L’Alliance atlantique a 75 ans

Mis en ligne le 23 Mai 2024

L’Alliance atlantique a 75 ans

L’OTAN prépare son 75ème anniversaire, du 09 au 11 juillet 2024 à Washington, dans un contexte inédit qui devrait peser sur les problématiques clefs pour l’Alliance. L’auteur met en lumière ces problématiques dans un contexte en effet bien différent que celui escompté, avec singulièrement les incertitudes régnant sur les élections américaines de novembre 2024. Il aborde tour à tour, sans les séparer pour autant, les sujets Ukraine, partage du fardeau financier, nucléaire, Chine ou encore gouvernance de l’organisation.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.

Les références originales de cet article sont : Benoît d’Aboville, « L’Alliance atlantique a 75 ans », RDN. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de la RDN.

La préparation du Sommet du 75e anniversaire de l’Alliance atlantique, prévu du 9 au 11 juillet 2024 à Washington (en réalité la signature du Traité de l’Atlantique Nord date du 4 avril 1949), se présentait a priori sous les meilleurs auspices, jusqu’à ce que la crise au Moyen-Orient, la détérioration de la situation militaire sur le terrain en Ukraine et la polarisation du débat interne américain sur le soutien à Kiev vienne ternir l’ambiance.

On doute que sa tenue, à la veille de surcroît de la convention républicaine américaine, représente un véritable atout pour le président-candidat Biden. Il demeure toutefois l’occasion d’une manifestation de la solidarité transatlantique, et un soutien des alliés à une Alliance dont l’utilité a été clairement mise en cause par le candidat républicain Trump, ouvertement critique des alliés et de l’Otan.

Les progrès enregistrés les années précédentes au sein de l’Alliance avaient été significatifs. Stimulés par le « wake up call » qu’avait constitué l’engagement par la Russie de la plus grande opération militaire sur le sol européen depuis le conflit des Balkans, les deux précédents sommets de l’Alliance avaient conduit à une adaptation importante de l’Otan au nouveau contexte stratégique.

En juillet 2023, à Vilnius, l’Otan avait remis en ordre sa planification militaire, élaborant des plans régionaux, réaffirmé son objectif de réarmement et relancé sa préparation militaire. L’admission comme membres de la Suède et de la Finlande, déjà partenaires actifs, avait été finalisée, faisant de la Baltique un « lac otanien ». Surtout la solidarité des alliés vis-à-vis de Kiev y avait été réaffirmée, même si un consensus n’avait pas été atteint, sinon sur le principe, du moins sur les échéances et les modalités d’un tel processus d’admission de l’Ukraine à l’Otan[1].

En juin 2022, à Madrid, l’Otan avait adopté un nouveau concept stratégique[2] prenant en compte la menace russe à la suite de l’agression de l’Ukraine, et les nouveaux défis militaires, technologiques et sociétaux « émergents ». Le Sommet avait permis de réaffirmer la vocation nucléaire défensive de l’Otan en appui de sa mission de dissuasion et décidé le renforcement de sa présence militaire dans les pays baltes et en Pologne avec la création de 4 groupements tactiques multinationaux (Slovaquie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie) en plus des 4 déjà existants (Estonie, Lettonie, Lituanie et Pologne). Un soutien militaire à l’Ukraine, « pour aussi longtemps que nécessaire » avait été proclamé, même si, à la demande américaine, il avait été convenu que celui-ci serait mis en œuvre en dehors de l’organisation elle-même, dans une cellule ad hoc installée sur la base américaine de Ramstein, dont la composition est plus large que l’Otan et inclut d’autres pays soutenant l’effort ukrainien comme le Japon, l’Australie ou la Corée du Sud (dans la perspective du nouveau Sommet de Washington, le Secrétaire général avait tenté, au printemps de cette année, de rapatrier à l’Otan la gestion des aides militaires à Kiev, mais sans rencontrer de véritable écho).

C’est donc dans un contexte fort différent que celui envisagé au départ, que va se préparer ce Sommet de Washington. Il va être dominé par des problématiques qui, si elles ne sont pas nouvelles pour l’Otan, vont devoir être étudiées dans un contexte différent compte tenu de l’incertitude qui va continuer de régner sur l’issue des élections américaines de novembre. Les spécificités du système électoral américain rendent possibles, comme on l’a déjà constaté dans le passé, les surprises de dernières minutes sur l’issue du scrutin. Or, les clivages et les priorités américaines en politique extérieure diffèrent aujourd’hui bien davantage que par le passé, même récent, notamment sur au moins trois points : l’Ukraine, les contributions européennes et la Chine.

