Édito n° 96/17 du 17 novembre 2022

« Chacun se prépare contre l’agression probable du voisin et interprète ses préparatifs comme la confirmation de ses tendances agressives. » René Girard, anthropologue, historien et philosophe français (1923-2015), in « La Violence et le Sacré ».

La chute de missiles sur le sol polonais le 15 novembre 2022 crée un précédent. Cet évènement montre, en dépit du sang-froid et de la mesure des alliés de l’OTAN, que le risque d’escalade et d’embrasement international de ce conflit demeure possible, à la faveur d’un incident de frontière.

Cet évènement survient alors que des frappes de rétorsion sont menées, en réponse à l’entrée des forces ukrainiennes dans Kherson abandonnée, le 11 novembre 2022. Sur fond de discours « humaniste » (épargner la vie des civils et des militaires), le retrait russe du côté oriental du Dniepr semble s’être effectué en relatif bon ordre. S’il constitue sans réserve un revers militaire et politique cuisant, après les annexions annoncées, il parait avoir été préféré au risque d’humiliation qu’aurait immanquablement matérialisé un siège de la ville victorieux, suivi d’images de milliers de prisonniers.

Sauf escalade imprévisible, et avec l’arrivée des renforts russes, à la combativité certes incertaine, mais également de la « raspoutitsa », des boues gluantes d’automne, puis des grands froids, les opérations militaires pourraient être limitées pour quelques mois. Un conflit transformé en guerre de « grignotage », voire figé, offrirait-il aux diplomates une fenêtre d’opportunité ?

Une paix négociée, c’est bien ce que plaidaient les pays du Sud rassemblés au 5ème Forum de Paris pour la Paix (10-12 novembre 2022), regrettant le « double standard » d’un agenda international centré sur l’Ukraine au détriment des multiples conflits en Afrique. Ainsi la guerre au Tigré qui aurait occasionné la mort de plusieurs centaines de milliers de militaires et de civils en 24 mois.

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Risque d’un engrenage incoercible ou de fuite en avant d’un pouvoir russe auquel le monopole de la violence légitime semble même échapper (exécution sommaire au sein de la milice Wagner) … L’ombre portée par le nucléaire sur ce conflit reste présente. La guerre en Ukraine souligne la prégnance de ce fait nucléaire comme sa double nature. René Girard l’évoquait, les armes nucléaires jouent ce rôle ambivalent de « Pharmakon », à la fois remède et poison, à la fois capables d’endiguer la violence armée extrême et d’en déchainer les effets.

Ce conflit russo-ukrainien, mené sous le double signe de la sanctuarisation et de l’intimidation nucléaires, ne laisse pas de retentir sur les dossiers nord-coréen et iranien. Antoine Bondaz le souligne, en distrayant des autres sujets de tensions et en paralysant le Conseil de Sécurité, la guerre en Ukraine offre une occasion unique qu’a saisie Kim Jong-un pour affirmer un rapport de force en sa faveur. La récente pluie de test de missiles va de pair avec la proclamation du caractère irréversible du nucléaire nord-coréen. Et par ailleurs, l’Iran et la Russie pourraient-elles considérer un pacte occulte, où l’appui diplomatique et militaire (via la livraison d’armements) serait payé en retour d’une aide technologique décisive pour l’accès au nucléaire militaire ?

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A Pékin, la conclusion du 20ème congrès du PCC peut être résumée par la formule de Chloé Froissart : « Le Parti dirige tout et Xi dirige le Parti ». Xi Jinping dispose désormais de pleins pouvoirs pour se confronter à l’Occident en faisant de la « sécurité nationale » la priorité et en préparant la Chine « à affronter les rudes épreuves qui se succéderont … voire des ouragans ». La Chine semble en effet aujourd’hui prête à payer le coût de ses positions politiques ou géostratégiques comme le souligne Alice Ekman, l’économie devenant un pilier de puissance parmi d’autres.

