Édito n° 104/25 du 14 septembre 2023

« Je suis pessimiste avec l'intelligence, mais optimiste par la volonté »
Antonio Gramsci, philosophe, écrivain et théoricien politique italien (1891 – 1937) in « Cahiers de prison »

Un monde dans un entre-deux gramscien ?

La fameuse autre citation d’Antonio Gramsci, sur les montres surgissant dans le clair-obscur, entre l’ordre ancien se mourant et le nouveau tardant à se dessiner, pourrait en effet convenir à ce monde de 2023.

Un monde en transitions multiples, aux ondes de choc entremêlées : numérique, écologique, démographique, géopolitique… Un monde où les involutions nationalistes et souverainistes s’approfondissent, sur fond d’exigences croissantes de régulations planétaires. Un monde parcouru de crises multiples, voire additionnées.

Comme le souligne en effet Thierry de Montbrial, la mondialisation recule et le monde se cloisonne, la gouvernance internationale, d’empreinte occidentale, décline sous la contestation croissante et sous un engagement des nations mené à l’aune quasi-exclusive de leur « égoïsme sacré ».

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Nous l’évoquions lors d’éditos précédents. La convergence de transitions multiples s’exacerbe alors que la puissance occidentale, et singulièrement américaine, décline et ne parait plus en mesure d’orienter et d’ordonner seule la marche du monde.

Le modèle de la démocratie libérale comme l’architecture de gouvernance internationale, fondée sur la Charte des Nations Unies et sur la déclaration universelle des droits de l’homme, sont pareillement contestés.

L’élargissement des BRICS à six pays, dont plusieurs naguère inscrits quasi-exclusivement dans l’orbite américaine, en est le plus récent symptôme. Ce format élargi des BRICS ne rime pas avec une solidarité plus étroite de ses membres, et les agendas nationaux distincts restent sous-jacents. Mais l’effet de contre-poids accru à l’ordre occidental est bien patent.

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La guerre en Ukraine est également un révélateur et un accélérateur de la perte relative d’influence occidentale.

Si, à rebours des espoirs et anticipations russes, elle a ressoudé les Occidentaux sous le leadership américain, elle perdure. Ce faisant, le conflit exaspère l’incertitude sur la stabilité future de l’ensemble de l’Eurasie, de l’Europe à l’Asie centrale, en passant par la Fédération de Russie.

Aux marges de l’Eurasie, la déprise occidentale s’approfondit, au Moyen-Orient singulièrement (Turquie, Arabie Saoudite…). Et dans le même temps, en Afrique, les dominos emblématiques de l’influence française semblent tomber les uns après les autres, pour reprendre la théorie éponyme de l’époque de la Guerre Froide, rappelée par Alain Bauer.

Sur le terrain militaire, la situation semble équivoque, entre les annonces de percée ukrainienne, limitée mais tangible, et les déclarations même du président ukrainien sur le manque cruel de supériorité aérienne, qui annihile les efforts héroïques des combattants au sol.

Les buts de guerre de l’Ukraine, incluant la reprise de la Crimée, doivent-ils dès lors constituer un préalable à la cessation des hostilités ?

Les propositions de plans de paix issues du Sud, ou plutôt des Suds, semblent toutes repousser le traitement de la question territoriale à l’issue d’un préalable cessez-le-feu. Un des aspects du fossé des perceptions, comme le pense Pascal Boniface, entre les pays occidentaux et les pays du Sud vis-à-vis de la centralité et des enjeux du conflit en Ukraine : la guerre en Europe et la violation du droit international versus le « double standard » et les risques sur la sécurité alimentaire.

Comme l’assure Gérard Chaliand, l’Ukraine, en gagnant son indépendance et son affiliation à l’Occident, n’a-t-elle pas déjà enregistrée le gain majeur de ce conflit ? Et peut-elle, dès lors, renoncer à recouvrer pleinement ses frontières d’avant 2014 ?

L’Histoire et la Justice ne cheminent pas toujours de pair… Les Etats-Unis, déjà aux prémices de la campagne présidentielle 2024, tiennent tout particulièrement à prévenir une escalade nucléaire en Ukraine, et font par ailleurs face à un adversaire de portée systémique : la Chine.

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La place de l’Europe, la place de la France dans ce monde qui se profile, restent en suspens.

L’Europe qui, comme le rappelle Arnaud Leparmentier dans le Monde, ambitionnait au sommet de Lisbonne de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » dans la décennie 2000, décroche par rapport aux Etats-Unis. L’écart de PIB est désormais de 80% entre les deux rives de l’Atlantique, alors qu’il était nul autour du début du siècle.

Et même si ce critère de PIB montre des limites, ne s’avère-t-il pas emblématique d’un fossé aggravé, sinon paradoxal : une véritable économie de la connaissance et de l’innovation d’une part (…GAFAM…), et une économie qui produit surtout des normes (…RGPD…), voire reste enkystée dans certains dogmes (… concurrence libre et non faussée…) d’autre part ?

