Édito n° 109/30 du 15 février 2024

« La troisième guerre mondiale sera une guérilla de l'information, sans distinction entre la participation militaire et civile. »
Herbert Marshall McLuhan, universitaire et écrivain canadien, théoricien de la communication (1911-1980), in « Culture Is Our Business »

Le cerveau est-il devenu l’ultime champ de bataille ?

Alors que deux conflits ouverts, de haute et de longue intensité, se déroulent aux portes de l’Europe, une telle question peut sembler, sinon incongrue, en tous cas, décalée d’avec une actualité de violences, de destructions et de souffrances physiques exacerbées.

Les fondamentaux de la pensée stratégique, l’histoire des conflits comme les réalités géopolitiques et technologiques contemporaines invitent à dépasser cette appréciation et à considérer pourquoi, en quoi et comment la manipulation de l’information est devenue un élément crucial de la conflictualité, en cette aube de troisième millénaire.*

Du cheval de Troie à la propagande déployée par les totalitarismes du XXème siècle, en passant par la donation de Constantin, ou plus proche de nous, la dépêche d’Ems, l’histoire enseigne que l’utilisation de la désinformation, de l’infox, sont partie prenante des conflits, à des fins de coercition ou d’influence.

Des écrits de Sun Tzu, concomitants de l’émergence des figures du stratège et du stratégiste dans la Grèce antique, à la « dialectique des volontés » comme le cisèle André Beauffre, au mitan du siècle dernier, le cerveau des hommes, l’appareil cognitif, le siège de l’intention et de la décision, est in fine le « cœur de cible » de la visée stratégique. Une visée qui peut être directe via la manipulation des cœurs et des esprits, et/ou indirecte via la contrainte des corps.

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Avec l’avènement des médias télévisuels internationaux, avec celui surtout du numérique, aiguisé depuis peu par l’IA, demain dopé par le quantique, le recours à la désinformation change d’échelle, mais également de nature.

Comme l’artillerie sur le champ de bataille, l’information manipulée conquiert les cerveaux et sème le chaos au sein des sociétés. Couplé à la cyber-conflictualité, s’appuyant d’ailleurs sur les couches matérielles et logicielles du champ cyber, le recours à la désinformation ne concerne pas exclusivement les conflits ouverts. Ce recours constitue la vraie rupture portée par la notion de guerre hybride. Combinaison de modes d’actions non-militaire et de modes d’actions militaires, sous le seuil du conflit ouvert, la guerre hybride est désormais généralisée, sous-jacente à la paix apparente des sociétés occidentales. De sporadique, d’auxiliaire, d’approximatif, le recours à la désinformation devient permanent, prédominant, ciblé. Il met en péril les sociétés ouvertes.

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Un travail de sape informationnelle est mis en œuvre de façon permanente, dans la profondeur temporelle que peuvent s’arroger les régimes autoritaires, sans négliger les actions plus ponctuelles. Ainsi on pourra, sur le continent africain, instrumentaliser dans la durée un ressentiment post-colonial latent, et créer opportunément un « vrai-faux charnier », comme lors du départ des troupes françaises du campement de Gossi au Mali, au printemps 2022.

Ce travail de sape informationnelle devient prédominant dans les stratégies mises en œuvre par les pays contestant l’ordre international. Ces stratégies s’appuient sur les services de l’état, mais également sur une galaxie d’auxiliaires privés, véritables entrepreneurs d’influence comme le groupe Wagner en Russie ou groupes d’activistes, agissant dans les interstices des réglementations, souvent à l’insu des cibles. Des stratégies qui utilisent également les logiques de profit et/ou la négligence des plates-formes numériques.

Faux sites web, faux organes de presse ou organisations officielles, comme tout récemment le réseau de désinformation russe « Portal Kombat » dévoilé par Viginum, l’agence du SGDSN chargée de surveiller les ingérences numériques étrangères, ou encore « enclavement » algorithmique délibéré sur les réseaux sociaux… Le travail de sape informationnelle exploite la technologie pour cibler les groupes, voire les individus. Ils seront inoculés des infox correspondant à leurs attentes, fragilités ou faiblesses identifiées. On assiste ainsi à un ciblage de la manipulation, un ciblage massif permis par la numérisation des sociétés et par l’utilisation combinée de relais d’influence, de la facilité d’accès à la fabrique de faux, de la prédictivité algorithmique. Un ciblage massif effectué à bas coût, et dont l’attribution n’est pas toujours aisée.

