Après Barkhane : repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest

Mis en ligne le 14 Juin 2022

Après Barkhane : repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest

La fin de l’opération Barkhane de lutte contre le terrorisme s’inscrit dans un contexte stratégique particulièrement dégradé. Pour les auteurs de ce papier, ce constat impose une réaction et une adaptation de la posture française dans la région. Ils proposent une mise en perspective historique de cette posture, prélude à l’élaboration de lignes de forces pour une stratégie pérenne de la France et de l’Europe en Afrique de l’Ouest.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent pas le CNAM.

Les références originales de cet article sont : Laurent Bansept et Élie Tenenbaum, « Après Barkhane : repenser la posture stratégique française en Afrique de l’Ouest », Focus stratégique, n° 109, Ifri, mai 2022. Ce texte, ainsi que d’autres publications, peuvent être consultés sur le site de l’IFRI.

Près d’une décennie après sa guerre victorieuse contre le terrorisme au Mali, la France est aujourd’hui en passe de tourner une page de son histoire militaire en Afrique. La fin prochaine, et pourtant programmée depuis le printemps 2021, de l’opération Barkhane survient cependant dans un contexte stratégique particulièrement dégradé.

Alors que la constitution d’un solide partenariat de combat avec les armées locales constituait le cœur de la stratégie française, le drapeau tricolore quitte le Mali dans un contexte de rupture diplomatique et de progrès sans équivoque de l’influence russe dans le pays. Au même moment, l’éclatement de la guerre en Ukraine transforme le paysage géopolitique européen, interroge nécessairement sur la posture expéditionnaire de la France et ses efforts pour européaniser la lutte contre le terrorisme au Sahel. Cette menace djihadiste, enfin, ne cesse de progresser, se frayant progressivement un chemin vers les pays du golfe de Guinée où se situe le cœur des intérêts politiques, économiques et sécuritaires français dans la région.

Ce constat impose l’urgence d’une réaction et d’une adaptation de la posture stratégique française dans toute la région. Pour ce faire, il convient de revenir dans un premier temps sur les causes ayant conduit à la sous-performance stratégique actuelle. Ce travail implique de revenir sur le modèle initial de la «Pax Gallica» hérité de la décolonisation et qui contribua à maintenir une influence stratégique considérable de la France dans ses anciennes colonies. Ce modèle reposait sur une ligne politique claire, de soutien aux régimes « amis de la France » sans autre conditionnalité que la « loyauté » géopolitique. Il tirait également parti d’un dispositif de coopération sécuritaire et économique complet et d’un contexte de compétition stratégique mesuré.

Les trois dernières décennies ont été marquées par une transformation progressive de ce modèle au nom d’une conditionnalité démocratique grandissante, quoique toujours appliquée à géométrie variable en fonction d’autres considérations (intérêts politiques, risque sécuritaire, collusions, etc.). Si bien que la ligne marquée par de fortes hésitations a conduit à un doute grandissant des acteurs locaux sur la nature de l’offre stratégique et de sécurité française. La réduction continue des moyens de la coopération et le renouvellement de la compétition de puissance en Afrique ont encore accru le risque de déclassement stratégique.

La crise malienne a été le révélateur de ces limites de l’influence française. En dépit du succès militaire spectaculaire de l’opération Serval en 2013, la France n’a pas su, pu ou voulu accompagner un processus politique qui a vite achoppé sur l’incurie du pouvoir malien au Sud, et les complicités des groupes armés au Nord. Les voies de sortie imaginées à travers la sahélisation et l’européanisation se sont quant à elles révélées insuffisantes à résoudre les problèmes de fond. Pour finir, la dégradation continue des relations franco-maliennes depuis 2020 et l’ingérence grandissante de la Russie dans le pays illustrent l’impasse d’une offre stratégique marquée par une forte conditionnalité politique dans un contexte de compétition internationale accrue.

Face à ce constat d’une mécanique stratégique grippée, certains pourraient être tentés de tourner définitivement le dos à des problèmes qui semblent désormais hors de portée des moyens français. Pourtant l’analyse réaliste et dépassionnée des intérêts et des menaces révèle qu’il serait inopportun et sans doute risqué pour la France de se détourner entièrement des questions de sécurité en Afrique de l’Ouest. Si les intérêts économiques sont très limités et tendent à reposer sur des avantages comparatifs en réduction, il serait erroné de déconsidérer les relais de croissance que présente un espace stimulé par la démographie, l’urbanisation et la diffusion des technologies.

Les intérêts politiques et de sécurité sont quant à eux plus prégnants : acteur diplomatique et militaire incontournable dans la région, la France justifie en Afrique de l’Ouest comme nulle part ailleurs dans le monde son statut de puissance moyenne d’influence globale. Par-delà ces intérêts politico-culturels immédiats, la trajectoire géopolitique de l’Afrique de l’Ouest et centrale demeure irrémédiablement liée à la France et à l’Europe.

Enfin, le paysage africain s’avère lourd de menaces susceptibles de peser négativement sur les intérêts français. Celles-ci tiennent tout d’abord à la progression continue de la mouvance djihadiste via ses différentes organisations rattachées à Al-Qaïda ou à l’État islamique (EI), qui cherchent aujourd’hui chacune à s’implanter dans le septentrion des pays du littoral du golfe de Guinée. Pour cela, ils se nourrissent de la fragilité politique des États qui tendent à répondre au stress sécuritaire et social par un net recul démocratique. Finalement, le retour d’une compétition stratégique accrue à l’échelle internationale se traduit en Afrique de l’Ouest par un réel risque d’éviction de l’influence française au profit d’autres puissances dont certaines, comme la Russie, sont ouvertement hostiles à ses intérêts.

Dans ces conditions, il est urgent de formuler une stratégie nationale de sécurité pour l’Afrique de l’Ouest. Une nouvelle approche pourrait être adoptée, reposant sur l’identification d’objectifs modestes, centrés sur la préservation des intérêts français : l’endiguement du djihadisme, le maintien d’une influence face aux compétiteurs et l’amélioration de l’image de la France auprès des sociétés africaines. À cette fin, il convient de repenser l’offre stratégique française pour la clarifier et l’adapter aux attentes des partenaires dans un contexte de concurrence accrue. Cette nouvelle offre passe sans doute par une plus grande discrétion militaire de la France mais aussi l’évolution du modèle de coopération de la formation et du conseil vers l’appui. Toutefois, dans cette perspective, la logique de pré-positionnement et de présence dans la durée pourrait se révéler plus adaptée à la logique des opérations sous forte pression politique.

La mise en œuvre d’une telle approche passera nécessairement par la révision du dispositif militaire actuel. Ce dernier mérite sans doute d’être simplifié et placé sous une autorité unique qui puisse assurer le commandement sur un spectre de missions variées, axé sur une offre partenariale renouvelée mais couvrant de façon plus complète et adaptée la coopération de défense structurelle que le maintien d’une nécessaire capacité d’intervention directe.

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