Édito n° 90/11 Du 14 avril 2022

Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve.
- Friedrich Hölderlin, poète et philosophe allemand (1770-1843)
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« La question de la neutralité ukrainienne est étudiée en profondeur. » Des mots du président ukrainien prononcés fin mars, peu de temps après avoir convenu que son pays ne pourrait pas adhérer à l’OTAN.

Le chemin vers un cessez-le-feu en Ukraine n’est guère tracé. La réorientation de l’effort militaire russe vers le Donbass, nouvelle option militaire présentée comme choisie, mais bien plus vraisemblablement subie, peut inscrire la confrontation dans une longue guerre d’usure et la conclure d’un conflit gelé.

L’histoire encore à écrire de cette guerre retiendra-t-elle la cruelle ironie d’hostilités achevées sur un statut qui aurait peut-être pu les empêcher ?

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Le statut de neutralité présente diverses configurations sur l’échelle du positionnement international dans l’histoire européenne récente, de la Finlande époque Guerre Froide à l’Autriche contemporaine.

A l’instar de l’Autriche, la Finlande est aujourd’hui membre de l’Union européenne, mais pas de l’OTAN. Sa position de neutralité au cours de la Guerre Froide a donné naissance au terme de « finlandisation », vocable qui rime avec alignement voire soumission de la politique étrangère à une puissance voisine. Un terme et une trajectoire historique qui méritent peut-être d’être réévalués.

La Finlande aura fait montre de prudence, de patience stratégique, en évitant l’annexion comme l’occupation par les forces soviétiques, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Elle aura transformé progressivement une neutralité-contrainte, dictée par les pesanteurs géopolitiques comme par les circonstances historiques, en une neutralité-tremplin, vers le soutien au multilatéralisme et vers l’émancipation progressive. Avec l’accueil de négociations clefs pour le dialogue Est-Ouest, sur la limitation des armements, puis sur la sécurité et la coopération en Europe, la Finlande devenait le pont entre les deux Blocs. La négociation et la signature des « Accords d’Helsinki » en 1975, qui permettaient le rapprochement entre pays européens séparés alors par le Rideau de fer, portaient en germes la fin de la Guerre Froide et l’élargissement ultérieur de l’UE à l’Est.

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Dans une récente tribune du Monde, Alain Frachon proposait une mise en regard de l’approche psychologico-culturelle et de l’approche néo-réaliste de la guerre en Ukraine (approche néo-réaliste portée par l’universitaire américain John Mearsheimer).

Le Président Poutine est-il un « affectif blessé » par les humiliations qu’auraient endurées la Russie (l’effondrement de l’URSS, la menace de l’OTAN, l’éloignement de l’Ukraine, « berceau de la civilisation russe » …) doublé d’un prophète idéologue du renouveau impérial russe (rassembler Russie, Ukraine, et Biélorussie dans une même entité géopolitique) ?

Le maitre du Kremlin est-il plutôt un stratège froid et réaliste, appuyé sur la pleine conscience de la Raison d’État et des rapports de force, amené à entrer en guerre en Ukraine pour défendre les intérêts fondamentaux de la Russie (risques stratégiques, politiques et culturels, avec l’OTAN, l’UE et la démocratie occidentale s’installant aux frontières directes de la Russie) ?

Dans les deux hypothèses, le destin de l’Ukraine tiendrait à une forme de vassalité politique.

Ces deux hypothèses ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Lumineuses ou désastreuses, la vision et les décisions d’un stratège résultent d’une pondération singulière, circonstancielle entre les intérêts et réalités géopolitiques, les données mesurables (forces, moyens…), les voies envisageables, sa psychologie, sa culture, son approche de l’Histoire, sa conception du monde et de l’Homme !

Quant au destin de l’Ukraine, reste-t-il encore ouvert, entre neutralité ou vassalité, et avec ou sans profondes mutilations territoriales ?

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La guerre pourrait-elle rendre tolérable ce qui semblait inacceptable fin 2021-début 2022 ?

Une solution de neutralité pour l’Ukraine qui soit convenable pour les parties (un statut de type Suisse ou Autriche ?) s’inscrirait dans une convergence, dans une cohérence de valeurs et d’intérêts pour l’Europe, pour la France. Elle pourrait conduire au silence des armes, à la fin des destructions, des souffrances et des exactions, éviter la surenchère politico-militaire, ménager une sortie « honorable » pour chacun des belligérants.

En restant à la lisière de la cobelligérance, et sur la ligne de crête entre exigences et fil de dialogue maintenu avec Moscou, l’Europe, la France pourraient-elles ainsi contribuer à faire accoucher cette guerre d’une paix, sinon « meilleure », à défaut acceptable, tout en conjurant le risque d’une périlleuse escalade ?

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En ce mois d’avril 2022, nous vous proposons une nouvelle sélection mensuelle d’articles de réflexion.

Une prise de recul sur le conflit en Ukraine, c’est la finalité de deux premiers papiers proposés. Ils s’interrogent respectivement sur la continuité/rupture que représente cette guerre pour la culture stratégique russe (article IFRI) et sur l’influence de l’histoire et de ses représentations antagonistes (article revue RDN). L’Europe et l’élan de souveraineté stratégique qui la traverse constituent le deuxième volet de notre sélection, avec une mise en perspective des récentes crises ayant éperonné cet élan (article Fondation Robert Schuman) et un focus sur la dimension Intelligence Économique au sein de l’UE (article Jeunes-IHEDN). Le dernier volet propose un retour sur le dossier de la crise libyenne (article CDEM) et une poursuite de l’analyse de la pertinence comme des limites des effets de la puissance aérienne (article revue Vortex du CESA).

Accompagnant ces réflexions, nous vous proposons également de retrouver les analyses récentes du professeur Alain Bauer au sujet du conflit ukrainien: “La bataille de l’Occident a commencé”, sur le site des Échos, et “Et si Vladimir Poutine voulait juste détruire l’Ukraine?”, sur le site de l’Opinion.

Quelques mots enfin pour vous confirmer qu’un parcours au cœur de la question du terrorisme, des terrorismes, est toujours possible, via le MOOC « Terrorismes » du Cnam. Les inscriptions à ce cours en ligne sont ouvertes jusqu’au 21/04/2022 via le présent lien.

Rendez-vous courant mai, pour une nouvelle publication de votre Agora stratégique.

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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