Édito n° 110/31 du 26 mars 2024

« Un seul homme peut déclencher une guerre, mais il faut être deux pour faire la paix. »
Henry de Montherlant, romancier, essayiste et dramaturge français (1895-1972)

Le conflit en Ukraine entre dans sa troisième année, et la situation sur le front militaire, qui semble comme enlisée, soulève la question d’une impasse durable ou d’une pause temporaire, porteuse de prochaines poussées d’envergure, sinon de ruptures ?

Ces deux années de guerre de haute et de longue intensité invitent à porter un regard distancié sur les forces et faiblesses que présentent les deux camps en confrontation. Un regard distancié, tant sur les opérations militaires, sur le terrain, qu’à hauteur stratégique, qui pourra donner quelques éclairages sur la situation présente et sur ses perspectives d’évolution.

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Sur le terrain, l’armée ukrainienne n’a pas pu mener à bien la percée espérée au printemps dernier, et souffre depuis la fin 2023 face au regain d’activité russe. Un regain qui s’avère épaulé par un net différentiel de feu d’artillerie et par une relative meilleure utilisation du feu aérien. La masse permise par un rapport démographique près de quatre fois supérieur, la capacité de feu qu’offre la mobilisation du complexe militaro-industriel russe, mais également de la Corée du Nord, et le manque de supériorité aérienne contraignent les forces ukrainiennes à la défensive.

En adoptant une telle posture défensive, retranchée, les forces ukrainiennes visent à limiter les conséquences du rapport de force favorable à Moscou. Elles manifestent ainsi la flexibilité, la capacité d’adaptation, sur lesquelles elles ont fait fond pour contrer l’agression initiale début 2022, puis refouler l’agresseur au printemps de la même année.

Pour autant, on peut s’interroger sur l’enchaînement qui a amené les Ukrainiens à s’épuiser ainsi sur les défenses russes jusqu’à l’automne dernier, passant le point culminant, après une campagne de refoulement dynamique, pour tomber dans les affres d’une guerre de position et d’attrition.

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Nous l’évoquions lors d’un précédent édito, les deux camps présentent des différences marquées en termes de profondeur stratégique.

D’un côté, une Russie qui bénéficie de dimensions géographiques, économiques et démographiques plus avantageuses, mais également d’un soutien politique extérieur certes relativement discret, mais actif, directement (Corée du Nord, Iran, Biélorussie…), indirectement, par le truchement commercial (Chine…). La Russie bénéficie également de neutralités ambivalentes (Turquie, Hongrie, Afrique du Sud…).

De l’autre, une Ukraine dont la profondeur stratégique tient au soutien occidental. Un soutien occidental qui s’avère aujourd’hui insuffisant, oscillant sinon chancelant même (au congrès américain…), mais avec néanmoins une prise de conscience croissante en Europe des conséquences d’une défaite ukrainienne pour la sécurité du continent.

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La situation est ainsi particulièrement préoccupante pour l’Ukraine sur le terrain, avec un appui de l’occident, primordial mais déficient. Vladimir Poutine vient d’être plébiscité dans son statut de président de la Fédération de Russie et de chef de guerre. Un des candidats à la Maison Blanche souffle le chaud et le froid sur la pérennité du soutien américain, à l’Ukraine, et jusque sur le « saint des saints » de l’OTAN, l’article cinq du traité de l’Atlantique Nord…

C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer les déclarations du président Macron sur l’éventuel envoi de soldats occidentaux en Ukraine, déclarations aux termes annoncés comme pesés au trébuchet.

On peut y lire non seulement une volonté de créer de l’ambiguïté, de l’incertitude stratégique pour Moscou, mais également de mobiliser, de sensibiliser les partenaires comme les opinions sur le contexte évoqué et sur le défi ainsi créé pour l’Europe. On peut aussi y lire un enjeu de positionnement relatif, au moment où une dynamique d’autonomie stratégique européenne pourrait, devrait se renforcer, au moment où de surcroît des échéances électorales majeures pour l’UE se profilent.

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Certains autres signaux mériteront par ailleurs d’être observés dans les mois qui viennent, pour tenter de percer les brumes de l’incertitude entre impasse et pause.

Ainsi des prix de l’énergie, qui constituent un paramètre clef de la résilience économique russe. Ainsi du volume et des flux de l’assistance extérieure, vitale pour l’économie ukrainienne. Ainsi de l’adaptation et du consentement à la guerre au sein des deux populations russe et ukrainienne, qui certes semblent s’effriter, mais qui restent dans les deux pays (pour des raisons différentes) à des niveaux écartant une perspective de négociations à court, sinon à moyen terme. Ainsi de la capacité des deux camps à recruter et à former de nouvelles troupes, avec en Ukraine les limites du modèle d’engagement volontaire, et en Russie celle des rétributions inégales consenties aux engagés.

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Une Ukraine sous perfusion occidentale peut-elle l’emporter sur une Russie dont l’économie s’érode ? Et que signifie l’emporter, alors que l’histoire souligne bien souvent que la paix ne redevient possible que si chacun des deux camps a l’impression, sinon d’être victorieux, du moins d’avoir été entendu ?

