nouvelle publication de Geostrategia.
Général Paul Cesari, et toute l’équipe de Geostrategia.