Édito n° 105/26 du 17 octobre 2023

« Le devoir d’un prince est de résoudre les questions avant que l’émotion des sujets ne les ait rendus insolubles »
Nicolas Machiavel, penseur italien de la Renaissance, théoricien de la politique, de l'histoire et de la guerre (1469-1527), in « Le Prince ».

Conflit Israël-Hamas : surprise ou aveuglement stratégique ?

Les deux termes paraissent comme liés par une inexorable causalité, et le premier n’est souvent que la conséquence du second.

Les chercheurs et les historiens pourront peser le poids des indices et signaux, faibles ou forts, que les services de l’état hébreux n’auront pas su, voulu ou pu considérer en amont de ce 07 octobre 2023 que la mémoire collective israélienne retiendra comme leur « 11-septembre ».

Aveuglement stratégique donc, et comme la stratégie procède de la politique qu’elle sert en retour, fourvoiement politique ?

En Europe, la surprise stratégique a surgi du pari angélique d’une décroissance tendancielle de la violence, et de la logique comptable associée des « dividendes de la paix », comme le soulignait le général Jean-Louis Georgelin. Un pari contrarié par la dure réalité anthropologique de la guerre, et de son « retour » sur le continent. Le dégrisement est brutal ; sera-t-il durable ?

En Israël, le pari politique à la source de la surprise semble s’appuyer, selon Samy Cohen ou encore Ely Barnavi, sur une analyse stratégique altérée sinon dévoyée par l’idéologie. Le pouvoir en place à Jérusalem aurait ainsi mal appréhendé l’équilibre des forces entre Israël, le Hamas et l’Autorité palestinienne (considérer que le second n’oserait défier la puissance d’Israël, tout en lui laissant assez de force à Gaza, pour mieux affaiblir le dernier en Cisjordanie). Le cabinet israélien au pouvoir aura également surestimé l’effet dissolvant des Accords d’Abraham sur la question palestinienne, et pris par ailleurs le risque de fracturer la société israélienne avec le projet de réforme judiciaire.

D’autres exemples pourraient être cités, où la surprise procède de l’aveuglement idéologique des plus hautes strates politico-militaires, qui ne laisse pas d’imprégner ensuite les services de renseignement, chargés de les éclairer, mais uniquement sur ce qui est convenu, dicible ! Les démocraties ne sont donc pas à l’abri de ce syndrome, et la question de la surprise est moins de considérer « si » elle surviendra, que « quand » elle surgira, et « comment » on y fera face collectivement.

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Avec l’agression des paramilitaires du Hamas au cœur d’Israël, c’est un conflit local latent qui se réactive. C’est également un effet des mouvements tectoniques de la géopolitique régionale, avec notamment l’influence iranienne sur le mouvement islamiste gazaoui, alors qu’Israël et l’Arabie Saoudite ont entamé un rapprochement diplomatique sous égide américaine. C’est par ailleurs une crise de portée internationale, tant par l’immixtion d’acteurs non-régionaux, que par les risques de débordement du conflit.

C’est en outre le choc de deux visions, deux façons d’être au monde. La partie la plus hédoniste, sécularisée, de la société israélienne, aura été hachée sans merci par les balles de militants islamistes du Hamas radicalisés, « daechisés », filmant et partageant les vidéos de leurs exactions, dans une sorte de réplique amplifiée du Bataclan.

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Quel objectif politique derrière le massacre délibéré et planifié entrepris par le Hamas ?

La finalité ultime affichée par l’organisation islamiste est bien de détruire Israël. Le Hamas tente de susciter un niveau de riposte de l’état hébreu tel, en intensité et en durée, qu’il exacerbera la colère des opinions publiques arabes, entrainant par effet domino les gouvernements de ces pays à se liguer, sinon directement face à Israël, au moins pour l’isoler. Susciter un niveau de riposte qui érodera également les soutiens diplomatiques à Israël, jusqu’à même retourner l’indignation internationale. Sur la scène palestinienne, le Hamas entend par ailleurs s’imposer comme le seul pouvoir légitime.

La « Rue arabe » et l’opinion internationale vont devenir ainsi, comme lors des conflits précédents, des données clefs de cette réactivation brutale du conflit israélo-palestinien, à l’aune de la perception des souffrances imposées à la population de Gaza.

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A finalités politiques inappropriées et/ou démesurées, équation militaire envenimée pour Tsahal ?

Le gouvernement d’un Israël stupéfié par le jour « le plus horrible de l’histoire juive depuis l’Holocauste » entend désormais « éradiquer » le Hamas. Mais la question des otages et celle des habitants de la bande enveniment en effet l’équation militaire à résoudre pour Tsahal, confrontée à la perspective d’une nasse sans fin de combats terrestres meurtriers, et bien au-delà des seuls combattants.

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La compassion soulevée par les violences collatérales, conjuguée à l’absence de perspective de règlement de ce conflit, sont instrumentalisées par les plus radicaux. Dans nombre de cercles de soutiens du Hamas, déclarés ou insidieux, cette conjonction atténue sinon justifie le recours à la violence terroriste et les crimes perpétrés.

La question d’une relance du processus de paix restera donc une donnée clef du conflit également, mais avec quels interlocuteurs crédibles et légitimes ?

*

Alors que le conflit est appelé à durer, trois enjeux semblent mériter une attention singulière, dans une perspective tour à tour occidentale, européenne, française.

A l’instar des votes et attitudes différenciées observées face à l’agression russe en Ukraine et aux sanctions économiques associées, le conflit Israël-Hamas est un marqueur potentiel pour évaluer l’acuité du clivage entre « The West » et un « The Rest » divers.