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L’exposition à la désinformation, à la manipulation des images plus particulièrement, est le talon d’Achille des démocraties, là où les autocraties contrôlent et verrouillent les réseaux. Le poison de la désinformation, à l’heure de la manipulation permanente, prédominante et ciblée, constitue donc une menace redoutable pour un principe démocratique en butte à une contestation croissante, à la fois ouverte et insidieuse, internationale et interne.

Face à cette menace, il s’avère capital de penser une stratégie de renforcement « immunitaire », individuel et collectif, de résilience, de résistance des cerveaux, de capacité d’encaisse et de riposte accrues de nos sociétés !

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En ce mois de février 2024, nous vous proposons un nouveau bouquet de six papiers de réflexion stratégique.

Nous l’évoquions, le recours à la désinformation à des fins stratégiques s’accroit et s’accélère. Le papier « En désinformation, le grand changement, c’est l’émergence de l’IA » éclaire ce phénomène. Chine Labbé souligne notamment l’impact de la technologie, et singulièrement de l’IA, tant pour l’utilisation agressive de la désinformation que pour mieux en contrer les effets délétères. Un papier sous forme d’entretien issu de l’IHEDN.

Comment traiter les images d’actes d’une violence inouïe, comme celles des massacres perpétrés le 07 octobre 2023 en Israël ? Une interrogation à l’origine du papier de Stéphanie Courouble-Share : « Diffuser les images du 07 octobre à l’ère de Tiktok : entre témoignage et déni ». Ce papier, issu de la Fondation Jean Jaurès, explore la complexité que revêt la diffusion de telles images. Une diffusion qui témoigne de la nécessité d’éclairer, mais qui s’expose au risque de l’escamotage sinon de la négation de la réalité.

Les élections européennes de juin 2024 constituent un enjeu clef pour l’Union, à l’heure où son avenir et sa place dans un système international en recomposition sont questionnés. Le papier « Chacun sa crise : La politique du traumatisme dans l’année électorale européenne », issu de l’ECFR, expose les points clefs d’une plus vaste étude menée par Mark Leonard et Ivan Krastev sur les ressorts déterminants du futur scrutin. Ces divers points brossent un baromètre de l’opinion continentale, les lignes de convergences ou de clivages qui la traversent. Ces divers points soulignent également les politiques qui seraient envisageables pour concilier les exigences et inquiétudes des européens eu égard à ces défis majeurs qui les mobilisent et les structurent en « tribus » électorales.

Réalité à la fois économique et géopolitique, l’Indopacifique s’impose à l’agenda des relations internationales. Avec « L’Indopacifique, territoire stratégique pour la France », Marc Abensour, Ambassadeur de la France pour la région indopacifique, expose les enjeux portés par cette zone, et souligne les intérêts et responsabilités qui en sont induits pour Paris. Cette analyse constitue le prélude à un exposé des orientations stratégiques que la France entend développer dans cette vaste région rassemblant deux océans majeurs en un espace unique. Un papier issu de la dernière revue Etudes Marines du CESM.

La guerre en Ukraine reformule l’ordre mondial, la géopolitique internationale. Le papier « La guerre en Ukraine, entre opportunités et risques pour Pékin » est issu de la Bibliothèque de l’Ecole Militaire (BEM). Anouchka Dumetz y explore les conséquences du conflit sur la relation sino-russe. Elle analyse la ligne choisie par Pékin vis-à-vis de Moscou, mise en perspective des intérêts propres et des ambitions plus globales de la Chine. Le papier éclaire également l’influence de la guerre en Ukraine sur la situation de crise taïwanaise.

Le recourt croissant au vocable de « Sud global » traduit le bouleversement de la scène géopolitique mondiale et y souligne le déclin relatif de l’Occident. Ce « Sud global » n’est pas exempt de complexité, ni de rivalités entre les pays que l’expression recouvre. « La compétition sino-indienne au miroir du « Sud global » », papier issu de la FRS, aborde une des clefs du nouvel ordre international en gestation. Gilles Boquérat y explore les arcanes de la compétition stratégique, diplomatique, économique entre les deux géants démographiques asiatiques. Une compétition, au miroir du « Sud global » donc, et plus globalement, à celui de l’échiquier mondial.

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Quelques derniers mots pour vous rappeler la sortie récente de « Tu ne tueras point », nouvel opus d’Alain Bauer autour du phénomène de violence domestique, croissante au sein de nos sociétés (plus d’informations sur le lien suivant), et pour vous donner rendez-vous, courant mars 2024, pour une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

 

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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