« Ce n’est pas la Règle qui nous garde, c’est nous qui gardons la Règle » Georges Bernanos, écrivain français (1888 – 1948), in Dialogue des Carmélites
La guerre en Ukraine illustre à plus d’un titre la contestation par des puissances révisionnistes de l’ordre international fondé en 1945, puissances révisionnistes au premier rang desquelles figurent la Russie et la Chine. Une contestation dont les manifestations, les causes ou les conséquences portent des enjeux majeurs sinon structurants pour les Relations internationales
*
Lors d’un récent colloque organisée début février 2023 par la Chaire des Grands Enjeux Stratégiques Contemporains, Alain Frachon soulignait les trois griefs mis en avant par les puissances dites révisionnistes pour contester le système international fondé en 1945.
Au-delà de « l’amitié sans limites » entre les deux peuples, qui n’est d’ailleurs pas une alliance sans limites, la déclaration commune sino-russe du 04 février 2022, en marge de l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, affirmait et pointait ce qui justifiait, aux yeux de Xi Jinping et de Vladimir Poutine, leur défiance et leur récusation de ce que l’on nomme également l’ordre libéral international.
La déclaration dénonçait tout d’abord l’infidélité des pays occidentaux aux normes et valeurs inscrites dans les textes fondateurs du système international : la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Charte des Nations Unies. Derrière ce procès en infidélité, il convient de lire le « double standard » ou le « deux poids, deux mesures » dont seraient coupables les pays occidentaux vis-à-vis des normes comme la souveraineté, ou encore le droit des peuples à l’auto-détermination.
La déclaration fustigeait ensuite l’obsolescence d’un système international, qui ne pouvait plus se considérer comme représentatif de l’état du monde et de la distribution de la puissance économique ou démographique en son sein.
La déclaration blâmait enfin ce qui est vu comme un tropisme délétère à l’occidentalo-centrisme dans la définition des normes et valeurs, en particulier pour celles concernant la démocratie, et les sermons moraux qui accompagnent ce tropisme. La déclinaison occidentale de la démocratie, mais également des droits de l’homme, ne seraient qu’une parmi d’autres, tout aussi légitimes et estimables.
*
Cette contestation parfaitement consignée dans la déclaration commune souligne, comme le rappelle Alain Bauer, notre propension à oublier, sinon à ne pas vouloir voir ce que les autres disent, écrivent, proclament, comme étant le révélateur de leurs pensées, de leurs intentions, de leurs projets.
Cette contestation s’appuie sur des faits parfois peu réfutables, des situations historiques ou les occidentaux ont pu peser excessivement à l’aune de leurs intérêts de puissance, l’application du principe de souveraineté, le partage des responsabilités sur l’échiquier planétaire, ou encore la dénonciation des atteintes aux droits fondamentaux des individus.
On peut penser à la question irakienne, à la question libyenne. On peut penser également à la composition du CSNU et au droit de véto. On peut penser enfin à l’importance de l’aide politique, militaire, matériellze et morale accordée aujourd’hui à l’Ukraine envahie, au regard de l’intérêt attribué au conflit en Erythrée, ou encore à l’accommodement diplomatique avec des régimes tout aussi autocratiques que d’autres qui eux, sont dénoncés comme tels, sinon sanctionnés.
Cette contestation est surtout politique, idéologique, culturelle. Elle entend présenter un contre-modèle à celui de la démocratie libérale telle que pratiquée en Occident, contre-modèle qui offrirait aux populations de meilleures perspectives de prospérité, de sécurité, de liberté.
*
Cette contestation souligne le déclin relatif de l’Occident, ou tout au moins, la perte du monopole ou de l’hégémonie qu’ils détenaient en termes de puissances, puissance économique, puissance technologique, puissance militaire, qui en s’agrégeant en puissance stratégique, permettent de peser de façon déterminante sur l’ordre du monde.
Conjoncturellement, plus d’un an après l’invasion russe de l’Ukraine, la contestation s’illustre par une triple illusion que nous évoquions en filigrane lors des édito précédents et qu’a pu récemment signaler Alexandra de Hoop Scheffer. L’interdépendance économique avec la Russie n’a pas créé les conditions d’une paix durable, ni l’approfondissement démocratique, à Moscou comme à Pékin d’ailleurs. L’agression armée brutale, négatrice des principes du droit international, dure et s’exaspère, en dépit des condamnations, mais également de l’aide militaire et des sanctions occidentales. La Russie n’est pas devenue le paria de l’échiquier international.
