« L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire : un petit cap du continent asiatique, ou bien l’Europe restera-t-elle ce qu’elle paraît, c’est-à-dire : la partie précieuse de l’univers terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d’un vaste corps ? »
Paul Valéry, écrivain, poète et philosophe français (1871-1945), in La crise de l’esprit (1919)
La guerre en Ukraine deviendra-t-elle bientôt la Guerre d’Ukraine ?
Le changement de perceptions que signifierait le glissement de sémantique est vraisemblablement à l’œuvre. Le conflit aux portes de l’Europe, le « retour de la guerre », révèle et accélère une nouvelle donne géopolitique, un nouveau paradigme pour l’échiquier international.
*
Un « retour de la guerre » inattendu, et pourtant prévisible, comme le souligne notamment Alain Bauer.
Inattendu surtout en Europe, où plusieurs décennies d’efforts à écarter, sinon à refuser l’idée même de guerre, après deux conflits mondiaux dévastateurs, ne l’ont pas empêchée en son sein même, dans les Balkans.
Inattendu, en dépit des limites ou des contournements des systèmes de sécurité collective ou de dissuasion, que soulignait la permanence des conflits hors d’Europe.
Inattendu pour une Union ayant comme succombé aux illusions d’une paix perpétuelle et des dividendes associées, alors que les budgets de défense croissaient partout ailleurs.
Prévisible par la réalité d’une globalisation qui n’est pas toujours « heureuse ».
Prévisible par la perte du monopole de la puissance occidentale et par la brèche qu’elle ouvre à la contestation du système international mis en place après 1945.
Prévisible, ne serait-ce une cécité volontaire, par la teneur d’écrits, de discours, d’attitudes qui signaient un regain manifeste d’ambitions impériales, de par le monde.
*
La nouvelle donne géopolitique, que révèle et accélère le conflit en Ukraine, tient à la fois d’une remise en cause du système international mis en place après 1945, et d’un affrontement entre deux systèmes ou visions du monde, sinon de l’homme. Cette conjonction ne manquera pas de complexifier le chemin de sortie de la guerre en Ukraine.
On pourra rappeler les trois principaux griefs mis en avant par les « révisionnistes » pour contester un système dont ils considèrent le fonctionnement hypocrite, l’organisation obsolète et les valeurs relatives (ou occidentalo-centrées).
La nouvelle donne géopolitique s’illustre également par la rivalité croissante entre les Etats-Unis et la Chine, par le risque de polarisation qui l’accompagne, comme par l’opportunisme manifesté par les pays dit du « Sud global ».
La nouvelle donne géopolitique interpelle d’autant plus les Européens que leur capacité à assumer une responsabilité stratégique, à défaut d’une réelle autonomie, reste encore dans les limbes. Certes, on ne peut balayer d’un revers de main la levée inimaginable du « tabou » que constitue le financement en commun de l’aide et de l’assistance militaires à un pays en guerre : l’Ukraine. Mais, au-delà de quelques prémisses encourageantes, le rythme d’avancée sur le chemin d’un véritable langage de puissance parait bien en deçà de celui qu’il faudrait tenir pour se porter à hauteur des bouleversements en cours.
*
La guerre en Ukraine, en devenant à terme la Guerre d’Ukraine, marquera-t-elle l’aube ou le crépuscule d’une émancipation stratégique européenne ?
Les espoirs souvent déçus naguère, comme le risque de devoir, soit s’aligner, soit se diluer face à l’antagonisme qui croît entre Washington et Pékin, obscurcissent l’horizon.
La résolution affichée par la France peut sembler dérisoire, décalée, sinon intempestive, mais quel autre chemin que de troquer le pessimisme de la raison pour l’optimisme de la volonté ?
Peut-être faudra-t-il que la France sache désormais mieux faire rimer initiative avec collective, sache désormais mieux conjuguer la vision d’un de Gaulle, la flamme d’un Hugo et la pédagogie d’un Schuman, pour emporter ses partenaires sur la voie de la responsabilité stratégique européenne !
***
En ce mois d’avril 2023, vous pouvez rejoindre les internautes déjà inscrits pour le cours en ligne ou MOOC du Cnam « Questions Stratégiques ; comprendre et décider dans un monde en mutation ». Les inscriptions au nouveau parcours, actualisé et complété, sont ouvertes sur la plate-forme France Université Numérique (FUN) jusqu’au le 21 mai 2023 (fin des diffusions le 04 juin 2023), via le lien suivant : cliquez ici.
En ce mois d’avril 2023, nous vous proposons une nouvelle sélection de papiers de réflexion stratégique.
Vous pourrez accéder à un premier bilan et à diverses perspectives sur la dimension militaire de la guerre en Ukraine (article de la Fondation pour le Recherche Stratégique ; par Philippe Gros et Vincent Tourret). Le récent mandat d’arrêt de la CPI concernant Vladimir Poutine et les perspectives qu’il ouvre font ensuite l’objet d’une analyse présentée par un deuxième papier (article de la Fondation Robert Schuman ; par Arnaud de Nanteuil). La sélection propose par ailleurs d’aborder l’évolution de la conflictualité, des conflits irréguliers à la guerre de haute intensité (article des Jeunes-IHEDN ; par Laureen Dini). Un éclairage sur les mutations du renseignement engendrées par la guerre en Ukraine vous est en outre proposé. Enfin deux papiers abordent tout à tour l’impact de l’extraterritorialité du droit sur le commerce international (article de l’IRIS ; par Phanette Roche-Bruyn), et le paradoxe de la francophonie, espace organisé certes, mais en quête de sens (article de la Fondation Jean Jaurès ; par Jean-Jacques Kourliandsky).
Rendez-vous courant mai pour une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.
Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.