L’équation énergétique européenne s’avère d’autant plus délicate à résoudre que les fractures géopolitiques s’approfondissent. Russie, Azerbaïdjan et désormais Méditerranée orientale, autant de zones d’hydrocarbures qui deviennent incertaines, sinon exclues. La dépendance gazière ne devrait-elle pas inviter certains de nos partenaires de l’UE à reconsidérer la question du recours au nucléaire ?

L’attentat terroriste du 13 octobre dans une lycée d’Arras souligne le risque d’importation du conflit, et les conséquences dramatiques qu’il pourrait déclencher au sein d’une société française « archipelisée », en défaut de discours fédérateur et à la résilience mal assurée. Les pouvoirs publics prennent la mesure de ce risque avec une première réponse sécuritaire, nécessaire, indispensable certes, mais suffisante ?

***

En ce mois d’octobre 2023, nous vous proposons un nouveau choix de papiers de réflexion stratégique.

L’autodissolution du Haut-Karabakh, à la suite de l’offensive militaire éclair de l’Azerbaïdjan de septembre 2023, souligne les recompositions géopolitiques à l’œuvre au Caucase. Avec le papier « Recompositions géopolitiques au Caucase » (issu de l’IRIS) Didier Billion met en perspective ces recompositions, intervenues dans le sillage de l’implosion de l’ex-URSS, pour mieux éclairer la modification des rapports de force ainsi engendrée dans la région.

Les défis liés à l’expansion du djihadisme en Afrique, et notamment dans les pays du Golfe de Guinée, ont longtemps été minimisés. C’est l’idée maitresse du papier « L’inexorable avancée du djihadisme en Afrique : le Golfe de Guinée mis au défi » (issu de la Fondation Jean Jaurès). Mathias Khalfaoui met en lumière en rappelant la dimension internationale de ce phénomène et en analysant la situation et les réponses apportées par les différents gouvernements concernés. A ce dernier titre, il souligne plus particulièrement l’intérêt de l’initiative d’Accra, lancée en 2017, et qui devrait rapidement bénéficier d’un soutien européen.

Alors que la saison des pluies, ou Raspoutitsa, s’approche en Ukraine, il est nécessaire de consolider les gains de la contre-offensive en cours pour préparer les opérations post-hiver 2023-2024. C’est le point clef que développent Dmytro Kryvosheiev et Margaryta Khvostova dans le papier « Alliés de tous les instants : La contre-offensive de l’Ukraine et l’arrivée de l’hiver » (issu de l’ECFR). Ils y rappellent le chemin parcouru depuis le lancement de la contre-offensive de Kiev en juin dernier, et soulignent le rôle essentiel des soutiens de l’Ukraine pour engager la préparation de la phase suivante.

Dénier la liberté d’action et sanctuariser les approches aéronavales de la Chine pour repousser voire dissuader Washington d’intervenir. C’est l’option stratégique de type A2/AD (pour Anti-Access/Area Denial) que semble avoir choisie Pékin pour faire face à un possible conflit aux abords du détroit de Taïwan. Le papier « A2/AD chinois et liberté d’action aérienne dans le Pacifique occidental : gagner le conflit aéronaval à distance ? » (issu de la revue Vortex 5 du CESA) de Jérôme Pupier s’interroge sur cette stratégie, sur les moyens qui y sont dédiés et sur les réponses envisageables pour regagner de la liberté d’action face à cette posture asymétrique.

L’union européenne fait face à des défis économiques, sociaux, géopolitiques, mais également institutionnels. Avec le papier « Europe, passer à l’Union pour répondre aux citoyens » (issu de la revue Politique Etrangère de l’IFRI), Enrico Letta met en exergue ces défis externes et internes, intriqués et interactifs, mais également les réponses, techniques mais surtout politiques nécessaires pour y faire face. C’est, pour lui, ainsi que l’UE peut espérer répondre aux attentes des citoyens européens, comme préserver et renforcer les valeurs de liberté et de démocratie qui fondent son intégration.

La virulence du terrorisme djihadiste incite à s’interroger sur la tradition guerrière en Islam, et sur ses inflexions voire ses ruptures au cours des âges. C’est l’objet de ce papier « Le concept de guerre en Islam « (issu du CDEM). Anouchka Dumetz y développe son analyse en délimitant les champs du Djihad et en précisant la codification et réglementation progressive de la pratique guerrière, préludes éclairant la réadaptation contemporaine du jihad traditionnel au service de l’idéologie salafiste djihadiste.

 

En ce mois d’octobre 2023, nous souhaiterions également vous signaler une initiative de l’association « Les Jeunes IHEDN », qui propose depuis le 16 octobre une première campagne autour d’un jeu de culture générale : OPÉRATION HEXAGONE (OPÉRATION HEXAGONE – Les Jeunes IHEDN (jeunes-ihedn.org), visant à sensibiliser un public élargi et intergénérationnel aux thématiques de défense, de sécurité, de mémoire et de citoyenneté.

Les bénéfices de cette campagne qui s’achèvera le 24 décembre seront reversés au Fonds de dotation du Bleuet de France (Soutenir le Bleuet de France – Donner, c’est aider ceux qui restent) qui assure depuis la fin de la Première Guerre Mondiale le soutien psychologique, matériel et financier des hommes et femmes qui ont risqué leur vie pour la France, des victimes d’actes terroristes, des soldats blessés en opération extérieure (OPEX), des anciens combattants, des orphelins et des veuves de guerre.

Rendez-vous courant novembre, pour une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

 

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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