La situation ukrainienne

Dans la perspective du prochain Sommet, il n’est évidemment pas de problème plus important que celui de l’Ukraine. Le risque d’un effondrement militaire ukrainien en raison notamment, mais pas seulement, d’un long blocage de l’aide américaine est réel, mais les conséquences ne sont pas appréciées à Washington de la même manière en fonction des affiliations partisanes.

En appui aux arguments du président Biden, le directeur de la CIA, Bill Burns, vient de le rappeler devant le Congrès que le gel de l’aide américaine promise à Kiev cette année (61 milliards de $[3]), mettait les Ukrainiens dans l’incapacité de résister à la poussée graduelle des Russes vers Kharkiv et au final, permettrait à Vladimir Poutine de dicter une solution politique selon ses propres termes. Ce serait un grave échec américain et occidental.

Du côté républicain, l’aide promise est l’objet depuis six mois d’une prise en otage, au nom d’un renforcement exigé des mesures anti-émigration. Le chef de la majorité républicaine à la Chambre, Mike Johnson, a dû se déplacer lui-même jusqu’à Mara-Lago, propriété de Donald Trump à Palm Beach (Floride), pour user d’arguments adaptés. Il lui a expliqué que 90 % de l’aide bloquée depuis six mois bénéficierait en partie à l’industrie d’armement américaine pour la reconstitution des stocks américains et donc aux circonscriptions électorales correspondantes. En réponse, le candidat républicain a continué d’affirmer que les Européens devraient « se bouger » et « contribuer davantage » (alors que factuellement l’aide des Européens à l’Ukraine a déjà dépassé en volume celle des États Unis pour 2024). Au retour de Mike Johnson, les extrémistes de son camp avaient même envisagé de le démettre, comme l’avait été son prédécesseur. Le vote acquis le samedi 20 avril a mis fin à l’interminable suspense, l’appui des démocrates permettant d’isoler les Trumpistes. Vieux routier du Congrès, le président Biden aura finalement remporté la manche.

Au-delà de ces débats procéduraux au Congrès, on mesure cependant à quel point aujourd’hui les priorités politiques sur un sujet aussi central pour les États-Unis et leur crédibilité internationale que l’avenir de l’Ukraine se situent dans des perspectives partisanes différentes. Les Ukrainiens s’en offusquent à juste titre : pendant que leurs troupes se battent pied à pied en attendant les munitions promises des Occidentaux, ils constatent à quel point l’affaire de Gaza et les risques d’élargissement du conflit au Proche-Orient ont détourné aux États-Unis, mais également en Europe, l’attention de la crise ukrainienne. Ils constatent avec amertume la différence des moyens mis en œuvre collectivement pour protéger le territoire israélien des attaques aériennes et le retard mis du côté occidental à faire de même pour préserver du pilonnage incessant des Russes leurs infrastructures énergétiques, leurs habitations et leurs troupes.

Pour sa part, l’UE a abandonné ses anciens tabous vis-à-vis d’un rôle dans le secteur de la défense, allant jusqu’à mettre sur pied une mutualisation de certains des financements consacrés à l’Ukraine. Victime des années d’austérité budgétaire, l’industrie européenne de défense, en dépit des encouragements politiques et des dispositifs d’accompagnements financiers, qui constituent autant d’innovations à l’UE, ne parvient pas actuellement à fournir suffisamment de matériel et de munitions nécessaires aux forces de Kiev. Il en va de même du côté américain (en particulier pour les systèmes de défense antimissile). S’agissant des formations des soldats mis en place par l’Otan, les Ukrainiens se plaignent de leur inadéquation face à un conflit de haute intensité, mais qui emprunte aussi aux guerres de tranchées du XIXe siècle.

Enfin, les historiens auront à évaluer le coût et les retards qu’ont représenté les craintes de l’escalade avec la Russie, lorsqu’il s’agissait de fournir à Kiev des matériels plus performants, susceptibles notamment d’atteindre le territoire russe.

