Édito n° 106/27 du 23 novembre 2023

« Ceux qui croient que les peuples suivront leurs intérêts plutôt que leurs passions n’ont rien compris au XXe siècle. » Raymond Aron, philosophe, sociologue, politologue, historien et journaliste français (1905-1983).

Alors que les images de la guerre entre l’Etat hébreu et le Hamas monopolisent l’attention depuis le 07 octobre dernier, le risque « passionnel » menace sur le chemin escarpé d’un règlement du conflit israélo-palestinien, ligne de crête incertaine entre extension brutale et résurgence sans fin.

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Comme naguère encore l’Ukraine, le conflit Israël-Hamas est depuis le 07 octobre dernier l’objet d’une couverture informationnelle instantanée, massive, continue.

Une couverture portée par différents canaux, dont des réseaux numériques qui exposent souvent sans filtre leurs usagers aux narratifs partiaux. Une couverture qui met en exergue le recours et l’impact croissants de l’influence et de la manipulation informationnelles. Les techniques digitales, d’IA notamment, largement diffusées, permettent désormais d’influer et de manipuler via l’information, de façon à la fois ciblée et massive.

Une couverture qui exacerbe les passions, attisées délibérément pour susciter les surréactions émotionnelles des opinions et le désarroi des gouvernements.

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Le conflit Israël-Hamas illustre ainsi ce poids majeur des émotions en géopolitique, alors que les règles du Droit international visant à dépasser, à transcender les passions, font l’objet d’une défiance, sinon d’un refus croissant sur l’échiquier mondial.

Le stigmate du « double standard », lié notamment à l’invasion unilatérale de l’Irak en 2003, semble surgir du refoulé et s’exacerber dans le « Sud global », à la vue des victimes palestiniennes des bombardements israéliens. Des victimes palestiniennes qui sont ressenties comme déshumanisées, au regard de l’attention, de la compassion qui seraient marquées par les chancelleries occidentales vis-à-vis des seules victimes israéliennes.

Cette prétendue désaffection occidentale vis-à-vis des victimes palestiniennes serait la caractéristique de valeurs universelles de facto mises au service des droits de « certains hommes ». Ce sentiment de duplicité occidentale, d’un « deux poids – deux mesures », s’avère largement et savamment instrumentalisé, occultant d’autres victimes, au Yémen, en Irak, ou encore en Syrie. Une instrumentalisation qui contribue à séparer opinions publiques et pouvoirs en place, dans la région, mais également au-delà.

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L’émotion légitime suscitée par les victimes peut se doubler d’une émotion « arsenalisée » plus ou moins cyniquement, aux fins de guerre de l’information.

Le conflit avive également le recours au ressort du sacré, pour l’essentialiser et pour mobiliser, galvaniser les combattants, les populations, les opinions. Un recours aiguisé par les impasses du Processus de paix d’un différend foncièrement territorial, impasses qui ont pavé la voie au radicalisme religieux.

Une telle lecture et une telle approche ouvrent pareillement sur une escalade sans issue. Réduire le conflit à une guerre de religion substitue un horizon temporel « messianique », un horizon d’attentes eschatologiques, synonyme de confrontation manichéenne sans fin, à une indispensable approche « profane », politique et historique, qui permet d’en escompter un terme.

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Ces éléments soulignent donc avec acuité l’importance clef d’une réflexion, d’une sensibilisation, d’une capacité de résilience face à l’influence et à la désinformation informationnelles en général, et vis-à-vis du conflit au Proche-Orient en particulier.

Ils soulignent également la nécessité de prendre en compte corrélativement la dimension passionnelle, et de savoir la mettre en perspective, dans l’analyse stratégique et géopolitique. Cette dimension passionnelle peut être d’ordre « profane/temporel » (…le ressenti de « double-standard » entre les victimes israéliennes et palestiniennes…) et/ou d’ordre « sacré/spirituel » (…le poids des représentations et ressorts religieux, accru par les impasses du Processus de paix…).

« Ceux qui croient que les peuples suivront leurs intérêts plutôt que leurs passions n’ont rien compris au XXe siècle. » disait Raymond Aron. Une assertion qui reste vraie pour le XXIe siècle comme le constatait Pierre Hassner dans son ouvrage de 2015 : Le retour des passions. Une assertion particulièrement pertinente vis-à-vis de la question israélo-palestinienne, focalisant ressentiment post-colonial au Sud, et mémoire traumatique de la Shoah au Nord.

