Édito n° 111/32 du 26 avril 2024

« Il est dangereux de dépendre pour sa sécurité de quelqu’un d’autre. »
Raymond Aron, politologue français (1905-1983), interrogé sur la stratégie nucléaire lors d’une émission diffusée par la radio Paris-Inter en 1963.

Une frappe de désescalade, aux fins de rétablissement de dissuasion ?

La riposte israélienne menée au cœur du territoire iranien, le 19 avril dernier, peut vraisemblablement être ainsi qualifiée, avec cette énonciation sous forme d’oxymore apparent. L’épisode de guerre ouverte, débuté avec l’attaque inédite et « scénarisée » d’Israël menée par l’Iran le 13 avril 2024, semble s’achever avec cette riposte de l’état hébreu, calibrée, sans dommages irréversibles. Une riposte aux fins de rétablissement de dissuasion donc, conduite avec un délai « raisonnable », et ce en dépit tant de la pression, interne, des « ultras » qu’a contrario de celle, externe, des États-Unis. Des alliés américains qui invitaient en effet Israël à se satisfaire de la victoire défensive et collective obtenue dans le ciel moyen-oriental, la nuit du 13 avril 2024. La guerre ouverte entre l’Iran et Israël refermée, la guerre couverte peut donc continuer, par « proxies » interposés.

*

Un épisode de guerre ouverte, qui semble soldé par le rétablissement d’une dissuasion conventionnelle, mais qui soulève toutefois la question de l’ombre portée du nucléaire. D’un côté en effet un état a priori doté, mais ne l’ayant jamais confirmé, et de l’autre, un état s’approchant, sinon tutoyant le seuil, et qui fait l’objet depuis nombre d’années de sanctions internationales, en bonne partie de ce fait.

Comme telle, cette situation stratégique renvoie à celle qui prévaut en Ukraine. La Russie, état doté au sens du Traité de Non-Prolifération (TNP), pratique de façon éruptive l’intimidation nucléaire. Mais Moscou a dû, jusqu’à ce jour, de facto, consentir au renforcement progressif, en quantité et en qualité, de l’aide militaire apportée à Kiev par des Occidentaux rassemblés au sein d’une alliance incluant une dimension nucléaire. Le dernier épisode en date de ce renforcement se joue d’ailleurs aux États-Unis où le Président Biden en personne a confirmé, le 24 avril 2024, l’octroi d’une aide très attendue de 61 milliards de dollars pour l’Ukraine.

*

Ce recoupement « nucléaire » entre ces deux situations stratégiques clefs du moment, illustre, avec des intensités certes variables, l’entrée dans ce que de nombreux analystes considèrent comme un nouvel âge, voire un nouvel « ordre » nucléaire.

En matière de relations internationales, le terme « ordre » renvoie davantage à une réalité empirique conjoncturelle qu’à une notion juridique pérenne. L’ordre nucléaire déclinant d’aujourd’hui fait écho à la situation historique de coagulation de rapports de puissance nucléaires de la Guerre Froide, parachevée par le TNP (ratifié en 1070 et reconduit en 1995). Un traité qui visait à sceller, au sens de fermer, figer, comme à celui de marquer d’un sceau, une situation de monopole de dotation, une finalité dissuasive du nucléaire, un horizon de maîtrise des armements.

Cet ordre nucléaire s’appuyait donc, encore naguère, sur l’âge de la rationalité accouché de la Guerre Froide, suivi d’un âge post-Guerre Froide de réduction des arsenaux, comme le souligne l’historien Dominique Mongin. Or, l’ordre international, au sens global, vacille sous la contestation de puissances (re) émergentes. La guerre d’agression de la Russie en Ukraine en est à la fois le révélateur et l’accélérateur. Et le volet nucléaire associé à cet ordre international vacille de concert.