C’est donc avec une certaine humilité que le Sommet de Washington devra aborder le chapitre ukrainien. L’Otan n’a pas connu que des succès lors de ses interventions passées sur d’autres théâtres : la Libye ou l’Afghanistan ont laissé des traces, voire des cicatrices. Cependant, la situation actuelle en Ukraine engage des enjeux d’une autre nature pour l’Alliance et la sécurité européenne, et constitue la préface à une nouvelle ère de confrontations. Les divergences constatées à Vilnius sur les échéances d’une possible adhésion de l’Ukraine à l’Otan demeurent. Certains mettent en avant le précédent de la RFA qui, durant la guerre froide, avait accédé à l’Otan, bien qu’alors divisée, mais on est loin encore d’une telle situation de règlement politique en Ukraine.

L’idée d’un armistice sur les positions acquises par chaque partie sur le terrain fait certes partie des positions défendues à mi-voix par le candidat Trump, lorsqu’il évoque un accord direct russo-américain, qu’il se vante de pouvoir obtenir avec V. Poutine « en quelques jours ». Un tel armistice, sorte de « Munich de la mer Noire » ou de nouveau Panmunjeom (il s’agit d’un cessez-le-feu non d’un règlement du conflit), est le spectre qui hante aujourd’hui les diplomaties de l’Alliance. Cette dernière a toujours indiqué qu’il revenait aux Ukrainiens eux-mêmes de définir le moment et les modalités d’une solution politique obtenue par la négociation. L’approche mentionnée par le candidat républicain est rejetée par Kiev. Elle marginaliserait évidemment les Européens et contredirait tous les principes et engagements pris jusqu’ici du côté occidental. Elle pourrait néanmoins séduire une part des opinions qui ne comprendraient pas pourquoi on pourrait justifier la poursuite des combats et des souffrances supplémentaires infligées à une population ukrainienne déjà lourdement éprouvée, alors que les pays occidentaux n’ont pas de forces engagées au sol.

L’Allemagne, les pays baltes et la Pologne ont déjà répliqué qu’il suffirait de 5 à 8 ans aux Russes pour reconstituer leurs forces et reprendre leur offensive de déstabilisation des pays qu’ils considèrent comme appartenant à leur glacis de sécurité[4]. Au nombre desquels figurent évidemment les pays baltes, la Moldavie et ce qui adviendrait d’une Ukraine, certes demeurée partiellement occidentale, mais partitionnée et éminemment vulnérable sur les plans politique, militaire et économique.

Le partage du fardeau

Il s’agit d’une discussion pérenne au sein de l’Otan qui remonte aux origines de l’Alliance. Pour ne citer que quelques exemples : le président Eisenhower s’en était emparée, Henry Kissinger, secrétaire d’État des États-Unis, réclamait aux Allemands des compensations pour le déficit de la balance des paiements américaine de l’époque, le président Kennedy l’avait soulevée, Jimmy Carter proposait un objectif de 3 % du PNB au Sommet de Londres en 1977 (objectif toutefois abandonné dès l’année suivante). Au lendemain de l’opération en Libye, au cours de laquelle le président Obama avait avancé la notion de « leadership from behind », le secrétaire à la Défense, Robert M. Gates, avait vivement mis en garde les Européens, en juin 2011, en les avertissant que l’opinion américaine ne supporterait pas davantage prolongation des déséquilibres des contributions.

Plusieurs sommets de l’Alliance, notamment celui de Londres en 2019, entreprirent de trouver une solution politique consistant en un engagement des alliés de consacrer, d’ici quelques années, au moins 2 % de leur PNB aux dépenses militaires, dont 20 % pour les programmes d’armements. Partir des budgets plutôt que des capacités militaires réelles n’est pourtant pas véritablement satisfaisant : les alliés ont des structures militaires différentes (par exemple, la Grèce ou le Luxembourg), les évolutions de la conjoncture font modifier les ratios en sens contraire. Comment évaluer la valeur ajoutée des 8 bases et facilités que possèdent en Europe les États-Unis pour déployer leurs forces au Proche-Orient ou ramener les blessés d’Afghanistan pour être soignés d’urgence en Allemagne ? Quid des contributions nucléaires ? Comment prendre en compte les différentiels d’inflation ? Quel est donc l’intérêt de ce ratio, sinon de renforcer, dans chaque pays, les ministres de la Défense vis-à-vis de leur collègue du Budget ?

