Édito n° 102/23 du 17 mai 2023

« […] dans le monde des hommes les arguments de justice n'ont de poids que si les forces des adversaires sont égales. Dans le cas contraire, les plus forts tirent tout le parti possible de leur puissance et les plus faibles n'ont qu'à s'incliner. »
Thucydide, historien, homme politique, stratège grec (environ – 460 av. J.-C. ; environ – 400 av. J.-C.), in "Histoire de la guerre du Péloponnèse".

La guerre en Ukraine serait-elle à la fois le révélateur et l’accélérateur de la perte relative de puissance et d’influence de l’Occident, et plus particulièrement des États-Unis, sur la scène internationale ?

*

Une récente étude de l’opinion internationale menée par l’European Council on Foreign Relations (ECFR) parait souligner cette tendance lourde, avec la mise en lumière d’un clivage s’approfondissant entre « The West and the Rest » sur l’Ukraine, et au-delà, sur l’ordre international et sur la démocratie.

L’étude met en lumière le partage sinon la division entre les opinions des pays occidentaux d’une part (États-Unis, Royaume-Uni, Europe), de Chine, d’Inde, de Turquie et de Russie d’autre part. Le clivage porte sur la qualification des belligérants (la Russie, adversaire, rival versus la Russie partenaire), sur les conditions d’une fin du conflit (si recouvrement complet des territoires par l’Ukraine versus même avec cession de territoires par l’Ukraine), ou encore sur les mobiles du soutien à l’Ukraine (la défense de la démocratie ou de la sécurité européenne versus la défense d’agendas de puissance). Une convergence semble en revanche s’établir sur la prédiction d’une fin de la domination mondiale des États-Unis pour la prochaine décennie, et sur la mise en place corollaire d’un monde bipolarisé, voire multipolarisé. On peut noter toutefois, au sein des puissances émergentes et singulièrement en Inde, une réceptivité à l’idée de travailler à la fois avec l’Occident et avec le reste du monde.

*

Un sondage ne fait pas l’élection, ni la configuration future du monde, mais ces éléments éclairent le positionnement des pays dits du Sud face à la guerre en Ukraine et aux différentes condamnations et sanctions proposées par les occidentaux. Ces éléments illustrent donc les mouvements tectoniques de la scène géopolitique internationale, dont témoignent également les récentes évolutions diplomatiques (montée de l’influence chinoise au Moyen-Orient, positionnement international du Brésil ou de l’Afrique du Sud…) ou économiques (poids croissant des BRICS…).

Pour reprendre les mots d’un des auteurs du rapport, et par ailleurs directeur de l’ECFR, Mark Leonard : « Le paradoxe de la guerre en Ukraine est que l’Occident est à la fois plus uni et moins influent dans le monde que jamais auparavant. ».

*

Face au risque de polarisation, de fragmentation en écosystèmes techno-économiques déconnectés d’un monde qui se brutalise, l’heure n’est vraisemblablement pas à l’accentuation d’une posture simplificatrice, voire manichéenne. Cette posture qui séparerait les « démocraties », incidemment les pays soutiens de l’Ukraine, et les « autocraties », serait à la fois anachronique (la Guerre Froide est terminée) et impropre vis-à-vis de la réalité de puissances démocratiques du Sud, réalité incarnée par le Brésil, l’Inde ou encore l’Afrique du Sud (même si ces démocraties peuvent être imparfaites). Elle serait en outre imprudente, car susceptible de froisser des puissances aspirant à et revendiquant une pleine souveraineté sur l’échiquier planétaire.

*

Nous évoquions, lors du dernier édito, le rôle international de l’Europe, et celui de la France, comme aiguillon à la fois habile, lucide et déterminé au sein de l’UE. Face au monde qui vient, l’ambition qui pourrait animer, orienter la boussole de l’Union seraient bien d’œuvrer à réduire le risque de confrontation entre pôles dont la rivalité s’exacerbe, tout en renforçant sa « responsabilité » sinon son autonomie stratégique. Deux impératifs liés, en interaction, en rétroaction, qui peuvent s’inscrire dans un cercle vertueux ou dans une boucle « piteuse ».

Comme le rappelle Louis Gautier, il faut être fort pour à la fois dissuader les agresseurs potentiels et contribuer à rapprocher les belligérants, à établir une paix qui se prépare toujours avant que les armes se soient tues.

Comme le précise par ailleurs Pascal Boniface, l’autonomie ne s’oppose pas à l’alliance, et ne traduirait certainement pas pour l’Union une position d’équidistance entre l’allié américain et le « partenaire-concurrent-rival » chinois.

Une prise de responsabilité stratégique de l’UE serait à la source d’une nouvelle vision du monde et de son équilibre à venir, nouvelle vision susceptible de convaincre de grandes puissances émergentes, comme l’Inde plus particulièrement. Une renonciation à cette responsabilité stratégique pourrait mettre la sécurité européenne à la merci d’un vote de swing state et/ou se muer en alignement sinon vassalisation vis-à-vis des États-Unis. Une UE qui serait alors réduite, voire sommée, d’épouser la querelle avec la Chine, comme il y a 20 ans celle avec l’Irak ?

*

L’Histoire enseigne que la perte relative de puissance et d’influence d’un hégémon peut se transformer en conflit(s).

