« … Sans mettre en doute la sincérité et la résolution de ses alliés américains, mon pays doit tenir compte de ce que l’avenir comporte pour lui d’inconnu et le passé d’expérience. » Charles de Gaulle, militaire, résistant, homme d'État et écrivain français (1890-1970) ; extrait de la correspondance avec le président des États-Unis Eisenhower du 24 novembre 1959.
Depuis le lancement de l’opération « Rising Lion » le 13 juin dernier, Tsahal s’est forgé une substantielle liberté d’action aérienne au-dessus du territoire de l’Iran. Les frappes limitées d’octobre 2024 en avaient pavé le chemin. Cette liberté d’action aérienne lui permet de saper sinon de détruire ce qui pourrait constituer l’ultime viatique du régime des Mollah, la capacité à passer du seuil à la bombe nucléaire.
Téhéran a-t-il commandité ou seulement inspiré l’attaque du « 07 octobre » ? Les historiens pourront éclairer ce point, mais quoiqu’il en soit, cette attaque du « 07 octobre » aura engendré un bouleversement géopolitique. Les évènements qui embrasent le ciel iranien semblent en effet constituer le point d’orgue, le dernier acte d’une séquence de démantèlement méthodique et délibéré de l’« Axe de la résistance » auto-proclamé, façonné par l’Iran.
Un démantèlement qui a mis en exergue une rare maîtrise opérationnelle et capacitaire d’Israël, en particulier une intégration entre renseignement, actions clandestines, actions spéciales et puissance aérienne.
Un démantèlement qui, après la décapitation des proxys, vise désormais le cœur même de cet « Axe de la résistance », en s’attachant à neutraliser, voire à annihiler le programme nucléaire de Téhéran, et ses capacités balistiques. Au-delà, l’offensive en cours vise de facto également à faire basculer le régime iranien, afin de parachever une recomposition politico-stratégique du Moyen-Orient.
A l’heure où ses lignes sont écrites, une action offensive que Tsahal mène seule directement sur le territoire de l’Iran, alors que le discours des Etats-Unis se durcit vis-à-vis du régime des Mollahs.
Avec toujours en suspens, après plus de deux années et demie de conflit sur sept fronts, le risque de dépasser le point culminant militaire, et de manquer ou de gâcher des opportunités de résolution politique.
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L’affrontement armée en cours au Moyen-Orient souligne la prégnance d’un fait nucléaire qui affecte les principaux conflits contemporains.
Israël-Iran, Ukraine-Russie, Inde-Pakistan… L’ombre portée du nucléaire s’étend et s’épaissit, de la posture classique de dissuasion à des fins d’intimidation, sinon de menace quasi-explicite.
La dimension nucléaire s’inscrit également en filigrane du prochain somment de l’OTAN à La Haye, du 24 au 26 juin 2025. Les Européens devraient échapper au découplage stratégique et au retrait du parapluie atomique américain en consentant à une augmentation conséquente de leurs dépenses et capacités militaires, et en acceptant d’assumer l’essentiel de la défense conventionnelle du continent. Une situation qui ne semble pas détourner les Européens des armements made in USA comme en témoignent les récentes confirmations de commande de F35 en Allemagne, et même au Danemark…
Et c’est dans ce contexte général d’extension de l’ombre porté du nucléaire, de questionnement sur la réassurance américaine, mais également de fractures sociétales pesant sur la stabilité interne des démocraties de l’UE que s’inscrit la question d’une « européanisation » de la dissuasion française. Une question qui, dans un tel contexte mouvant, mérite assurément d’être abordée, analysée, débattue, et en pesant d’éventuelles évolutions doctrinales au trébuchet. A l’aune de ses conséquences potentiellement apocalyptiques, la rationalité du nucléaire peut-elle s’envisager au-delà d’intérêts vitaux nationaux ?
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Prenant acte des enseignements tirés de la guerre en Ukraine, la représentation nationale s’est tout récemment emparée de la problématique de l’équilibre de nos capacités militaires conventionnelles, entre masse et haute technologie.
L’inflexion est en effet nécessaire, vers une masse renforcée, une capacité à durer accrue et une combinaison entre technologies de pointe et « low tech », en phase avec les exigences des engagements de haute intensité.
Par ailleurs, les forces conventionnelles et les forces nucléaires sont complémentaires et s’épaulent. Et pour les pays démocratiques, les forces conventionnelles ne doivent-elles pas être en mesure de donner de la profondeur temporelle au pouvoir politique, mais également de lui offrir une marge de supériorité susceptible d’éviter une situation de dilemme moral, sinon existentiel ? Comme le suggère Jean-Marie Guéhenno, cela permettrait d’éviter de devoir choisir entre accepter une déroute ou briser le tabou de l’emploi en premier du nucléaire ?
Enfin, et les conflits en cours au Moyen-Orient le soulignent, le besoin de maintenir une avance capacitaire conventionnelle, appuyée sur une primauté technologique, reste patent. C’est le gage d’une marge de supériorité opérationnelle, acquise à un coût humain soutenable, pour des sociétés démocratiques soucieuses d’épargner au mieux les vies humaines, et dont la démographie est limitée et/ou déclinante.