Conscient de ces faiblesses, les militaires de l’Otan s’attachent désormais à évaluer plus raisonnablement, les capacités réelles des alliés à travers le processus de planification pour chaque théâtre militaire. Il demeure que le piège s’est renfermé sur les politiques : chaque sommet est l’objet d’un exercice d’autosatisfaction collective, face au constat de la croissance du nombre de pays ayant franchi avec succès le seuil des 2 %. D’autres pays jouent les bons élèves en mettant un point d’honneur à le dépasser.

Ce jeu n’aurait pas de conséquences négatives si les Américains, et notamment Donald Trump et d’autres politiciens, n’en avaient fait le symbole de la manière dont les alliés abuseraient de la patience de Washington. Dans le cadre de son approche délibérément « transactionnelle », le candidat républicain réclame une nouvelle lecture de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord : le temps serait venu de conditionner sa mise en œuvre à l’aune de l’évaluation américaine du comportement de chacun des alliés individuellement. Ces propos ont plongé les alliés dans la panique ou le déni, selon les cas.

Lors de son premier mandat, Donald Trump s’en était déjà violemment pris à la chancelière allemande Angela Merkel allant jusqu’à demander le remboursement d’un passif imaginaire de dettes vis-à-vis de Washington ! Face à ces exigences, les alliés hésitent entre résistance ou complaisance. Aux dernières nouvelles, les Allemands, jusqu’ici dans la cible, envisageraient de passer, pour calmer le jeu, à un objectif de 3 % du PNB et, surtout, comme d’autres alliés, de renforcer leurs achats d’armement aux États-Unis. À un coût faramineux, la proposition de « Defense Shield » antimissile protégeant une partie de l’Europe grâce à des systèmes israélo-américains-allemands à l’efficacité non prouvée et à un coût très élevé (l’adversaire conservant la faculté de saturer les systèmes de défense) pourrait à nouveau être évoquée lors du Sommet. Face à cette solution défensive, dans des conditions sans rapport avec l’expérience acquise au Proche-Orient, est opposée l’idée du déploiement de missiles assurant une frappe en profondeur.

Toujours sur le plan des contributions, une autre approche a été évoquée par plusieurs secrétaires généraux : au-delà des cotisations « obligatoires » à l’Otan, dues par chacun des alliés en fonction d’un barème, et des financements nationaux directs, il s’agirait d’élargir le périmètre des dépenses actuellement considérées comme « communes », au gré des besoins du moment. Les Français y sont particulièrement allergiques.

On voit donc que la question du partage du fardeau est politiquement et financièrement plus minée que jamais. Elle demeure cependant centrale dans le contexte de la prochaine administration à Washington, quelle qu’elle soit, tant l’opinion américaine est désormais imprégnée de l’idée d’un comportement inacceptable des alliés européens, que Donald Trump n’a pas hésité en 2018 à qualifier « d’ennemis »[5].

Le retour du débat nucléaire

La question du rôle des forces nucléaires américaines dans la défense des alliés européens et l’« extended deterrence » des États-Unis a été l’une des plus débattue au sein de l’Alliance, depuis sa fondation. Elle a vu se succéder la stratégie des représailles massives, celle du retour à une dissuasion proportionnée et à la riposte flexible, puis, un moment, à une dissuasion partagée avec la malheureuse tentative de Multilateral Force (MLF), abandonnée par le président Johnson et dont le Groupe des plans nucléaires (NPG) est le lointain succédané.

À chaque étape, la problématique nucléaire au sein de l’Alliance a dû être repensée : en fonction, au début des années 1960, de l’accession de l’URSS à la parité nucléaire, ou des préoccupations de l’administration Kennedy pour empêcher la prolifération française et éviter une évolution allemande parallèle. Le retour au réalisme de l’administration Nixon acceptant le fait nucléaire français (déclaration d’Ottawa de 1974), et la priorité donnée depuis lors aux renforcements des moyens conventionnels de l’Alliance, dans le cadre de la riposte graduée, ont conduit à une stabilisation des échanges Les négociations soviéto-américaines sur les armes stratégiques (SALT), puis sur les missiles de portée intermédiaire (FNI) avaient, à l’époque, fait craindre aux alliés européens un « découplage » entre moyens stratégiques stationnés aux États-Unis ou dans les océans, et les systèmes américains à moyenne portée en Europe, dont le nombre devait être drastiquement réduit dans les années 1990, au plus fort de la détente.