La question initiale, impasse versus pause pour le conflit en cours, semblerait pencher du second côté de l’alternative, si l’on en juge par la récente analyse menée par Yohann Michel, Olivier Schmitt et Élie Tenenbaum (disponible dans la sélection mensuelle). Un conflit dont la centralité, pour chacun des protagonistes et soutiens, n’invalide toutefois pas la menace que le terrorisme islamiste fait peser indifféremment sur tous. L’attentat du 22 mars dernier, perpétré par l’État islamique au Crocus City Hall de Moscou, le rappelle dans la douleur.

La mise en échec de la Russie parait à la portée d’une Ukraine qui serait appuyée sur un occident déterminé et rassemblé. Toutefois, la capacité de Kiev à recouvrer la plénitude des territoires annexés semble des plus hypothétiques, sauf effondrement encore plus improbable de la Fédération de Russie.

Et là, nous serions face à une situation toute autre, avec près de 6000 têtes nucléaires en déshérence !

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En ce mois de mars 2024, nous vous proposons un nouveau bouquet de six papiers de réflexion stratégique.

 

Décrypter le conflit Israël-Hamas, à l’aune de l’évolution des doctrines militaires, c’est l’angle d’approche que propose Alain Bauer avec « Israël : comment les doctrines militaires ont changé ». Le papier éclaire la stratégie militaire développée par l’état hébreu à la suite de l’agression subie le 07 octobre 2023, en analysant les trois principales transformations doctrinales, le « comment » agir en opérations de guerre, menées depuis le conflit de 2006 avec le Hezbollah. Cet éclairage sur les évolutions doctrinales militaires souligne, comme par contraste, l’incertitude qui pèse sur le point d’aboutissement politique du conflit en cours. Un papier issu du Cnam/ESDR3C (initialement paru dans l’Opinion).

Comme évoqué par la première partie de l’édito, le front de la guerre en Ukraine semble figé, à la suite de l’échec de la contre-offensive du printemps 2023, et le conflit entre dans sa troisième année. C’est le constat de départ, prélude à une réflexion sur les dynamiques stratégiques du conflit, différenciées entre les adversaires, que propose le papier « Les enjeux militaires de la guerre d’Ukraine : une impasse en trompe-l’œil ? ». Yohann Michel, Olivier Schmitt et Élie Tenenbaum y exposent également les premiers enseignements militaires d’un affrontement de haute intensité, un affrontement qui leur semble in fine davantage en « recharge » qu’en impasse. Un papier issu de la revue Politique Etrangère (printemps 2024) de l’IFRI.

Alors que 2024 s’annonce à maints égards comme une année charnière, sur les plans géopolitiques et stratégiques singulièrement, la question du rôle des Européens vis-à-vis de la défense de l’Europe prend un relief inédit. Le général (2s) Jean-Paul Palomeros inscrit sa réflexion une perspective à la fois historique et prospective. Le papier « La Défense de l’Europe par les Européens : un mythe, une nécessité, une ambition, un espoir ? » aborde ainsi avec hauteur, mesure, lucidité et non sans conviction cette question, ses enjeux et défis clés. La guerre de haute intensité aux portes de l’Union indique à l’Europe et aux Européens un chemin de volonté, pour faire face aux exigences du moment et à celles de l’avenir. Un papier issu de la Fondation Robert Schuman.

Le papier « Les fondements de la souveraineté » propose la transcription d’une intervention prononcée lors d’une conférence sur les fondements de la souveraineté, tenue fin 2023 au Conseil d’État. Dans un monde certes interdépendant, les transformations géopolitiques en cours s’accompagnent d’un renforcement comme d’une reformulation du cadre et de l’exercice de la souveraineté. Le général (2s) André Lanata aborde plus particulièrement la relation entre l’exercice de la souveraineté et la défense. Une approche en cinq points, contextualisée, pesée, du caractère de garantie indispensable que constitue la défense pour l’exercice de la souveraineté. Une défense qui fait fond non seulement sur des capacités ou sur des alliances, mais également sur des forces morales. Un papier issu de Synopia.

La notion de force est centrale pour les armées, placées par essence face à sa mise en œuvre. Le papier « Guerre et philosophie – Force » s’interroge sur ce concept plurivoque, et aborde en particulier la question de la légitimité de son usage et des principes qui peuvent l’encadrer. Laura Moaté aborde donc le rôle de l’État, primordial pour définir le cadre de l’emploi de la force, une force qui soit légale et légitime aux yeux du politique comme à ceux des citoyens. Elle aborde également la relation qui s’instaure entre force et ruse comme entre ethos et stratégie. Un papier issu de la revue (févier 2024) RDN.

Les Balkans, une zone d’émiettements identitaires et de tensions géopolitiques qui mérite assurément d’être abordée sous différents prismes pour mieux en saisir la complexité. Avec « Géopolitique des Balkans et diversité des nationalités », Gérard-François Dumont propose une démarche novatrice pour aborder les groupes humains, acteurs et influenceurs des évolutions géopolitiques, indépendamment des frontières politiques intra-balkaniques. Le papier brosse un tableau d’ensemble de ce « kaléidoscope géopolitique », bordant l’Union européenne. Il en souligne également les tendances, qu’elles soient inscrites dans le contexte humain et politique ou dans les projections démographiques. Un papier issu de la revue Géostratégiques de l’Académie de géopolitique de Paris.

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Rendez-vous courant avril 2024, pour une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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