Edito n° 121/42 du 15 mai 2025

« Citoyens, il faut choisir, se reposer ou être libre. »
Périclès, stratège, orateur et homme d'État athénien (495 av J.-C ; 429 av J.-C), cité par Thucydide, stratège et historien athénien (460 av J. C ; 395 av J.-C) in “Histoire de la guerre du Péloponnèse”.

New Dehli et Islamabad ont in fine mis un terme aux actions armées déclenchées par l’Inde le 07 mai, à la suite des attaques terroristes menées au Cachemire le 22 avril. Le cessez-le-feu décidé samedi 10 mai 2025 semble en effet désormais observé par les deux puissances nucléaires.

Cette nouvelle confrontation depuis les indépendances de 1947 a été principalement menée dans les airs, et marquée par une surenchère de désinformation de la part des deux parties.

Ce bref conflit aura souligné les limites des ambitions opérationnelles de New Dehli ?

Le rapide passage de l’emploi de vecteurs pilotés à celui plus exclusif de drones et de missiles parait marquer une sous-estimation indienne des capacités aériennes de l’adversaire pakistanais, conjuguée à des impasses, sinon des lacunes, en termes de doctrine d’emploi, d’organisation, de soutien à la manœuvre et d’entrainement.

Deux autres points paraissent également assez édifiants. Ils mettent incidemment en lumière l’érosion de la suprématie aérienne occidentale, et la nécessité pour l’Ouest de non seulement savoir garder le coup d’avance capacitaire nécessaire, mais également de savoir éviter le coup de retard capacitaire délétère.

La brève confrontation armée illustre en effet la qualité des matériels aériens chinois et de leur intégration opérationnelle, au sein de l’armée de l’air pakistanaise. Une illustration indirecte du défi que représente l’aviation de Pékin pour celle de l’Occident. Un défi qui combine des capacités « air-air » de supériorité aérienne avec des capacités « sol-air », de déni d’accès.

Par ailleurs, à l’instar des hostilités en Ukraine ou au Moyen-Orient, sinon en Afrique, le recours à des drones ou à des missiles de longue portée va croissant, et devient structurant. Il s’agit de pouvoir, à coût relativement réduit, durer, saturer les défenses adverses, mais également de limiter le risque de perte d’appareils pilotés et d’équipages.

Des pertes couteuses, à la portée symbolique amplifiée, dans des dialectiques de volontés politiques qui s’affrontent dorénavant sur l’ensemble des champs de conflictualité, dont celui globalisé, instantané et permanent de l’information.

*

Une lutte informationnelle qui se déploie également sous le seuil des conflits ouverts, et qui place les démocraties libérales dans une situation d’asymétrie vis-à-vis des régimes à facettes autocratiques.

Cyberattaque de TV5 Monde en 2015, « Macron-Leaks » lors de la campagne électorale de 2017, atteintes diverses lors des JO 2024… De manière inédite, les autorités françaises ont décidé d’attribuer officiellement aux services de renseignements russes la paternité de ces attaques et incidents, par la voix même du chef de la diplomatie nationale, Jean-Noël Barrot, fin avril 2025.

Cette attribution préjuge-t-elle d’une volonté de recourir plus fréquemment à une logique de « name and shame » ?

Le contexte général dans lequel intervient la dénonciation officielle des services russes n’est pas anodin, à l’heure ou Paris entend s’afficher à la pointe de la mobilisation européenne au profit d’une autonomie stratégique et du soutien à l’Ukraine. A l’heure également où les réseaux sociaux, aux algorithmes opaques, deviennent des supports majeurs du débat public au sein des démocraties.

Un débat public délibérément polarisé, dans des logiques commerciales, mais également électorales, sinon sociétales. Des applications, des algorithmes et des logiques associées sur lesquels les sociétés civiles et leurs autorités légitimes n’ont pas de contrôle souverain, et ne peuvent, au mieux, qu’envisager de normer et de policer, via la modération des contenus et le « fact-checking » notamment.

Le rétablissement des faits et la dénonciation des intentions déstabilisatrices sur les réseaux sociaux montrent d’ailleurs des limites et suscitent des revirements. En Roumanie par exemple, les élections présidentielles ont été annulées en décembre 2024, à la suite de la dénonciation de fraudes et d’ingérences étrangères via le réseau Tik-Tok. Cette annulation ne s’est pas révélée décisive, loin de là, lors du nouveau scrutin de mai 2025, pour détourner le vote des électeurs vis-à-vis des courants politiques proche du candidat exclu des suffrages en décembre 2024. Et autre exemple aux Etats-Unis, où le patron de Meta a dénoncé les partenariats de « fact-checking », semblant confondre régulation des contenus haineux avec censure.

Le rétablissement des faits, la dénonciation des intentions déstabilisatrices, sont des leviers d’une approche plus globale de lutte contre la désinformation, appuyée sur l’éducation des citoyens, la responsabilité des médias et des plateformes, la maîtrise des données et des outils numériques, la régulation publique, la protection assurée par l’Etat … Une approche globale qui suppose un niveau approprié de souveraineté pour ces différents aspects clefs.

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A l’ère de la prédation comme de la manipulation des données numériques, du retour des rapports de forces plus généralement, l’Europe ne peut laisser s’approfondir le hiatus existant entre les ambitions affichées, proclamées, et l’état de nos sociétés, de nos économies, de nos capacités de sécurité et de défense. Cela passe certainement par le rétablissement d’une puissance souveraine d’innovation, de production, de régulation, de protection, englobant notamment le volet « lutte informationnel » et plus largement le volet défense. Cela passe certainement également par un réengagement citoyen.