Une Europe, puissance de paix, pourrait prétendre contribuer utilement à la définition d’une nouvelle architecture de sécurité sur le continent européen. Les résultats de la contre-offensive militaire ukrainienne annoncée pourraient notamment rebattre les cartes d’un conflit qui ne constitue pas la priorité stratégique des États-Unis, et dont les conditions de résolution concerneront l’Europe au premier chef.

Une Europe, puissance de paix, pourrait prétendre empêcher que la tension actuelle prévalant entre Washington et Pékin, sur fond de fréquentes gesticulations militaires, de déclarations tranchées, de gel des rencontres de haut niveau ou encore de découplage technologique, ne se transforme en prophétie autoréalisatrice, en chronique d’une guerre annoncée.

Une puissance exclusivement civile comme l’est encore l’UE aujourd’hui ne peut vraisemblablement pas prétendre tenir le rôle d’une puissance de paix !

***

En ce mois de mai 2023, vous disposez encore du temps nécessaire pour rejoindre et suivre le MOOC du Cnam « Questions Stratégiques ; comprendre et décider dans un monde en mutation » sur la plate-forme France Université Numérique (inscriptions ouvertes jusqu’au le 21 mai 2023 ; fin des diffusions le 04 juin 2023), via le lien suivant : lien

En ce mois de mai 2023, nous vous proposons une nouvelle sélection de six papiers de réflexion stratégique.

Avec « Le grand retour de la guerre » (traduction d’un article issu de l’IJOC ; International Journal on Criminology), Alain Bauer propose une mise en perspective historique et stratégique du retour de la guerre de haute et de longue intensité en Europe, comme en introduction à son récent ouvrage « Au commencement était la Guerre » (édité chez Fayard).

Le papier de Jean-Claude Allard, « Guerre en Ukraine : bilans et perspectives » (issu de l’IRIS), propose de dépasser l’écume des péripéties tragiques de la guerre en Ukraine pour envisager les dynamiques profondes et calculs stratégiques à l’œuvre.

« Au-delà du budget de la défense : comment renforcer l’influence de la France ? ». Avec ce papier (issu de la Fondation Jean Jaurès), Renaud Bellais s’intéresse à l’influence, érigée en nouvelle fonction stratégique de la défense nationale, et aux aboutissements qui permettront d’en apprécier l’efficacité en Europe.

Le papier « y-a-t-il un problème allemand » d’Antoine Pouillieute (papier issu de Synopia) envisage le destin de l’Allemagne comme puissance, l’idée qu’elle s’en fait et la projection internationale qu’elle implique. Avec en filigrane l’interrogation sur la relation franco-allemande au sein de l’Europe.

« Quel avenir pour le trumpisme ? ». A l’heure de la guerre en Ukraine et de la rivalité croissante avec la Chine, le sujet traité par Maya Kandel (article issu de la revue Politique Etrangère de l’IFRI) relève certes de la politique intérieure américaine, mais porte un impact international potentiel majeur, en particulier pour l’Europe.

La note de Guillaume Lasconjarias, « Stocks stratégiques : mobiliser et immobiliser ? » (note issue de l’IHEDN), analyse la question des stocks stratégiques. Une question qui se pose sous un nouveau jour, avec le retour de la guerre de haute et de longue intensité en Europe, et qui invite à définir la nature de ces stocks, leur usage, la façon de les générer comme de les gérer.

Rendez-vous courant juin pour une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

Nos partenaires

Académie du renseignement
Bibliothèque de l’Ecole militaire
Centre d'études stratégiques de la Marine
Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA)
Centre de Recherche de l'Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale
Centre des Hautes Etudes Militaires
Chaire Défense & Aérospatial
Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM/Centre FrancoPaix
Conflits
Ecole de Guerre
Encyclopédie de l’énergie
ESD-CNAM
European Council on Foreign Relations
Fondation Jean Jaurès
Fondation maison des sciences de l'homme
Fondation pour la recherche stratégique
Fondation Robert Schuman
Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale
Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur
Institut Français des Relations Internationales
International Journal on Criminology
IRSEM
L’Association des Auditeurs et cadres des sessions nationales "Armement & Economie de Défense" (3AED-IHEDN)
Les Jeunes IHEDN
Revue Défense Nationale
Revue Géostratégiques / Académie de Géopolitique de Paris
Sécurité Globale
Synopia
Union-IHEDN/Revue Défense
Université Technologique de Troyes
Académie du renseignement
Bibliothèque de l’Ecole militaire
Centre d'études stratégiques de la Marine
Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA)
Centre de Recherche de l'Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale
Centre des Hautes Etudes Militaires
Chaire Défense & Aérospatial
Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM/Centre FrancoPaix
Conflits
Ecole de Guerre
Encyclopédie de l’énergie
ESD-CNAM
European Council on Foreign Relations
Fondation Jean Jaurès
Fondation maison des sciences de l'homme
Fondation pour la recherche stratégique
Fondation Robert Schuman
Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale
Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur
Institut Français des Relations Internationales
International Journal on Criminology
IRSEM
L’Association des Auditeurs et cadres des sessions nationales "Armement & Economie de Défense" (3AED-IHEDN)
Les Jeunes IHEDN
Revue Défense Nationale
Revue Géostratégiques / Académie de Géopolitique de Paris
Sécurité Globale
Synopia
Union-IHEDN/Revue Défense
Université Technologique de Troyes

 

afficher nos partenaires