Édito n° 92/13 du 14 juin 2022

« Nous sommes la première société qui sache qu’elle peut se détruire de façon absolue. Il nous manque néanmoins la croyance qui pourrait étayer ce savoir. » René Girard, anthropologue, historien et philosophe français (1923-2015), in « Achever Clausewitz ».

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Lors du dernier édito, nous évoquions la nécessité pour l’Occident de rester en deçà du point culminant stratégique, face à l’agression armée de la Russie en Ukraine. Après plus de 100 jours d’un conflit qui s’est mué en guerre d’attrition, et avec l’apparition de fissures au sein de la solidarité occidentale vis-à-vis des « buts de guerre », le risque de passer ce point de bascule ne peut être écarté.

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La bataille du Donbass est toujours indécise, avec des forces ukrainiennes qui semblent d’autant plus à la peine qu’elles subissent de lourdes pertes, faute notamment de pouvoir frapper suffisamment dans la profondeur du dispositif opératif russe. Les objectifs de Moscou se sont en effet concentrés sur cette zone. Les troupes russes y progressent pas à pas, précédées par le déluge d’acier que permet leur supériorité en matière d’artillerie, voire en matière de puissance aérienne. Les difficultés du Kremlin à regarnir les rangs, faute de réserves opérationnelles rapidement mobilisables, assombrissent toutefois la soutenabilité, à terme, de cette nouvelle option opérative russe.

La guerre haute intensité est ainsi synonyme de capacité à pouvoir frapper vite, fort, loin, précisément et dans la durée, en coordonnant les moyens et les effets, pour imprimer son rythme à la bataille, pour interdire à l’adversaire la possibilité de régénérer ses forces, pour entamer sa résilience.

Des constats qui devront vraisemblablement orienter nos choix futurs, au vu de nos formats réduits, de nos stocks limités et surtout peut être, de la sensibilité de nos opinions ; chaque jour qui passe équivaudrait à un « Bataclan » pour chacun des deux camps !

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Un Président français, par ailleurs Président en exercice du Conseil de l’Union européenne, peut-il dire cela ? Le souci du président Macron de « ne pas humilier la Russie » parait creuser une faille entre les tenants d’une guerre à outrance, pour affaiblir encore davantage la machine de guerre du Kremlin, et ceux qui militent à plus bas bruit pour laisser ouverte la voie d’une négociation vers un cessez-le-feu.

Si les armes parlent et parleront vraisemblablement encore jusqu’à ce qu’une des parties prenne suffisamment le dessus sur le terrain, la possibilité d’un règlement, même provisoire et/ou imparfait du conflit ne devrait toutefois pas être escamotée. L’approche « belliciste », vue des capitales de l’Europe orientale, certes naguère sous le joug (plus ou moins directe) des forces du Pacte de Varsovie, vue également de Londres et de Washington, pour des considérations peut être plus « Realpolitik », ne devraient pas occulter quelques faits.

La Russie demeurera une superpuissance nucléaire à l’est de l’Europe. Les Ukrainiens sont les seuls à payer le prix du sang. La cohésion constitue le centre de gravité stratégique de l’Occident. Les pays tiers n’épouseront pas la ligne occidentale face à Moscou. Les dommages collatéraux de la guerre grèvent l’économie et les subsistances d’une bonne partie de l’humanité…

Le risque d’une nouvelle fracture de l’Europe entre « Vieille » et « Nouvelle », pour des résultats stratégiques plus que discutables, n’est donc pas exclu. Le risque d’une montée aux extrêmes ne l’est pas non plus.

Tout en restant ferme et lucide sur le révisionnisme géopolitique du pouvoir russe, tout en assurant un soutien clair et manifeste à l’Ukraine dans sa volonté légitime de recouvrer sa souveraineté, ne vaut-il pas mieux également ménager la possibilité que ce conflit brutal, et sa cohorte d’exactions, puissent trouver une issue, y compris peut être sous la forme temporaire d’une « Guerre froide », et donner ainsi du temps au temps ?

Faute de paix véritable, la péninsule coréenne, le Proche-Orient ou encore l’ile de Chypre peuvent être rangées dans cette catégorie, peu reluisante au regard du Droit et de la Morale, mais préférable à celle d’un conflit ouvert interminable, sinon dévastateur ?

De l’intérêt de la patience stratégique, à l’heure où d’autres révisionnismes géopolitiques grondent (Chine, Iran, Islamisme djihadiste…), où le risque pandémique n’est pas écarté, où l’alarme climatique fait planer une menace mortelle sur l’Humanité ?

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L’Europe peut-elle envisager s’inviter, en tant qu’acteur stratégique responsable, à la table des négociations qui devra un jour être dressée (et aux compromis dont elle aura certainement à endosser une bonne part, sous formes de financements, d’assurances de sécurité, et peut être d’intégration pour l’Ukraine), en humiliant, sinon la Russie, du moins l’Avenir ?

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Comme nous vous le précisions le mois dernier, GeoStrategia s’associera aux prochaines Assises Nationales de la Recherche Stratégique qui se dérouleront le 29 septembre 2022 au Cnam, une date à réserver d’ores et déjà. Vous pouvez trouver de toutes premières informations via le présent lien.

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En ce mois de juin 2022, nous vous proposons une nouvelle sélection de six articles de réflexion sur les questions stratégiques.

La guerre en Ukraine reste au cœur de cette sélection, avec une analyse des scenarii de sortie du conflit et leur impact potentiel sur l’unité européenne (article ECFR), avec l’incidence du conflit sur la situation de dépendance énergétique de l’UE à l’égard de Moscou, et les opportunités ouvertes (article Fondation Robert Schuman), avec, plus indirectement, la concurrence géopolitique Occident-Russie qui s’accroît en Afrique et notamment au Soudan (article CDEM). Le bouquet de juin s’intéresse également à l’Afrique au prisme d’autres questions stratégiques, celle de la posture stratégique française post-Barkhane (article IFRI) ou encore celle des racines profondes du Djihadisme (article ESD). La sélection de ce mois propose enfin un retour sur la crise pandémique et sur sa gestion par l’Etat (article IHEMI).

Rendez-vous courant juillet, pour une nouvelle publication de votre Agora stratégique.

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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