L’erreur de l’Europe n’a-t-elle pas été d’occulter la question de l’ordre des priorités, entre capacité à s’inscrire dans les rapports de puissance, de façon autonome et responsable, et développement de sa prospérité ?

Le découplage, souligné par Olivier Schmitt, entre cette prospérité européenne, assise naguère sur l’énergie fossile russe bon marché et sur le commerce à bas coût avec la Chine, et sa sécurité, « déléguée » aux Etats-Unis et à leur effort de défense, est devenu intenable avec la nouvelle donne géopolitique.

La France, pour sa part, semble s’avérer comme écartelée, entre son ambition de rester influente face aux changements du monde, de porter une voix singulière sur l’échiquier international, et les exigences renchéries de la solidarité occidentale, le risque de marginalisation relative dans une Europe en voie d’élargissement, mais également les limites de son économie et de sa cohésion interne.

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Pour faire face au monde qui est et qui vient, il parait plus que jamais nécessaire de conjuguer volonté et intelligence, et d’adopter une véritable démarche stratégique, globale, lucide et éclairée !

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En ce 14 septembre 2023, nous voilà à J – 14 des Assises Nationales de la Recherche Stratégique (ANRS), le 28 septembre 2023. Une journée exceptionnelle de réflexion et d’échanges autour du thème « Faire face au nouveau désordre mondial ».

Vous pouvez y participer en présentiel, si vous êtes inscrit à ce jour, ou suivre la rediffusion en direct sur la chaîne Youtube du Cnam (https://www.youtube.com/live/pXGLWyypmNg?feature=share ) ou via GeoStrategia, le jour J.

Le programme est consultable via le lien ( https://esd.cnam.fr/actualite/assises-nationales-de-la-recherche-strategique/assises-nationales-de-la-recherche-strategique-2023-1431355.kjsp?RH=1631786109076 ).

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En ce mois de septembre 2023, mois de rentrée pour GeoStrategia également, nous vous proposons un nouveau bouquet de papiers de réflexion stratégique.

Avec « En Afrique, le retour de la théorie des dominos », Alain Bauer propose un large tour d’horizon de la situation géopolitique africaine. Ce tour d’horizon constitue le préalable au lancement d’une alerte sur la potentielle intentionnalité d’une déstabilisation généralisée du continent (papier issu du Cnam/ ESDR3C, après une première publication par l’Opinion). Les dominos stratégiques risquent-ils de basculer tout à tour en Afrique ?

Le papier de Gérard-François Dumont, « L’Ukraine face à la guerre et la géopolitique des populations », aborde la question clef de la démographie et des paramètres associés qui impactent la situation de conflit de ce pays. Ces composantes démographiques apparaissent essentielles pour mieux éclairer la nature, l’évolution et la prospective de cette guerre (papier issu de la revue Géostratégiques de l’Académie de Géopolitique de Paris).

« Le chantage nucléaire de la Russe : une simple intimidation stratégique ? ». Céline Marangé explore les arcanes de la pensée stratégique russe, doctrines, réflexion ou déclarations, pour mettre en perspective les menaces d’escalade nucléaire proférées par les autorités russes, autour du conflit en Ukraine. Entre pure chantage et tentation nihiliste, elle met en lumière une évolution du signalement stratégique russe, qui ne peut ne doit pas être ignoré (papier issu de l’IRSEM).

Le double épisode du coup d’Etat avorté en Russie par le groupe privé Wagner, fin juin 2023, et du décès brutal de son chef, fin aout 2023, invite à une réflexion sur ce phénomène de recours à des troupes irrégulières en Ukraine. Le papier d’Alexia Argoud, « Les unités armées irrégulières, un enjeu dual de la guerre en Ukraine », s’interroge sur l’importance d’un tel recours au cœur de cette guerre de haute intensité, mais également sur ses limites et risques associés (un papier issu du CDEM).

« L’Asie, une influence croissante sur l’échiquier international », souligne le poids géopolitique et stratégique de cette région du monde désormais déterminante. L’entretien avec Pierre Grosser, mené par Jean-Christophe Noël, (pour la revue Vortex 5 du CESA), brosse un panorama des dynamiques de puissance à l’œuvre en Asie, replacé dans la perspective historique des interactions avec l’Occident depuis le XIXème siècle.

La Méditerranée est replacée au cœur des enjeux énergétiques, avec le choix européen du sevrage des hydrocarbures russes, depuis l’agression armée en Ukraine. Avec le papier « Le gaz de la Méditerranée orientale : une opportunité pour l’Europe ? », Nicolas Mazzucchi analyse cette nouvelle donne stratégique et ses prolongements envisageables, régionaux et internationaux (papier issu de la revue Études marines n° 23 du CESM).

Rendez-vous aux ANRS le 28 septembre, et courant octobre, pour de nouvelles publications de votre Agora Stratégique.

 

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef,
et toute l’équipe de Geostrategia.

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