*

Le nouvel âge nucléaire, s’inscrit donc dans ce contexte de contestation plus global de l’ordre international né au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, et confirmé au lendemain de la Guerre Froide. Outre les conflits évoqués plus haut, et singulièrement celui d’Ukraine, ce nouvel âge nucléaire se manifeste également sous trois aspects majeurs. On peut tout particulièrement souligner en effet : le risque de prolifération, déjà concrétisé par la Corée du Nord et qu’attiserait l’accession de l’Iran à l’arme nucléaire, l’enlisement du désarmement et la montée en puissance concomitante chinoise, mais également l’entrée en vigueur récente du Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires, ratifié par une cinquantaine d’états, dont l’Autriche et l’Irlande, membres de l’Union européenne.

*

La parenthèse (temporairement ?) refermée de guerre ouverte entre l’Iran et Israël s’avère donc également emblématique d’une époque de bascule où le sujet « dissuasion nucléaire » revient sur le devant de la scène stratégique, interpellant plus particulièrement la posture des Européens.

Les mots de Raymond Aron, prononcés au mitan du XXe siècle, continuent de résonner, en ce XXIe siècle débutant !

***

En ce mois d’avril 2024, nous vous proposons une nouvelle sélection de six papiers de réflexion stratégique.

Le conflit entre l’Ukraine et la Russie, qui bouleverse la donne géopolitique mondiale, procède de trois dimensions et interroge le positionnement stratégique des États-Unis. C’est l’idée maîtresse que développe le général (2s) Jean-Claude Allard dans ce papier « Ukraine-Russie : vers un aggiornamento stratégique américain ? ». Il y aborde tour à tour les différents volets de cette guerre, interne à l’Ukraine, russo-ukrainienne et, au-delà, russo-américaine. Il souligne ensuite pourquoi cette guerre lui parait emblématique de la recomposition entre les acteurs majeurs de l’échiquier planétaire, et comment cela pourrait influer sur la stratégie américaine vis-à-vis de l’Ukraine. Un papier issu de l’IRIS.

Comment comprendre la politique menée depuis vingt ans par l’Union Européenne à l’égard de la Russie ? Sylvain Kahn développe tout au long du papier, « La Russie sort de l’histoire » la thèse d’une Europe plus habile et plus inspirée que ce qui est traditionnellement perçu et exprimé. Il propose en effet un renversement de regard, tant vis-à-vis de la relation entre l’Europe et les États-Unis, que vis-à-vis de celle entre l’Europe et la Russie. Il appuie notamment son analyse sur la question énergétique et s’interroge sur la partie à la relation bilatérale in fine la plus dépendante aux énergies fossiles. Au bilan donc pour lui, ne serait-ce pas plutôt la Russie que l’Europe qui serait poussée hors de l’histoire ? Un papier issu de la Fondation Jean Jaurès.

Quel rapport les jeunes entretiennent-ils avec la guerre, et quelles dispositions à s’engager manifestent-ils, en cas de conflit majeur affectant la France ? Ces questions font l’objet de l’étude « Les jeunes et la guerre : représentations et dispositions à l’engagement », menée par Anne Muxel à partir d’un échantillon représentatif de la jeunesse française. Une étude qui aborde les représentations et connaissances de la guerre de cette jeunesse, la place que les conflits armés occupent dans leurs préoccupations et dans la façon dont ils envisagent l’avenir de nos sociétés. Une étude qui interroge ensuite la perception des jeunes français vis-à-vis des risques individuels et collectifs, et qui analyse la nature et limites d’un engagement qui y ferait face. Une étude qui offre enfin des enseignements inédits sur l’état d’esprit des nouvelles générations face à la montée des périls armés. Une étude issue de l’IRSEM.

Depuis trente ans, comment les médias reflètent-ils l’évolution de la stratégie française face à la conflictualité contemporaine ? Cette question constitue le prélude à une analyse que Margaux Latarche-Bertrand conduit dans « Les médias et la défense en France, ou un certain récit de la conflictualité contemporaine : de la Guerre du Golfe à la guerre en Ukraine. », en découpant ces trente années en trois périodes. Selon l’autrice, une première période voit les chaînes d’information en continu imprimer un rythme nouveau aux affrontements modernes. Une deuxième période voit naître et croître les réseaux sociaux, et les risques associés, avec en parallèle des débats sémantiques, répercutés dans les médias, sur des concepts délaissés et réappropriés comme la « guerre » et l’ « ennemi ». Avec la crise Covid et l’invasion de l’Ukraine, une troisième période s’ouvre sur une réflexion vis-à-vis de la dialectique information – expertise, dans un contexte de saturation des sources. Un papier issu des Jeunes-IHEDN.