C’est bien d’une véritable boussole stratégique dont il est question, susceptible d’orchestrer un tel rétablissement comme de resserrer les fils de la citoyenneté, ciment même de nos nations !

***

En ce mois de mai 2025, nous vous proposons un bouquet de six papiers de réflexion sur les questions stratégiques.

Alors que la menace russe s’accroit à leurs frontières, les pays baltes et la Pologne ont annoncé début 2025 leur intention de se retirer de conventions relatives à l’interdiction des mines antipersonnel et/ou des bombes à sous-munitions. Ces annonces de retrait des conventions d’Ottawa et/ou d’Oslo concernent des armes aux effets particulièrement dévastateurs pour les civils. Elles remettent plus largement en jeu également la place du droit comme boussole des évolutions à promouvoir pour favoriser la protection des non-combattants lors des conflits armés. Ce sont ces idées clefs qui structurent la réflexion menée par Julia Grignon et Inès Bouffartigue-Sebastia tout au long du papier « Annonces des retraits des Conventions d’Ottawa et d’Oslo : un signal inquiétant ». Une réflexion qui met en exergue la ligne de crête entre valeurs humanistes et intérêts de sécurité. Un papier issu de l’IRSEM.

Alors que la situation stratégique internationale s’assombrit, la nouvelle administration américaine bouleverse la réassurance atlantique. Dans ce contexte, le débat sur la dissuasion nucléaire française et sur le rôle qu’elle pourrait jouer au profit de la sécurité du continent prend un tour inédit. Ce constat liminaire est le prélude à l’analyse menée par Emmanuelle Maitre avec « The French nuclear deterrent in a changing strategic environment ». Le papier aborde dans un premier temps la question de la « dimension européenne » des intérêts de sécurité de la France. Il poursuit avec l’examen des aspects doctrinaux et capacitaires de la dissuasion nucléaire française. Il ouvre ensuite sur les lignes de forces d’une contribution de cette dissuasion nucléaire française à la sécurité européenne qui pourraient être envisagées. Un papier issu de la FRS.

L’utilisation de termes flous pèse sur la rigueur conceptuelle et sur l’analyse des contextes géopolitiques contemporains. Les expressions « Sud profond » ou « Sud global » soulèvent ainsi à ces égards divers enjeux que le papier « Mots tiroirs au défi d’une géopolitique liquide : l’exemple du « Sud profond » » questionne. Entre risque de faux sens et besoin de définitions claires, pertinentes, Jean-Jacques Kourliandsky met également en exergue la complexité, la diversité des contestations de l’ordre international, comme le dénominateur commun qui les rassemble. Un papier issu de la Fondation Jean Jaurès.

Les actions récentes de « décapitation » de groupes armées au Moyen-Orient soulignent l’intérêt du questionnement proposé par le papier « L’élimination ciblée des dirigeants de groupes armés : un coup fatal ? ». En s’inscrivant dans une large perspective historique et géographique, Arthur Stein analyse tout d’abord l’incertitude successorale qui affecte les organisations « décapitées ». Il s’interroge ensuite sur les impacts de telles actions d’éliminations ciblées des dirigeants, en termes de durabilité, de pérennité des organisations affectées. Le papier expose ensuite le contraste des résultats démontrés par les diverses études scientifiques menées sur ce sujet. Un papier issu de l’IHEDN.

Les tensions entre Pékin et New Dehli se concrétisent aux confins frontaliers des deux pays. Le papier d’Anouchka Dumetz et Fabien Delheure, « La frontière sino-indienne : une mise en lumière des rivalités entre Pékin et New Delhi » éclaire la permanence des crispations géopolitiques entre les deux géants asiatiques, en dépit d’un récent accord en 2024 traduisant la volonté commune d’apaisement. Le papier rappelle ces faits, et les replace dans le contexte plus global de la relation sino-indienne. Une compétition bilatérale sino-indienne qui devient structurante pour l’ensemble des relations entre puissances présentes en Indopacifique. Le papier aborde enfin les enjeux clefs liés à cette rivalité entre l’Inde et la Chine, au titre desquels un possible syndrome de « piège de Thucydide » intra-asiatique. Un papier issu de la Bibliothèque de l’Ecole Militaire.

La question des diasporas et de leur influence géopolitique est reformulée par les transformations contemporaines majeures en matière de mobilité et de communications. Ce constat s’applique au cas du Venezuela. Le papier « Les diasporas vénézuéliennes et leurs effets géopolitiques » aborde la question relativement récente de l’émigration issue de ce pays, avant de s’interroger sur son évolution, sur les causes associées, et sur ses effets géopolitiques. Ces effets géopolitiques concernent le pays de départ, mais également les différents pays d’accueil, tout en traçant différentes perspectives que l’analyse de Gérard-François Dumont s’attache à mettre en lumière. Un papier issu de la Revue Géostratégiques de l’Académie de Géopolitique de Paris.

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Quelques derniers mots pour vous signaler la sortie d’un nouvel opus de la Revue de Recherche sur le Renseignement de L’équipe Sécurité & Défense – Renseignement, Criminologie, Crises, Cybermenaces (ESDR3C) du Cnam, « Le Renseignement en temps de guerre » (lien : Revue de Recherche sur le Renseignement – Tome 2 | Mareuil Éditions), et pour vous donner rendez-vous courant juin 2025, avec une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

Général (2s) Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

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