Structurellement, la contestation pose la question de l’universalité des principes, des normes et valeurs portés par la Déclaration universelle des droits de l’homme comme par la Charte des Nations-Unis. S’agit-il d’une réelle universalité ou d’une conception relative, que l’occident proposerait, voire imposerait aux autres cultures et civilisations ?
Un tel débat ne saurait bien entendu être tranché en quelques lignes, encore moins en quelques slogans et postures. On peut toutefois noter que la dénonciation d’infidélité, d’obsolescence et d’occidentalo-centrisme du corpus de règles qui régit le système international actuel s’accompagne de conceptions et d’agissements pour le moins préoccupants, vis-à-vis des populations, de l’exercice du pouvoir ou encore de la souveraineté, de la part des « autres modèles », le Russe comme le Chinois… On peut également considérer plus avantageux de définir, notamment avec les pays du « Sud Global », le rôle constructif de chacun à l’avènement d’une issue à la guerre en Ukraine (comme le précise également Alexandra de Hoop Scheffer), et plus généralement à la gestion des dossiers multilatéraux (sécurité, santé, climat…), sans nécessairement chercher à gagner, à toute force, la planète à nos normes et valeurs !
*
Au-delà d’évolutions nécessaires, à raison de celles du monde, en serait-il du système international fondé en 1945 et de ses principes comme de la démocratie, au sens ou l’entendait Churchill : le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres ?
***
En ce mois de mars 2023, nous vous confirmons que les inscriptions pour le cours en ligne ou MOOC du Cnam « Questions Stratégiques ; comprendre et décider dans un monde en mutation » sont désormais ouvertes. Nous aurons l’occasion d’y revenir prochainement, mais vous pouvez donc d’ores et déjà vous inscrire pour le nouveau parcours, actualisé et complété, sur la plate-forme France Université Numérique (FUN) via le lien suivant : https://www.fun-mooc.fr/fr/cours/questions-strategiques-comprendre-et-decider-dans-un-monde-en-mutation/
En ce mois de mars 2023, alors que nous avons passé depuis peu l’anniversaire du déclenchement de l’agression armée russe en Ukraine, nous vous proposons un nouveau choix d’articles de réflexion stratégiques sur ce sujet clef pour la grammaire des relations internationales, pour l’Europe, pour la France.
La guerre en Ukraine souligne une nouvelle équation géopolitique et une nouvelle donne stratégique qui placent l’Europe face à un véritable défi existentiel (Jean-Paul Palomeros : « L’Europe puissance : maintenant ou jamais » ; Fondation Robert Schuman). L’adaptation à ce contexte inédit enjoint l’UE à repenser les termes de sa défense (Camille Grand : « Stratégie, capacités et technologie : Un manifeste pour une nouvelle défense européenne » ; ECFR) et à s’interroger sur l’après-guerre et sur les conditions de la sécurité du continent qui pourront en résulter (Jean-Philippe Wirth : « Après la guerre en Ukraine » ; Synopia).
Un an après le déclenchement du conflit, vous pourrez jauger le soutien dont bénéficie l’Ukraine au sein des opinions publiques européennes (Jérôme Fourquet : « Regards européens sur la guerre en Ukraine – un an après. Principaux enseignements » ; Fondation Jean Jaurès) comme évaluer celui que la population russe accorde à la guerre menée par le Kremlin contre Kiev (Tatiana Kastouéva-Jean : « Un an de guerre en Ukraine : où en sont les Russes ? » ; revue Politique Etrangère de l’IFRI).
La nouvelle donne géopolitique du monde qui vient ne doit pas occulter le poids grandissant d’acteurs de l’ombre, et singulièrement des mafias, poids grandissant Urbi et Orbi par rapport aux sociétés où elles sont enracinées (Clotilde Champeyrache : « Des mafias globales » ; traduction de courtoisie d’un article de l’International Journal on Criminology).
En ce mois de mars, nous vous signalons enfin la sortie du dernier ouvrage d’Alain Bauer « Au commencement était la guerre » chez Fayard (cliquez ici).
Rendez-vous courant avril pour une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.
Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.