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Ukraine, Moyen-Orient … Les conflits d’aujourd’hui, comme ceux de jadis ou de naguère, comme ceux de demain, soulignent la double exigence de conjuguer volonté politique et efficacité militaire, et d’affermir cohésion et résilience nationales !
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En ce mois de juin 2025, nous vous proposons une nouvelle sélection de six papiers de réflexion sur les questions stratégiques.
Concilier le droit humanitaire et les combats en milieu urbain : une problématique sensible, qui soulève des débats souvent passionnés, singulièrement avec le conflit en cours entre Israël et le Hamas à Gaza. Le Jus In Bello souligne divers principes à respecter, et notamment celui de proportionnalité. Le papier, « Droit humanitaire et combats urbains », se présente sous la forme d’un double entretien avec Geoffrey S. Corn et avec Amélie Férey. Il propose ainsi deux lectures en écho qui permettent, par les points de convergence et de divergences exposés, de mieux saisir les enjeux complexes associés à la problématique abordée. Un papier issu de la revue Vortex du CESA.
Le multilatéralisme apparaît menacé par l’affirmation des politiques de puissance, en particulier à travers le système de l’ONU. Les demandes de réforme de ce système perdurent cependant. Le papier de Frédéric Ramel, « Naviguer sur l’océan multilatéral : lost in decomposition ? » met en lumière le développement de formes de consultations souples, « minilatérales ». Une recomposition qui s’effectue largement hors du système organisationnel, mais qui ainsi ne favorise pas la coopération multilatérale autour de problématiques planétaires et transverses clefs pour l’humanité. Un papier issu de la revue Politique Etrangère (PE) de l’IFRI.
La démocratie libérale est mise en question au sein même des pays qui en étaient le modèle emblématique. Le papier « L’Union européenne face au national-souverainisme : un nouveau défi démocratique ? » explore ce bouleversement paradoxal d’un régime politique atteint d’un nouveau syndrome de rejet alors même qu’il a acquis une reconnaissance internationale. L’analyse de Blandine Chelini-Pont s’attache à placer ce bouleversement en perspective historique, à l’illustrer par la trajectoire démocratique singulière de l’UE et à exposer les arguments et projets alternatifs. Un papier issu de la Fondation Robert Schuman.
La guerre en Ukraine a révélé l’importance acquise par les drones et l’intelligence artificielle associée. Le papier « IA et drones militaires : révolution technologique » met en lumière ce bouleversement de l’art opérationnel militaire porté par les drones autonomes, opérant en essaims intelligents, capables d’opérer donc sans liaison humaine. Le cheminement historique, les aspects technologiques comme les enjeux éthiques de ce bouleversement sont exposés et analysés par Julien Grymonprez et par Cyril de Villardi de Montlaur, dans un souci de pédagogie et de différenciation des approches nationales. Un papier issu des Jeunes IHEDN.
Comprendre la situation conflictuelle que traverse le Proche-Orient suppose de se demander pourquoi un seul État reconnu, Israël, couvre une partie des territoires situés entre la vallée du Jourdain et la mer Méditerranée. Le papier « La solution à deux états pour la paix en Palestine : futur possible ou rhétorique dépassée ? » précise les facteurs historiques explicatifs de cette situation. Gérard-François Dumont s’interroge ensuite sur la plausibilité, au vu des pesanteurs historiques, des réalités géographiques et des agissements des acteurs géopolitiques, d’une perspective de solution à deux Etats. Un papier issu de la revue Géostratégiques de l’Académie de Géopolitique de Paris.
Le risque d’un découplage stratégique transatlantique plus ou moins profond reformule la question de l’autonomie stratégique de l’UE. La montée en puissance d’une menace militaire à l’est du continent comme la persistance de risques sur son flanc sud, sur fond de guerre hybride généralisée, rendent la question d’autant plus aiguë. Le papier de Michel Latché, « L’avenir d’une Europe de la défense dont les intérêts peuvent ne pas coïncider avec ceux des Etats-Unis », aborde cette problématique en pesant les forces et faiblesses, l’état de la politique de défense comme celle de l’industrie d’armement de l’Europe. Un papier issu de 3AED-IHEDN.
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Quelques derniers mots pour vous inviter à prendre date des XVème Assises nationales de la Recherche Stratégiques. Elles aborderont le thème « Le renseignement face au chaos mondial » et se dérouleront le 25 septembre 2025 en l’amphithéâtre Abbé Grégoire du Cnam. Le programme est en cours de finalisation, et vous en serez informés au plus tôt. Les inscriptions sont déjà possibles via le lien : https://my.weezevent.com/assises-nationales-de-la-recherche-strategique-2025.
Quelques mots également pour vous signaler une nouvelle rubrique sur notre News Letter visant à vous faire découvrir des sorties d’ouvrages en librairies. Nous vous signalons ainsi, en ce mois de juin 2025, trois sorties particulièrement originales : deux « fictions-réalités » d’Alain Bauer avec « Opération Zelenski » et « Menaces sur Taïwan », ainsi qu’un « fiction-réalité » de Marc Hecker, « Daech au pays des merveilles ».
Rendez-vous courant juillet 2025, avec une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.
Général (2s) Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.