Édito n° 99/20 du 16 février 2023

« Un empire fondé par les armes a besoin de se soutenir par les armes » Charles de Montesquieu, Philosophe et écrivain français (1689 - 1755) in « Considérations sur les causes de la grandeur des Romains ».

Le premier anniversaire du conflit armé en Ukraine approche et invite à remettre en perspective cette guerre de haute et de longue intensité entre Moscou et Kiev, cette confrontation « froide » entre la Russie et l’Occident.

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La représentation de l’espace russe de sécurité n’est pas sans lien avec la crise actuelle Russie-Occident.

L’histoire et la géographie du plus étendu pays du monde ont façonné les représentations profondes de la stratégie et de la géopolitique russe sur le temps long. Un complexe d’encerclement dans un environnement hostile, dont il faut se protéger par un glacis protecteur. Une situation de puissance continentale centrale, qui a par ailleurs inspiré les théoriciens de la géopolitique (le Heartland de Mackinder).

La crise actuelle, et son point d’orgue, la guerre d’agression en Ukraine, s’inscrit dans cette filiation et s’est nourrit, dans une perspective temporelle plus courte, d’une symétrie de perception de menaces idéologiques, géopolitiques, militaires, exacerbant un dilemme de sécurité.

Les fils conducteurs de la politique internationale russe, soulignés par Isabelle Facon, éclairent le cheminement, peut-être semé d’occasions manquées, d’une défiance stratégique, déjà en germe au lendemain de la Guerre Froide, qui s’avive et se dévoile lors de la conférence sur la sécurité de Munich en 2007, jusqu’à se muer en confrontation.

L’ambition d’être reconnue comme une grande puissance, de conserver une prédominance sur ce que l’on appelait du temps de l’ex-URSS, l’« étranger proche », mais également d’affaiblir ce que la rhétorique actuelle russe nomme l’Occident collectif, se déclinent en crainte de l’avancée territoriale de l’OTAN, des révolutions de couleurs ou encore du « Regime Change », à Moscou même.

Cette phobie, instrumentalisée au cours des « années Poutine », justifie donc en retour, vu du Kremlin, le recours aux actions hybrides, les interventions en Géorgie, en Syrie, en Crimée, ou encore les menées de subversion informationnelle.

Restée jusque-là sous le seuil du non-acceptable pour l’Occident, la Russie opte pour l’agression ouverte de l’Ukraine, le 24 février 2022. Mais la présomption de rééditer un « Coup de Prague » s’abime sur le mur de la résistance ukrainienne, certes étayée par l’aide occidentale, sur le mur des lacunes propres à Moscou également, militaires singulièrement. Avec l’« Opération militaire spéciale » qui persiste et les exactions qui débutent, la « ligne rouge » est irrémédiablement franchie.

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En ce premier anniversaire de l’invasion russe, le front semble comme figé, en dépit de la brutalité des combats, et les protagonistes fourbissent les armes qui pourraient leur permettre de reprendre l’initiative, à des termes certes différenciés : la masse humaine pour les Russes et les chars lourds (les avions de combat ?) occidentaux pour les Ukrainiens.

Une situation d’impasse sinon d’aporie stratégique semble donc désormais prévaloir : aucun des deux belligérants ne veut ni ne peut perdre.

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Sauf dérapage vers une montée aux extrêmes incontrôlable, l’issue de ce conflit en Ukraine pourrait confronter la Russie, sinon au rôle de paria, du moins aux affres de partenariats stratégiques déséquilibrés, avec la Chine plus particulièrement, voire avec les autres « BRICS ».

L’historien Georges Sokoloff qualifiait la Russie de « puissance pauvre ». Peut-être sommes-nous aujourd’hui également face aux péripéties tragiques du décalage entre les ambitions d’une puissance « revendiquée » et ses fragilités démographiques, économiques, technologiques. Avec une perspective d’effacement relatif post-conflit, en prélude à un retour dont le terme reste incertain.

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Chaque guerre est unique, et tend d’ailleurs à échapper à ses instigateurs. Mais celles d’hier et celles d’aujourd’hui permettent néanmoins d’esquisser quelques contours de celles de demain.

Le conflit en Ukraine doit donc nourrir nos réflexions. D’autant que nous ne pourrons plus « choisir », mais que vraisemblablement nous devrions « subir » les guerres de demain. Avec, dans un monde globalisé, numérisé, en mutations accélérées, des arbitrages délicats entre le nombre, la masse pour durer, et l’avance qualitative et opérative, pour anticiper, prévaloir, conserver la liberté d’action sur l’adversaire. Ces arbitrages se dessinent, et la future Loi de Programmation Militaire devrait privilégier la cohérence et la réactivité au volume et à l’endurance, pour reprendre les termes de Bruno Tertrais.

Des arbitrages qui pourraient favoriser la capacité d’anticiper et de frapper vite, loin, avec maîtrise et précision, dans des espaces contestés, la capacité de dissuader comme de se protéger des menaces dans tous les champs et domaines, la capacité de résilience également.

Des arbitrages en ligne avec les ambitions, les moyens et la situation de la France, qui lui permettraient de peser militairement en Europe et dans le monde, sans sacrifier les autres leviers de puissance cruciaux d’aujourd’hui.

Des arbitrages pour assurer sa sécurité, au sein de ses alliances, et seule si nécessaire, face à une nouvelle donne stratégique !

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En ce mois de février 2022, nous vous proposons un bouquet de six articles de réflexion stratégique.

Les choix et la cohérence de la future Loi de Programmation Militaire sont abordés par un premier papier (article de Bruno Tertrais, issu de la FRS). La guerre en Ukraine et ses conséquences directes comme indirectes fait ensuite l’objet de plusieurs articles, qui traitent tout à tour de la question des chars de combat et de leur intérêt opérationnel pour Kiev (article de Jean-Claude Allard, issu de l’IRIS), des répercussions du conflit sur l’industrie spatiale européenne (article de type « info–veille » de F. Sabourin, issu du CDEM) ou encore de l’action de l’aviation à long rayon d’action russe (article de Malcolm Pinel, issu de la revue Vortex du CESA). Deux papiers proposent enfin une réflexion sur le lien entre opinions publiques et violences endurées par les populations civiles en Syrie et au Yémen (article de Julien Dreveton, issu des Jeunes-IHEDN, ainsi qu’un éclairage sur la prise en compte au pénal des victimes de cybercriminalités (article de Xavier Leonetti, issu de la revue de la Gendarmerie Nationale du CREOGN).

 

Rendez-vous courant mars pour une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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