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Le risque « passionnel » suscité par le conflit Israël-Hamas, attisé par le flux incessant de l’information, et de la désinformation, dépasse le cadre géographique du Proche et du Moyen Orient, et ses échos résonnent au cœur des sociétés occidentales.

Alors que la réassurance militaire américaine semble dissuader l’Iran et ses relais de pousser plus loin les gains déjà empochés, en étendant le conflit, le risque politique domestique croît pour le président Biden. La société américaine, et le parti démocrate, se divisent vis-à-vis du soutien « inconditionnel » à Israël, naguère unanimement partagé.

L’influence diplomatique de l’Europe apparait jours après jours plus marginale sur le conflit Israël-Hamas. Les sociétés nationales au sein de l’Union sont, à des degrés divers, traversées par le risque de montée incontrôlable de l’antisémitisme, voire d’affrontements communautaires.

La France est à l’épicentre de ces risques de répliques locales du conflit proche-oriental. Et la lisibilité de son discours sur la scène internationale, entre « droit et devoir d’Israël à se défendre », « coalition anti-Hamas » et appel au « cessez-le-feu », semble s’en ressentir !

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En ce mois de novembre 2023, nous vous proposons un nouveau choix de papiers de réflexion stratégique.

Avec « Israël-Hamas : échec et mat, la victoire de l’Iran », Alain Bauer souligne le bouleversement stratégique créé à la faveur de l’attaque du 07 octobre 2023 sur le territoire israélien. Il en décrypte les racines et en précise les conséquences, tant pour la société israélienne, l’équilibre régional que l’ordre international. Pour l’auteur, un seul gagnant émerge, ayant su se jouer d’Israël, des Palestiniens, des pays arabes comme des pays occidentaux : l’Iran (papier issu du Cnam/ESDR3C, après une première publication par l’Opinion).

La surprise stratégique créée par l’attaque terroriste du Hamas dans le sud d’Israël, le 07 octobre 2023, s’est appuyé sur un véritable plan d’opération. Olivier Passot analyse la manœuvre conçue, préparée et menée par le Hamas pour frapper l’état hébreu, pour en braver la supériorité militaire et technologique symbolisée par la barrière de sécurité séparant Gaza du territoire israélien. Son papier, « Une barrière trop intelligente ? » est issu de l’IRSEM.

Le conflit Israël-Hamas reste pour l’instant limité à ces deux seuls belligérants. Le risque d’une entrée pleine et entière du Hezbollah dans cette confrontation revêt une importance stratégique clef. Le papier de Jean-Luc Marret « Le Hezbollah après le 07 octobre 2023 : position et capacités » (issu de la FRS) inventorie les actions et l’arsenal de l’organisation, prélude à une analyse des intentions pouvant être inférées des discours de ses dirigeants comme de son positionnement local et régional.

Ukraine : une stratégie de communication exemplaire au profit de la guerre informationnelle. C’est ce qu’Alexia Argoud se propose de mettre en exergue dans ce papier « La stratégie de communication de l’Ukraine en guerre », issu de la Bibliothèque de l’École militaire. Elle y aborde différents points clefs aux fondements de l’efficacité de cette stratégie de communication, sans en occulter les limites.

Dans un monde numérisé, la sécurité des données devient un enjeu de souveraineté capital. C’est en pleine conscience de cette nouvelle donne que Damien Verrelli s’interroge sur les rôles respectifs des Etats, des entreprises et des citoyens, comme sur les solutions à envisager pour cette sécurité digitale. Dans « Sécurité des données et désinformation : les enjeux français et européens », il aborde ainsi les enjeux de souveraineté des données et les menaces auxquels la France et l’Europe doivent faire face (un papier issu des Jeunes-IHEDN).

« Quelle « souveraineté européenne » après la déclaration de Versailles ?». Yves Bertoncini propose de dresser un bilan de cette impulsion donnée en mars 2022 par les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne, dans un contexte géopolitique bouleversé par l’agression russe en Ukraine. L’impulsion donnée recouvre les volets militaire, énergétique et économique que l’auteur expose tour à tour dans ce papier issu de la Fondation Robert Schuman.

 

Rendez-vous courant décembre, pour une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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