Comme en écho mimétique, de l’autre côté du Pacifique, le piège de Thucydide se refermerait-il ? Le découplage avec Pékin est en marche, et Alexandra de Hoop Scheffer le rappelle, « L’America First » de Donald Trump s’est mué en « America is back » de Joe Biden. Le chef de l’US Strategic Command n’hésite pas à annoncer un prochain « big one » avec Pékin, qualifie le conflit avec la Russie de « warm up » et alerte ouvertement sur ce qu’il considère comme un effritement rapide de la capacité de dissuasion américaine vis-à-vis de la Chine. Les alliés européens sont invités à s’aligner sur la lecture que donne Washington de la menace chinoise. C’est d’ailleurs ce que reflètent, plus ou moins fidèlement, les tous derniers documents d’orientation stratégique de l’OTAN ou de l’UE.

Si la rencontre Biden-Xi du G20 de Bali, le 14 novembre 2022, aura fait baisser la tension, la rivalité foncière transpacifique demeure, avec la question de Taïwan en point d’orgue.

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Dans un tel contexte, l’autonomie stratégique européenne parait indispensable mais, comme aurait dit jadis Clémenceau à propos du Brésil, semble encore s’apparenter à un concept « d’avenir, et qui le restera » ? Le constat est peut-être à nuancer pour l’aspect Energie, qui progresse dans la douleur, en attendant le « stress test » de l’hiver 2023.

Mise à mal conjoncturellement par les derniers développements de différents sur l’Energie justement, et sur la Défense, la relation franco-allemande pâtit plus structurellement du déplacement progressif du centre de gravité de l’Europe vers l’Est. Accentué avec l’intégration annoncée de l’Ukraine, des Balkans, de la Géorgie, de la Moldavie, ce déplacement renforce la centralité de Berlin, capitale qui n’hésite pas à jouer sa propre partition, vis-à-vis de Pékin singulièrement. Mais quelle alternative à un partenariat franco-allemand qui devra assurément être revisité ?

En préférant l’américain Westinghouse au français EDF pour sa première centrale nucléaire, la Pologne montre à la fois une continuité dans ses choix stratégiques et l’impact du réengagement américain, à la faveur du conflit en Ukraine, sur la cohésion au sein de l’UE. Jacques Chirac avait stigmatisé en des termes peu amènes ce tropisme atlantique des pays de l’est, les qualifiant en 2003 de « pas très bien élevés ». Vingt nouvelles années d’aides européennes ne semblent pas avoir changé les priorités ?

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Alors que son influence est battue en brèche, en Afrique notamment, la France relève le gant et renouvelle ses orientations « Défense » via la Revue Nationale Stratégique, présentée le 09 novembre par le Président Macron, en prélude à une nouvelle LPM.

Nous aurons l’occasion d’y revenir, avec en filigrane la question clef rappelée par Alain Bauer de la primauté à accorder entre Stratégie et Budget, mais également celle du besoin de conjuguer réarmement militaire avec réarmement intellectuel et moral !

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Vous pouvez désormais retrouver les réflexions et débats qui ont jalonnés la journée consacrée au « retour de la guerre », lors des Assises Nationales de la Recherche Stratégique du 29 septembre 2022.

Nous vous proposons par ailleurs une sélection d’articles de réflexion pour novembre.

Vous pourrez aborder la nouvelle donne en Chine (article Fondation Robert Schuman) et ses répercussions sur la rivalité transpacifique, que ce soit sur le volet commercial (article IFRI), ou sur la véritable conquête stratégique de la lune qui se profile (article IRSEM). Vous pourrez également mesurer le retentissement en Asie centrale de la levée du tabou de la violence interétatique en Ukraine (article ECFR). Le « stress test » que constituera l’hiver 2023 pour la solidarité énergétique et climatique européenne est en outre analysé (article Fondation Jean Jaurès). Enfin, vous pourrez apprécier la fragmentation en cours du modèle d’État-nation au Proche Orient, miné par le développement et l’action des groupes armés (article FRS).

Rendez-vous courant décembre, pour une nouvelle publication de votre Agora stratégique.

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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