L’Asie du Sud-Est serait une des régions les plus exposées en cas de conflit à Taïwan. C’est l’hypothèse que le papier « L’Asie du Sud-Est face à un scénario de conflit à Taïwan » s’attache tout d’abord à confirmer, en identifiant les liens entre cette région et la « République de Chine ». Simon Menet analyse ensuite les différentes postures que les pays du Sud-Est asiatique pourraient adopter, notamment à l’aune de leur positionnement vis-à-vis de crises extérieures et de leur relation avec la « République Populaire de Chine ». Différentes propositions de positionnement pour la France sont enfin exposées. Un papier issu de la FRS.

La notion de proxy constitut-t-elle un prisme suffisant pour rendre compte fidèlement de la complexité des relations nouées entre l’Iran et ses partenaires non-étatiques au Moyen-Orient ? Le titre « Les Partenaires non étatiques de l’Iran au Moyen-Orient : des proxys, vraiment ? », en forme de question, suggère donc de pousser l’analyse. Arthur Stein y souligne en particulier que soutien ne rime pas avec contrôle étroit des opérations, et nous incite à apprécier la diversité des situations. Il s’intéresse ensuite au contexte de manipulations de l’information qui obscurcit cette problématique des partenaires de l’Iran. Une invitation à aborder avec prudence une région où les configurations d’acteurs évoluent rapidement. Un papier issu de l’IHEDN.

*

Quelques mots pour vous rappeler le début du MOOC Questions Stratégiques VII du Cnam à compter du 29 avril (inscriptions), et pour vous donner rendez-vous courant mai 2024, avec une nouvelle publication de votre Agora Stratégique.

 

Général Paul Cesari, Rédacteur en chef, et toute l’équipe de Geostrategia.

Nos partenaires

Académie du renseignement
Bibliothèque de l’Ecole militaire
Centre d'études stratégiques de la Marine
Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA)
Centre de Recherche de l'Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale
Centre des Hautes Etudes Militaires
Chaire Défense & Aérospatial
Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM/Centre FrancoPaix
Conflits
Ecole de Guerre
Encyclopédie de l’énergie
ESD-CNAM
European Council on Foreign Relations
Fondation Jean Jaurès
Fondation maison des sciences de l'homme
Fondation pour la recherche stratégique
Fondation Robert Schuman
Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale
Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur
Institut Français des Relations Internationales
International Journal on Criminology
IRSEM
L’Association des Auditeurs et cadres des sessions nationales "Armement & Economie de Défense" (3AED-IHEDN)
Les Jeunes IHEDN
Revue Défense Nationale
Revue Géostratégiques / Académie de Géopolitique de Paris
Sécurité Globale
Synopia
Union-IHEDN/Revue Défense
Université Technologique de Troyes
Académie du renseignement
Bibliothèque de l’Ecole militaire
Centre d'études stratégiques de la Marine
Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA)
Centre de Recherche de l'Ecole des Officiers de la Gendarmerie Nationale
Centre des Hautes Etudes Militaires
Chaire Défense & Aérospatial
Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM/Centre FrancoPaix
Conflits
Ecole de Guerre
Encyclopédie de l’énergie
ESD-CNAM
European Council on Foreign Relations
Fondation Jean Jaurès
Fondation maison des sciences de l'homme
Fondation pour la recherche stratégique
Fondation Robert Schuman
Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale
Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur
Institut Français des Relations Internationales
International Journal on Criminology
IRSEM
L’Association des Auditeurs et cadres des sessions nationales "Armement & Economie de Défense" (3AED-IHEDN)
Les Jeunes IHEDN
Revue Défense Nationale
Revue Géostratégiques / Académie de Géopolitique de Paris
Sécurité Globale
Synopia
Union-IHEDN/Revue Défense
Université Technologique de Troyes

 

afficher nos partenaires