Depuis le retour à la confrontation américano-russe un certain nombre d’accords ont été soit abandonnés (les FNI et le désarmement conventionnel en Europe ou FCE), soit mis en attente de jours meilleurs. C’est le cas des accords New START qui, dans les derniers jours de l’administration Trump, ont été prorogés jusqu’en 2026, l’administration américaine ne voulant pas en perdre les acquis en matière de vérification et de certaines limitations réciproques.

Les implications du conflit ukrainien, qu’il s’agisse de la « sanctuarisation agressive » dont bénéficie aujourd’hui la Russie ou ses déclarations répétées sur les risques d’escalade nucléaire, rendent aujourd’hui nécessaire pour l’Alliance de revenir sur les thématiques nucléaires (et à des exercices de préparation dans ce domaine qui avaient été longtemps négligés).

Plusieurs facteurs contribuent à replacer le nucléaire au premier plan : son rôle dans la confrontation en Ukraine, la modernisation en cours de la triade américaine y compris pour certains éléments intéressant les Européens (comme les missiles de croisière nucléaires ou la modernisation de la bombe B61-3 portée par les avions alliés dans le cadre du « nuclear burden sharing »), enfin et surtout la montée en puissance des forces chinoises. Celle-ci fait désormais craindre aux États-Unis que Washington soit demain confronté à un « nouveau compétiteur égal » et que les forces stratégiques américaines doivent être configurées pour faire face à deux adversaires qui agiraient désormais simultanément.

Ces éléments se conjuguent avec les interrogations sur l’avenir de la prolifération nucléaire et du TNP ainsi que le rôle nouveau que pourraient jouer la Chine et la Russie dans le délitement du régime actuel de non-prolifération. Les risques se multiplient : quasi-immunité dont bénéficie aujourd’hui la Corée du Nord, évolution du potentiel iranien désormais soutenu par la Russie, risque de voir par une chaîne de réactions conduisant à l’apparition de nouveaux États proliférateurs en Asie (par ex. Corée du Sud et Japon) et au Proche-Orient (Turquie ou Arabie saoudite).

Le facteur chinois

Le consensus bipartisan aux États-Unis sur le défi que constitue désormais la Chine sur le plan stratégique, économique, technologique et scientifique est aujourd’hui tel que l’Administration Biden a été, à bien des égards, contrainte de s’inscrire dans la continuité de l’approche commerciale et politique du premier mandat de Trump, tout en essayant de maintenir un dialogue bilatéral avec Pékin. Dans le cadre du Sommet de Washington, elle recherchera des formulations du communiqué final assez fortes pour ne pas donner prise à l’accusation de faiblesse de la part des Républicains, mais sans toutefois risquer une fracture avec les alliés européens, contraire à l’image d’unité transatlantique recherchée à l’occasion du Sommet.

De son côté, l’UE a déjà progressé dans l’élaboration de positions communes, mais pour satisfaire les milieux politiques aux États-Unis, l’administration Biden demandera sans doute davantage. Or, pour les Européens, et notamment pour Berlin, une déconnexion de la Chine de l’économie internationale, recherchée par certains à Washington demeure non seulement irréaliste, mais également dommageable pour l’économie mondiale, tant la Chine pèse dans les échanges internationaux.

Le dilemme n’est pas nouveau, mais il induit désormais le risque d’une rupture transatlantique. La question chinoise, qui est en définitive celle de l’organisation du monde de demain, sera difficilement esquivée par l’Alliance dans le futur, même si l’article 2 du Traité de Washington en a délimité les compétences territoriales. En octobre 2023 à Pékin, Xi Jinping déclarait déjà, devant Vladimir Poutine : « on va assister bientôt à des changements dans le monde comme il n’y en a pas eu depuis 100 ans : nous sommes ceux qui en seront ensemble les architectes. »

Les affaires otaniennes

L’importance des enjeux dont devraient se saisir le Sommet de Washington et la nécessité d’afficher le succès de la cohésion transatlantique à l’heure des inquiétudes suscitées par la candidature de Donald Trump vont paradoxalement conduire les participants à donner davantage de place à la gestion des affaires spécifiquement otaniennes. A priori, l’obtention d’un consensus y est plus aisée. La succession du norvégien Stoltenberg, déjà reconduit une fois, mais qui souhaite, après dix ans en fonction passer la main, figure ainsi parmi les « low hanging fruits » de Washington.

L’ancien Premier ministre libéral des Pays-Bas, Mark Rutte, a déjà reçu le soutien déclaré des principaux alliés européens. Les Britanniques, déjà titulaires à plusieurs reprises du poste dans le passé, avaient l’an dernier écarté, pour des raisons de politique intérieure, un candidat possible, Ben Wallace, ministre de la Défense. Demeurent quelques pays, notamment parmi les Scandinaves qui auraient souhaité qu’une femme – ils disposent de personnalités fortes et qualifiées – accède pour la première fois au Secrétariat général. La crainte de compliquer la gestion de l’affaire ukrainienne à Evere a pu cependant jusqu’ici jouer à leur encontre. D’autres, comme le Premier ministre roumain Klaus Iohannis, qui a laissé entendre qu’il pourrait lui aussi être candidat[6], ne visent qu’à obtenir des compensations ultérieures.

La seule condition posée par les États-Unis, avant qu’ils ne confirment leur choix de M. Rutte, c’est que le candidat européen ne soit pas une personnalité laissée au bord de la route lors du grand mercato européen qui suivra les élections européennes. Ceci aurait pu compliquer les ambitions d’Ursula von der Leyen au cas où elle n’obtiendrait pas de renouvellement de son mandat à la tête de la Commission européenne.

La coopération entre l’Otan et l’UE est inscrite dans le communiqué final de l’Alliance, pour souligner combien elle est devenue nécessaire et souhaitable. Les listes des domaines où la coopération des deux organisations est jugée naturelle ont été établies depuis plusieurs années et donnent lieu à toutes sortes de déclarations panglosiennes. Il demeure que, même si les contacts ont été facilités et multipliés au cours des dernières années, les rapports entre Evere et ce qu’un ambassadeur canadien s’obstinait il y quinze ans à ne désigner, avec un mépris évident, que comme « downtown Brussels », sont toujours empreints d’une certaine compétition. Mais quoi de plus naturel entre deux bureaucraties dont les compétences s’entremêlent de plus en plus ? Les participations croisées des responsables des deux organisations à des rencontres régulières ont depuis beaucoup fait pour détendre l’atmosphère. Notons que ce sont les mêmes responsables militaires de chaque délégation nationale qui servent à la fois à l’UE et à l’Otan dans les comités respectifs de chaque organisation.

Les convocations des sommets de l’Alliance apparaissent désormais adopter un rythme annuel. Pour beaucoup d’observateurs cette norme est excessive et même contreproductive. Avec dix rencontres annuelles programmées des ministres de la Défense et des Affaires étrangères, et au minimum une réunion hebdomadaire du Conseil atlantique, ainsi qu’une multitude d’autres comités, les concertations entre alliés et pays partenaires sont permanentes. Mais cette inflation de sommets est encouragée par les secrétaires généraux de l’Alliance successifs, flattés de retrouver régulièrement les chefs d’État et de Gouvernement qu’ils considèrent comme leurs seuls véritables pairs. En fait, le Traité de l’Atlantique Nord n’évoque le rôle du Secrétaire général de l’Alliance seulement comme celui « qui préside le Conseil atlantique », mais personne n’oserait aujourd’hui le lui rappeler !

Il sera évidemment beaucoup célébré lors du Sommet de Washington la pérennité de l’Alliance, sa longévité et sa capacité à durer au travers des bouleversements géopolitiques de cette longue période. L’ancien ambassadeur britannique à l’Otan, Peter Ricketts, remarquait récemment avec finesse[7], que la durabilité de l’Otan, en comparaison avec beaucoup d’autres institutions internationales disparues corps et biens, tenait à ce que les négociateurs du traité en 1949 avaient eu la sagesse de faire bref et concis, tout en prenant en compte, au-delà des engagements politiques, le fait que toute mention d’une obligation précise dans le Traité aurait été, déjà à l’époque, insupportable au Congrès américain.

La rédaction de l’article 5, cœur du Traité, en est un bon exemple. Ceci explique qu’il ait pu traverser sans dommage autant de modifications du rôle de l’Alliance au cours des dernières 75 années. C’est pourtant le défi avec lequel elle risque d’être à nouveau confrontée avec un possible nouveau mandat de Donald Trump.

 

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